Amants, amis, couples mariés ou adultères, anciennes histoires ou relations passagères. Histoires d’amour et, surtout, de manque d’amour. En une mosaïque d’une vingtaine de tableaux, La réunification des deux Corées brosse tout autant de portraits de ce qui anime et déchire nos vies, et nous donne ce précieux sentiment d’exister.

Joël Pommerat est l’un des auteurs et metteurs en scène les plus en vue de la scène européenne. Les amoureux du théâtre ont sans doute vu ses pièces Les marchands, La grande et fabuleuse histoire du commerce ou Cendrillon, ici-même, à La Bordée, dans le cadre du Carrefour de théâtre. La réunification des deux Corées est une nouvelle occasion de rencontrer son immense talent.

Texte Joël Pommerat
Mise en scène Michel Nadeau
Interprétation Ann-Sophie Archer, Emmanuel Bédard, Normand Bissonnette, Gabriel Fournier, Valérie Laroche, Véronika Makdissi-Warren, Olivier Normand, Sophie Thibeault et Alexandrine Warren

Crédit photos : Pierre-Marc Laliberté

L’été, déjà, se termine et une nouvelle saison théâtrale commence. Cette fois-ci, c’est sous les thèmes de l’amour et de l’identité que se déclinent la nouvelle programmation du Théâtre La Bordée ; quoi de mieux pour débuter une telle saison que la pièce La réunification des deux Corées de Joël Pommerat. Une pièce qui aborde non seulement l’amour, mais qui amène par le fait même à se questionner sur celui-ci, sur son absence, sur l'incompréhension, à remettre en cause le sentiment amoureux et ce qu’il implique dans nos vies à court et long terme.

Joël Pommerat est considéré comme l’un des grands auteurs de sa génération. Le public de Québec a eu l’occasion de le connaître avec ses pièces Les Marchands (2009), La grande et fabuleuse histoire du commerce (2013) et Cendrillon (2016), toutes présentées sur les planches du Théâtre La Bordée lors du Carrefour international de théâtre de Québec. C’est cependant la première fois que l’on peut apprécier le texte de l’auteur français sur une scène professionnelle québécoise sans que ce dernier ne soit impliqué dans la mise en scène ou dans une quelconque sphère de la production (autre que le texte). En effet, Joël Pommerat a l’habitude de monter ses spectacles de A à Z ; il écrit, participe à la conception des décors et de la trame sonore et assure la mise en scène. Sa vision de la création d’un spectacle élimine la division que l’on retrouve normalement entre le texte et la mise en scène d’une pièce puisqu’il imagine les deux du même coup lorsqu’il écrit, de sorte que l’écriture scénique s’appuie et donne vie au texte, et que l’inverse est tout aussi vrai.

Les comédiens assurent les nombreux rôles avec conviction, bien que les différents registres de niveau de langage utilisés, oscillant entre un français plus normatif et une langue québécoise, sonnent parfois faux et nuisent à l’immersion totale du spectateur.

Cette fois c’est Michel Nadeau, directeur artistique de La Bordée, qui assure la mise en scène. Il avait déjà monté la pièce avec des élèves du Conservatoire d’art dramatique de Québec, mais c’est la première fois qu’il la met en scène avec des acteurs et actrices qui ont, en réalité, à peu près le même âge que les protagonistes de la pièce. Une vingtaine de saynètes, sur une trame sonore allant de Bruno Mars à Led Zeppelin en passant par les Bee Gees, ainsi que plus d’une cinquantaine de personnages différents se succèderont devant nos yeux durant les deux heures sans entracte de la représentation. Parmi les tableaux marquants, l'on retrouve une femme qui demande le divorce car «l'amour est (un concept) inexistant» ; un mariage qui tourne en véritable vaudeville ; une jeune femme qui demande la vérité à son patron sur certains gestes intimes qui se seraient produits durant son sommeil ; un prêtre qui explique sa nouvelle situation à une prostituée qu'il voit depuis 7 ans ; un couple qui panique au retour d'une soirée et qui ne retrouve pas son enfant, alors que la gardienne jure qu'il n'y avait personne à garder. Les comédiens assurent les nombreux rôles avec conviction, bien que les différents registres de niveau de langage utilisés, oscillant entre un français plus normatif et une langue québécoise, sonnent parfois faux et nuisent à l’immersion totale du spectateur, le faisant la plupart du temps décrocher. Mis à part ce détail — certaines personnes pourraient ne pas être dérangées du tout par celui-ci — la pièce est une réussite. On arrive à émouvoir et à faire rire sans tomber dans la caricature ou le cliché et le texte est servi de main de maître par les comédiens. Mention spéciale à Gabriel Fournier et à Olivier Normand qui sont tout simplement irréprochables dans leurs multiples rôles et qui font mouche à chacune de leurs répliques, ou presque. La scénographie (Véronique Bertrand), tout en hauteur, avec de grands panneaux texturés pivotants, les jeux de lumière (Caroline Ross) et la mise en scène, tous épurés, permettent de mettre l’emphase sur le jeu des acteurs de même que sur le splendide texte de Joël Pommerat.

La réunification des deux Corées est un excellent choix de pièce pour ce début de saison. On peut s’attendre à une saison 2018-2019 à la hauteur des attentes, surtout après la superbe dernière saison 2017-2018 du Théâtre La Bordée.

24-09-2018