Théâtre d'Aujourd'hui, historique
Le 26 août 1968, la troupe des Apprentis-Sorciers s'associe au Mouvement contemporain, aux Saltimbanques et au mime Michel Poletti pour fonder le Centre du Théâtre d'Aujourd'hui et occuper les locaux du 1297 rue Papineau, à Montréal, transformés en une petite salle de théâtre, modulable et pouvant acceuillir une centaine de spectateurs.
Les artistes regroupés ont des besoins et des affinités en commun, ils incarnent l'avant-garde du théâtre des années soixante. Ils ont fait connaître au public montréalais la dramaturgie européenne d'après-guerre: Beckett, Ionesco, Weingarten, Vian, Arrabat, etc. De plus, ces compagnies regroupées partagent une même crise de croissance, passant du statut d'amateur à celui de professionnel.
La 1ère saison du Centre du Théâtre d'Aujourd'hui est en continuité avec le passé des cies qui l'ont créé: les Apprentis-Sorciers ouvrent la saison avec l'Architecte et l'empereur d'Assyrie, d'Arrabal et la ferment avec La Baye, du dramaturge français Philippe Adrien, deux mises en scènes de Pierre Collin. Mais après cette 1ère saison, tout s'effondre. Poletti retourne en Suisse, les Saltimbanques se sabordent et le Mouvement contemporain cesse ses activités. Mais le 4 mars 1968 avait lieu, au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui, la lecture publique des Belles-Soeurs, qui sera jouée le 28 août suivant au Théâtre du Rideau Vert. Les Belles-Soeurs marquent un brusque changement de cap; après les intenses bouleversements sociaux de la Révolution tranquille, les Québécois ont besoin de redéfinir leur identité et le théâtre vient de s'imposer brillamment comme lieu privilégié de ce travail collectif.
Au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui demeure un trio de créateurs: Jean-Pierre Saulnier à la direction générale, Pierre Collin à la direction artistique et Bernard Spickler à l'administration. Le trio décide d'amorcer un virage artistique radical pour la 2ième saison et sur les 3 productions, 2 seront des créations. De plus, ils coproduiront 3 créations avec le TMN- le Théâtre du Même Nom, constitué d'une bande d'anciens étudiants de l'École nationale de théâtre, animés par Jean-Claude Germain et portant le nom des Enfants de Chénier, dont les productions vont créer tout un émoi chez le public qui va dès lors identifier la salle à Germain et sa bande qui , non seulement utilisent le théâtre comme outil de démythification, mais démythifient le théâtre lui-même, ses pompes et ses oeuvres.
À la fin de la saison 1970-1971, Pierre Collin quitte le Centre du Théâtre d'Aujourd'hui et au début de juin 1971, les artistes de la saison élisent les dirigeants du théâtre. Bégin est nommé directeur et Jean-Claude Germain vice-président. Quelques jours plus tard, le théâtre change de nom pour devenir simplement le Théâtre d'Aujourd'hui et sa vocation est confirmée: se consacrer exclusivement à la production et à la diffusion de créations québécoise. Cette décision était, et est toujours hardie. Alors que Germain raille la culture de masse avec Rodéo et Juliette et Dédé Mesure, Bégin, avec Ça et Philigne, se dirige vers un théâtre marqué par le surréalisme et le symbolisme. Après cette saison, Germain est nommé directeur et Bégin quitte le Théâtre d'Aujourd'hui.
Les années Germain
Au moment où Germain prend la direction du Théâtre, à l'été 1972, son style s'est affirmé et il a une idée précise du genre d'oeuvres qu'il veut produire dans la petite salle de la rue Papineau: des spectacles qui explorent et critiquent l'identité québécoise à travers ses mythologies. Pendant les années où il occupe la direction, Jean-Claude Germain est très présent comme auteur-metteur en scène, donnant à son public une ou deux nouvelles créations par saison. Ainsin de 1972 à 1982, épaulé par son scénographe et éclairagiste Claude-André Roy, il crée treize spectacles dont son plus marquant en 1974, les Hauts et le bas dla vie d'une diva: Sarah Ménard par eux-mêmes, porté par l'interprétation mémorable de Nicole Leblanc. Puis, dans Un pays dont la devise est : Je m'oublie (1976), Germain entreprend une démarche qui va orienter ses oeuvres subséquentes: retrouver dans le passé québécois hâtivement balayé par la Révolution tranquille les fondements d'une culture. Il veut que le Théâtre d'Aujourd'hui soit le lieu où cette culture méprisée, niée et oubliée sera redonnée à ceux à qui elle appartient. Dans cette foulée, Germain, en 1977, dote le Théâtre d'Aujourd'hui d'une revue, le Pays théâtral, qui paraîtra jusqu'en 1983. On y écrit sur le théâtre, naturellement, sur la politique aussi, mais surtout sur les oublis de l'histoire culturelle.
Germain donne la parole à des dramaturges qui partagent ses préoccupations: Victor-Lévy Beaulieu, Roland Lepage, qui a créé un des textes maujeurs de la dramaturgie québécoise: le Temps d'une vie (1975), qui a su saisir le rythme de la vie rurale au Québec et le destin trop souvent silencieux des femmes qui y ont vécu. Michèle Lalonde, connue par son poème Speak White, écrit Dernier recours de Baptiste à Catherine (1977) qui, de la Conquête à la Confédération, montre comment s'est constituée l'identité traditionnelle canadienne-française.
Lors de la deuxième moitié des années soixante-dix, Germain se penche sur la sphère privée. Il permet surtout à des femmes d'exprimer leur point de vue: en témoignent Bernadette et Juliette (1979) d'Élizabeth Bourget, À qui le p'tit coeur après neuf heures et demie? (1980) de Maryse Pelletier, etc.
À l'automne 1982, Jean-Claude Germain remet sa démission comme directeur du Théâtre. La salle de la Comédie nationale venait d'échapper au Théâtre d'Aujourd'hui: c'est une nouvelle décourageante de trop. Et puis, à la suite de l'échec du référendum de 1980 sur la souveraineté, le discours identitaire national doit se repenser, ainsi que la fonction sociale et politique du théâtre. Mais le plus important, c'est que Germain a prouvé à la fois la nécessité et la viabilité d'un théâtre qui se consacre uniquement à la création québécoise. Lorsqu'il quitte la direction du Théâtre d'Aujourd'hui, il laisse une entreprise artistique reconnue, dont la mission est claire pour tous ceux qui, à Montréal, s'intéressent de près ou de loin à l'art dramatique.
Les années plurielles
C'est le comédien et metteur en scène Gilbert Lepage qui succède à Germain. Avec lui, c'est la pensée d'une nouvelle génération qui s'installe au Théâtre d'Aujourd'hui. Pour la génération de Germain, le pronom "nous" ne pouvait être qu'un "nous" national; or, Lepage est d'une génération qui fait éclater ce nous en parcelles multiples: le nous des femmes, le nous des jeunes, le nous des gais, le nous des exclus de la prospérité...
Lepage commence son mandat en 1983 en lion, avec une saison qui affiche nettement de nouvelles couleurs: Bienvenue aux dames, Ladies Welcome, est la première pièce de Jean-Raymond Marcoux. Puis, vient le choc de la Contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste, la première pièce présentée à Montréal d'un jeune auteur originaire du Lac Saint-Jean et qui a travaillé jusqu'alors en Ontario francophone, Michel Marc Bouchard. Avec le Bélier, de David Freeman, il ouvre le théâtre à la création anglophone montréalaise en traduction et, avec l'Inconception de Robert Marinier, à la dramaturgie francophone hors-Québec. Puis, la saison se termine par Camille C., de Jocelyne Beaulieu et René Richard Cyr. Ce spectacle affirme avec force que des auteurs québécois peuvent maintenant s'emparer d'un sujet issu d'une culture dominante- ici le drame de la sculpteure Camille Claudel- sans pour autant être victimes de colonialisme culturel.
Lepage, dès le début de son mandat, met sur pied des ateliers qui ont pour but de confronter les créateurs théâtraux avec des artistes d'autres disciplines. Il multiplie également les coproductions. Mais aussi, Lepage permet à de jeunes compagnies comme le Théâtre Expérimental des Femmes, avec la Lumière blanche de Pol Pelletier, de toucher un nouveau public. Il accueille des compagnies de Québec et convainc des artistes de théâtre reconnus, comme le scénographe Yves Neveu, la comédienne Michèle Magny ou le concepteur de costume François Barbeau, de faire leur première mise en scène.
Lorsque Gilbert Lepage annonce, à la fin de 1986, son désir de quitter la direction du Théâtre, il laisse un lieu en excellente santé. Il a su faire du Théâtre d'Aujourd'hui un lieu de développement, d'éclosion, de nouveauté. Mais la salle cause de plus en plus problème, à cause notamment du nombre peu élevé de spectateurs qu'on peut y accueillir, de la faible hauteur du plafond et de deux colonnes au milieu de la salle...
C'est Robert Lalonde que le Théâtre va chercher pour succéder à Lepage. Ce qui intéresse Lalonde, c'est de travailler avec les auteurs. Lui aussi montre ses couleurs au début de la saison 1987-1988 en programmant la Société de Métis, un texte de Normand Chaurette, à l'époque où cet auteur est encore considéré comme très problématique à mettre en scène. Mais peu après le début de sa deuxième saison, Lalonde annonce son départ. Sa vision de l'avenir du Théâtre d'Aujourd'hui ne concorde pas avec celle du conseil d'administration. Lalonde ne se sent guère à l'étroit dans la petite salle de la rue Papineau et il préfère que des fonds puissent être alloués aux auteurs pour qu'ils puissent se consacrer à leur travail d'écriture. Mais comme il sait que la majorité de l'équipe souhaite se doter d'un lieu plus important, il se retire avec grâce.
Les années de croissance et d'épanouissement
Déménager un théâtre est une tâche énorme. Le conseil est bien avisé en nommant à la tête de la compagnie une femme telle que Michelle Rossignol. Elle est familière des lieux, elle connaît la dramaturgie québécoise pour l'avoir portée de son grand talent de comédienne tout au long de sa carrière et elle possède une solide expérience en gestion et un vaste réseau de contacts. Dès le début de sa première saison, en 1989, elle annonce le déménagement du Théâtre: l'endroit choisi est un ancien cinéma, rue Saint-Denis, en plein coeur d'un quartier où la vie culturelle est intense. Michelle Rossignol ouvre et ferme sa première saison par des relectures. Il ne s'agit pas de simples reprises, mais d'une approche nouvelle. Auparavant, lorsqu'un texte québécois était rejoué, c'était avec l'idée que le sens de l"oeuvre et sa réception allaient être les mêmes que lors de la création. Or, ce que propose Michelle Rossignol est tout autre: pour elle, l'ensemble des créations québécoises forme un répertoire qui est à relire avec la conscience que l'Histoire en a déplacé et enrichi le sens.
Au début de septembre 1991, le gros du travail est accompli rue Saint-Denis. La salle principale peut être transformée à volonté et, dans sa configuration frontale, peut acceuillir 275 spectateurs. Au-dessus du foyer, il y a une vaste salle de répétition qui peut aussi être utilisée comme salle de spectacle intime; en l'honneur de celui qui a donné son identité au Théâtre d'Aujourd'hui, ce petit lieu sera baptisé la Salle Jean-Claude Germain.
Le nouveau théâtre est inauguré le lundi 30 septembre 1991, avec la présentation de la Trilogie des Brassard de Michel Tremblay dans une mise en scène d'André Brassard. Il était juste que l'auteur emblématique de la dramaturgie québécoise, qui n'avait pourtant jamais été produit par le Théâtre d'Aujourd'hui, inaugure le nouveau lieu avec soirée comprenant À toi pour tojours, ta Marie-Lou, Sainte Carmen de la Main et Damnée Manon, Sacrée Sandra.
Depuis l'adoption de la loi 101 en 1977, les immigrants, de plus en plus nombreux, s'intègrent davantage au milieu francophone. Pourtant, leur parole ne se fait que trop peu entendre sur scène. Dès 1990, Michelle Rossignol met sur pied des ateliers pour les auteurs issus des communautés culturelles minoritaires. En 1992, une première série de lectures publiques est organisée. Pendant son mandat, Michelle produit sept textes écrits par des auteurs provenant d'autres cultures, comme Pan Bouyoucas et Wajdi Mouawad.
Michelle a le flair de repérer un des trop rares auteurs originaux: Larry Tremblay, dont Hélène Loiselle joue en 1992 la Leçon d'anatomie. Elle fait aussi une large place aux femmes qui utilisent l'écriture dramatique pour exprimer leur vision du monde, dont Carole Fréchette, Anne Legault, Michèle Magny, Denise Boucher et Pol Pelletier. On lui doit aussi d'avoir pris en charge la prise de parole des 38 jeunes auteurs rassemblés par le Théâtre Urbi et Orbi pour affronter Shakespeare au cours d'une inoubliable semaine de pure fête théâtrale à l'automne 1996. Pas étonnant que ce soit elle qui ait fait en sorte que le Théâtre d'Aujourd'hui, à compter de 1995, acceuille la Semaine de la dramaturgie du Centre des auteurs dramatiques.
L'Avenir c'est aujourd'hui
Michelle Rossignol quitte son poste au printemps 1998, après avoir planifié la saison suivante. Elle est remplacée à l'été par René Richard Cyr. De tous les artistes qui ont dirigé la compagnie, il est le premier à appartenir à une génération qui récolte, en fait, les fruits de l'entêtement de Jean-Claude Germain. Cyr a développé sa pratique au sein d'une société qui avait globalement cessé de regarder avec méfiance sa propre dramaturgie. Il souhaite s'attacher à des écritures du temps présent, autant pour leurs enjeux que pour leur forme. La présentation de 24 Poses (portraits) de Serge Boucher est en ce sens exemplaire: le texte de Boucher est d'une complexité formelle peu commune, qui a peu à voir avec l'écriture théâtrale traditionnelle. Et c'est ce que veut offrir le Théâtre d'Aujourd'hui: être le lieu où les auteurs dramatiques savent que leur écriture esra non seulement respectée, mais appelée. Une maison des auteurs qui a comme souci premier de rendre accessible leur écriture, en établissant un dialogue constant avec le public.
Le directeur artistique depuis la saison 2013-2014 est Sylvain Bélanger.
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--- extraits de 30 ans de création québécoise,
de Paul Lefebvre