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Festival TransAmériques - 23-24-25-30-31 mai 2014, 1er juin 2014, 14h
L'Histoire révélée du Canada français, 1608-1998L'Histoire révélée du Canada français, 1608-1998
Création + Théâtre
En français
Un spectacle du Nouveau Théâtre Expérimental
Texte Alexis Martin
Mise en scène Daniel Brière
Avec Gary Boudreault, Benoît Drouin-Germain, Steve Laplante, Pierre-Antoine Lasnier, Alexis Martin, François Papineau, Dominique Pétin, Carl Poliquin, Danielle Proulx, Marie-Ève Trudel

Entre un Canada français qui refuse de mourir et un Québec qui ne réussit pas à naître, pas étonnant ici que l’histoire (qui rêve à son H majuscule) n’arrive pas à se transformer en récit glorieux. Qu’à cela ne tienne, le Nouveau Théâtre Expérimental, carburant à l’érudition et à la mégalomanie assumée, prend trois chemins de traverse pour parcourir quatre siècles de notre histoire nationale : se réchauffer, voyager sur l’eau et se nourrir, trois révélateurs pour une épopée inattendue racontant qui nous sommes.

L’intégrale de cette ahurissante trilogie historique que le NTE, à son plus démesuré et à son plus baroque, a conçue pour marquer ses 35 ans d’existence ne sera présentée qu’à l’occasion du FTA. On ne sait rien — évidemment ! — du volet final du triptyque Le pain et le vin, sinon que Jehane Benoît y sera élevée au rang des Gaston Miron, Frontenac et autres draveurs du Saint-Maurice, se fondant dans cette imprévisible saga, où le burlesque et le grave se côtoient dans la quête obstinée d’un sens commun à notre histoire.

Né en 1979 de la scission du Théâtre expérimental de Montréal fondé quatre ans plus tôt, le Nouveau Théâtre Expérimental (NTE) a d’abord été principalement animé par le metteur en scène et auteur Jean-Pierre Ronfard (de 1979 à 2003) et par le comédien et auteur Robert Gravel (jusqu’en 1996). Depuis sa fondation, le NTE demeure fidèle à une série de positions éthiques et esthétiques : fonctionnement décloisonné, non hiérarchique et démocratique dans le travail créateur, responsabilité des individus dans l’œuvre collective, prise des décisions à l’unanimité (et non à la majorité), questionnement des langages et des fonctionnements de la représentation à travers une théâtralité volontairement sommaire, et surtout, un esprit où règnent la profusion, le ludisme, la dérision, voire une forme de désinvolture assumée. Presque toujours, ses spectacles activent des tensions entre les champs théâtral et littéraire, l’Histoire et les questionnements philosophiques. En 35 ans, le NTE a créé près d’une centaine de spectacles, dont plusieurs œuvres marquantes : Vie et mort du roi boiteux (1981-1982), Les objets parlent (1986), Durocher le milliardaire (1990), Tête à tête (1994), Matines : Sade au petit déjeuner (1996), Les mots (1998), Hitler (2001), Bureaux (2003), Sacré Cœur (2008) etRonfard nu devant son miroir (2011). Alexis Martin et Daniel Brière, tous deux liés de longue date au NTE, en assument maintenant la responsabilité artistique.


Section vidéo
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Scénographie Michel Ostaszewski
Costumes Judy Jonker
Lumières Nicolas Descôteaux
Vidéo Yves Labelle
Son Anthony Rozankovic
Photo Gilbert Duclos
Rédaction Paul Lefebvre

Création mondiale au Festival TransAmériques, le 23 mai 2014

Durée : 7h, incluant 2 entractes, dont une pause repas, une cantine sera sur place

Tarif régulier : 75 $
30 ans et moins / 65 ans et plus : 55 $
Taxes et frais de services inclus
Ce spectacle n'est pas disponible en forfait

Coproduction Festival TransAmériques


FTACinquième Salle
Place des Arts
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est

 
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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon


Crédit photo : Michel Ostaszewski

C’est à tout un événement que, selon son habitude, le Nouveau Théâtre Expérimental convie le public à Espace Libre. Son épopée historique en trois volets mêle allègrement les genres, les dates et les figures historiques qui ont marqué l’histoire du Québec et de son peuple.

Les trois volets, L’invention du chauffage central en Nouvelle-France, Les chemins qui marchent et Le pain et le vin (inédit), sont réunis sous le titre L’histoire révélée du Canada français à l’occasion du FTA. Cette trilogie en forme de fresque grandeur nature, amorcée en 2012, traite l’histoire selon trois thèmes particuliers : d’abord le combat contre l’hiver, ensuite le fleuve et les rivières, puis l’alimentation. Trois composantes de l’identité nationale selon le duo de créateurs, Alexis Martin, au texte, et Daniel Brière, à la mise en scène. L’épopée, d’une durée de sept heures, se présente d’emblée comme un projet colossal, voire démesuré et plutôt casse-gueule sachant que la tendance actuelle est aux spectacles de 60 à 90 minutes. Mais le tandem de créateurs relève le défi avec aisance, et même une certaine insouciance, et nous offre de nous réapproprier notre histoire.

Sans vraiment révolutionner le genre, Martin et Brière proposent tout de même une formule très personnelle et dynamique du théâtre historique, loin des reconstitutions bavardes sur les sites et dans les monuments historiques. Au contraire, ici les personnages s’animent, deviennent accessibles et se transforment d’un instant à l’autre. Défilent dans cette grande farandole les Brébeuf, Miron, Jehane Benoît, Papineau, Champlain, Jolliet, Frontenac…

Si chaque volet a son identité propre et un ton qui lui est particulier, Martin et Brière réussissent tout de même à garder une cohérence entre les volets, qui forment au final une suite tout à fait logique bien qu’ils mêlent les faits et les époques. La constance de la distribution, quasiment la même d’un volet à l’autre, aide à garder intact l’esprit de plaisir et de découverte qui sous-tend toute la production. Depuis la salle, on prend un malin plaisir à voir les comédiens s’amuser. De même, la scène, qui dissimule une multitude de trappes, renforce le côté « boîte à surprises » de ce terrain de jeu où abondent les accessoires, perruques et costumes, que les comédiens s’échangent et se lancent joyeusement.

Dans L’invention du chauffage central en Nouvelle-France (voir critique de mon collègue Olivier Dumas), la scène se présente sous forme d’une boîte vitrée, comme si les spectateurs observaient l’histoire à travers les glaces d’un musée. Dans cette galerie pourtant, pas de mannequins à perruques ou de récits pompeux : l’histoire y éclate plutôt tous azimuts, mêlant les rencontres avec les « sauvages », aux premiers temps de la colonie, et le fossé culturel entre les Français d’aujourd’hui et les « autochtones » québécois qu’ils sont venus rencontrer. La neige et le froid, premier thème de cette épopée gargantuesque, est prétexte à toutes sortes d’heureux anachronismes, de trouvailles scéniques — comme cette tempête de neige « en bocal » — et de parallèles pertinents entre passé et présent. On passe ainsi en un clin d’œil des pères Lejeune et Brébeuf, martyrisés par les Amérindiens, à ces pères contraints de vendre leur monastère à des intérêts privés, car désormais incapables de payer le chauffage du bâtiment.

Le texte du premier volet, plus poétique, est sa grande force. La narration, à laquelle Carl Poliquin prête sa belle voix, s’y fait sur le ton du carnet de voyage et berce les scènes en plus d’offrir un bon fil narratif. La neige, omniprésente, s’accumule peu à peu dans l’espace. Elle pèse à la fois sur les épaules des personnages et sur les pages de l’histoire du Québec.


Crédit photo : Gilbert Duclos

Le deuxième volet, Les chemins qui marchent (lire la critique de mon collègue Olivier Dumas), est sans doute le plus faible des trois. Notre balade dans l’histoire y commence en 1998, dans une station d’épuration des eaux usées de Montréal et nous transporte jusqu’à Anticosti. Explorant cette fois le thème du fleuve et des divers courants qui traversent le Québec, du barrage Daniel-Johnson aux rivières souterraines qui coulent entre les égouts de Montréal, le volet aborde plusieurs histoires ou faits historiques liés à ces anciennes routes d’échanges, de commerce et de vie. Le fil narratif du second volet, l’histoire d’un ingénieur qui croit avoir découvert une bactérie dévoreuse de mémoire dans l’eau des égouts de Montréal, était également prometteur, mais est malheureusement peu exploité tant Les chemins qui marchent est tout tourné vers la comédie, de l’opéra-bouffe aux arts martiaux pratiqués par un ingénieur chinois en visite. Le fil de l’histoire en elle-même s’y perd dans les passages à l’humour absurde assumé, il faut le reconnaître. Bien qu’il ait suscité le plus d’applaudissements et de réactions en cours de représentation, ce second volet survole un peu trop facilement le thème de la mémoire qui s’efface et de l’histoire qu’on oublie pour multiplier les effets de mise en scène, au demeurant très efficaces (la scène de naufrage à Anticosti est particulièrement réussie).

Le troisième volet, Le pain et le vin, donne pour l’instant davantage dans la conférence (toujours très drôle, notamment grâce à la performance scénique remarquable d’Alexis Martin). Sur une scène cette fois recouverte de faux gazon, ceux qui se révèlent peu à peu être les résidents d’un institut psychiatrique se prêtent au jeu de la reconstitution historique. À travers l’histoire de l’alimentation, depuis les Amérindiens qui offrent un festin à leurs morts jusqu’au repas moderne, pris en solitaire en fonction de dictats alimentaires précis (calories, nutriments, protéines, etc.), c’est toute l’histoire du Québec qu’on explore. Cette proposition du NTE se révèle franchement fascinante, voire hilarante par moments, comme lorsque Jehane Benoît explique le déroulement de la Bataille des plaines d’Abraham en préparant un « potage mêlé » ou victory soup, où chaque faction est représentée par un aliment. Dans ce troisième et dernier volet, Gary Boudreault vole littéralement la vedette en fin de spectacle en incarnant un habitué de taverne déprimé par la disparition d’une époque. Son monologue, qui dérive tantôt sur les bars, sur les « biosexuels », sur les jeunes en général, sur le trafic et même sur l’infertilité, s’avère particulièrement brillant.

Avec L’histoire révélée du Canada français, 1608-1998, Alexis Martin et Daniel Brière ont fait un travail remarquable de recherche et de synthèse pour produire une œuvre démesurée, à l’instar de l’histoire québécoise qu’ils nous appellent à redécouvrir. S’il arrive que le spectacle s’égare sur des chemins de traverse, dans des anecdotes moins parlantes, l’humour et la chimie entre les acteurs ont tôt fait de reconquérir le cœur du public. Une bien belle et agréable façon de revisiter notre histoire.

24-05-2014