Mon(Theatre).qc.ca, votre site de théâtre
Du 19 au 28 février 2015
BonheurDans la république du bonheur
Texte Martin Crimp
Mise en scène Christian Lapointe
Avec Normand Bissonnette, Lise Castonguay, Denise Gagnon, Davis Giguère, Eve Landry, Joanie Lehoux, Roland Lepage, Noémie O'Farrell

En février, on plonge dans l’écriture crue et l’humour noir de Martin Crimp. Avec notamment Ève Landry, David Giguère et la musique de Keith Kouna, Dans la république du bonheur est mise en scène par Christian Lapointe, artiste multidisciplinaire et dramaturge dont le travail a notamment été présenté au Festival TransAmériques et à Avignon. Il aborde ici le thème de la liberté individuelle à l'intérieur de la collectivité.

Du 22 janvier au 14 février, dans la Salle d’exposition de l’Espace Culturel Georges-Émile-Lapalme, on pourra voir une deuxième œuvre de Christian Lapointe : son installation Orphée 21. Ce dispositif sonore et vidéo aborde la délicate question du suicide à travers les témoignages de quatre rescapés. Leurs histoires personnelles s'entremêlent aux questions posées par une voix de synthèse, jetant ainsi un regard neuf sur le mythe d'Orphée et son voyage au pays des morts. 


Scénographie : Matéo Thébaudeau et Jean Hazel
Costumes : Virginie Leclerc
Éclairages : Martin Sirois
Musique : Keith Kouna
Dramaturgie : Sophie Devirieux
Projections : Lionel Arnould
Coiffures : Sébastien Ouellet
Maquillages : Sébastien Ouellet
Accessoires : Julie Lévesque
Crédit photo : Hélène Bouffard et Stéphane Bourgeois

Tarif : 34$

L'Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté.

Production Le Trident


Cinquième salle de la Place des Arts
Place des Arts
Billetterie : 514-842-2112

Dates antérieures

Du 13 janvier au 7 février 2015, Trident (création)

 
______________________________________
 Critique
Critique

par Marie-Luce Gervais


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Dans notre société nombriliste où les principales « interactions humaines » surviennent à travers le froid d’un écran, où l’image prime tout le reste, où la consommation semble être la clef de tous les maux, quelle perception peut-on avoir du bonheur ? Est-on trop aliéné par la loi de la facilité pour même simplement se poser la question ? Et qu’est-ce que le bonheur au fait ? Peut-il être universel ou est-ce le fruit d’une démarche individuelle ? Dans la république du bonheur nous plonge dans cette quête d’un bonheur tantôt factice et superficiel, tantôt pur et transparent.

Dès l’ouverture du rideau débute une sorte de célébration du kitsch. Tout y est : toilette chimique, faux gazon, sable, grosse piscine gonflable, chaises longues, bar dans lequel est intégré un gros écran, appareil de musculation, faux palmier… L’histoire débutant lors d’un souper de Noël familial, cadeaux, cantiques et lumières de Noël abondent. Les membres de cette famille échangent et déballent une montagne de cadeaux avec un magnifique sourire figé. Leurs interactions projettent une perfection plastique. Puis, l’une des jeunes femmes déballe une poupée ; on comprend alors qu’elle est tombée enceinte de manière irréfléchie, et c’est l’amorce du déraillement. La nature exacte des relations fait tranquillement surface ; jalousie de l’une, égocentrisme de l’autre, vanité de la grand-mère et perversion du grand-père… Le coup de grâce de cet éclatement familial survient toutefois à l’arrivée de l’oncle Bob. Celui-ci déverse alors son fiel à l’endroit de sa propre famille, poussé par sa femme Madeleine qui attend sagement dans la voiture. Le couple a décidé de s’offrir une vie parfaite, coupante et transparente, et ils ont l’intention de partir pour ne plus jamais revenir. Lorsque Madeleine fait soudainement irruption dans la maison, tout bascule, la réalité éclate. On tombe alors dans un chaos théâtral saturé dans lequel se mêlent projections, marionnettes, synthétiseurs et où la parole est portée par tous de manière fragmentée, de sorte qu’elle devient déconstruite et n’appartient plus à personne de distinct.

La mise en scène de Christian Lapointe recrée une ambiance festive, voire jubilatoire, alors que cette famille se déconstruit sous le regard captivé du spectateur. Rien d’amer ne surgit toutefois de cette déplorable vision de notre société, mais plutôt une invitation à la réflexion sur la place de l’individualité au sein de la communauté et l’origine du bonheur.

Martin Crimp, l’auteur, est certainement considéré comme la figure de proue du théâtre contemporain britannique. Ses textes constatent, sans toutefois porter de jugement, la cruauté et la violence de la société actuelle. Il attaque avec cynisme des sujets tels que l’angoisse, la lutte entre l’individualisme et le conformisme, les désillusions des nouvelles générations et le mal de vivre de notre époque.

Dans la république du bonheur est un hybride entre performance, théâtre post-humain, concert électro-rock et délire psychotique. Si l’intellect aura bien de la difficulté à déchiffrer un sens précis, il n’en demeure pas moins qu’une fascination troublante se dégage de cette œuvre déconstruite, fascination qui, d’ailleurs, risque de demeurer longtemps en tête !

23-02-2015



par David Lefebvre


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

L’auteur Martin Crimp est l’une des figures emblématiques de la dramaturgie anglaise des 30 dernières années. Son style très tranchant, voire sévère, a fait sa renommée, et ce, au-delà des frontières de son Angleterre natal. Ses personnages ne ressentent pas toujours les émotions qu’ils véhiculent, ou ne sont pas « eux-mêmes », entre autres parce que les répliques ne sont distribuées à aucun personnage particulièrement. Ainsi, Crimp déconstruit totalement la forme narrative conventionnelle pour créer une nouvelle forme théâtrale à même le langage des protagonistes.

Si ses pièces sont davantage connues à Montréal qu’à Québec – mentionnons que La ville, La campagne et Le traitement ont été montées sur les scènes de la métropole au cours des dix dernières années – Crimp fait son entrée à Québec grâce à son œuvre la plus récente (2012), intitulée Dans la République du bonheur (In the Republic of Happiness), dans une traduction du romancier français Philippe Djian, adaptée par le metteur en scène Christian Lapointe.

La rencontre entre l’auteur britannique et Lapointe, cet enfant terrible du théâtre québécois, au travail reconnu et remarqué partout dans le monde (dont les projets autour de William Butler Yeats), n’était qu’une question de temps. Lui qui semble adorer se frotter aux textes risqués ou impossibles à monter, le voilà portant la parole de Crimp de façon tout aussi fracassante qu’exacerbée.

Pièce en trois actes, respectivement intitulés Destruction de la famille, Les cinq libertés essentielles de l’individu et Dans la République du bonheur, mêlant dialogues, apartés et chansons, débute avec un party de Noël familial. Si certaines situations sont typiques, dont les deux jeunes filles du couple qui s’engueulent tout en partageant leurs cadeaux sur les réseaux sociaux, d’autres le sont un peu moins, comme le grand-père qui reçoit comme cadeau une revue pornographique. Arrive l’oncle Bob, qui vient annoncer son départ sans retour, se faisant du coup le messager de sa copine Madeleine qui déteste profondément chacun d’entre eux. Le fiel des pensées de Madeleine se répand par la bouche de Bob, sans inhibition, sans retenue. De cette réunion familiale exulte une réflexion extrêmement dense de la condition humaine dans toute sa complexité et sa contemporanéité : ses obsessions, ses paradoxes, ses illusions et désillusions, ses frustrations, ses énormités.

Corrosive, virulente, sans censure, souvent drôle (heureusement) et d’une méchanceté sans borne sous des airs débonnaires ou détachés, Dans la République du bonheur est une implacable comédie dantesque d’un cynisme mordant, brisant au passage quelques tabous. L’écriture y est ici labyrinthique, répétitive, tout aussi fragmentée dans son fond que fluide dans sa forme, capturant même en son cœur les angoisses et les repères technologiques de notre époque. Mais Lapointe va plus loin : sa mise en scène stylisée et extrêmement colorée ajoute une dose de parodie à la satire. La scénographie gazon artificiel et sable, piscine gonflée, palmier et chaises longues, d’un kitsch épouvantable, mais totalement assumé de Jean Hazel et Matéo Thébaudeau, jumelée aux éclairages de Martin Sirois et aux costumes de Virginie Leclerc, frappe un grand coup, brûlant au bûcher des vanités le style American Dream plastifié de trois générations. À l’instar du texte, la mise en scène est d’une spectaculaire densité : c’est une surenchère que propose Lapointe, du dispositif scénique, alliant vidéo en direct sur écran géant avec surimpression d’images ou effets spéciaux, au jeu en parallèle et prise de parole au microphone, en passant par la manipulation de poupées style Barbie à l’effigie des acteurs et l’interprétation de chansons tout aussi catchy que politically incorrect.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

On ne peut qu’admirer l’audace et les ambitions de Christian Lapointe, mais quel est le message de l’homme de théâtre au travers sa vision de cette République du bonheur? Que le bonheur est un abrutissement, une illusion de plus? Car si la pièce en met plein la vue, son propos, autant du côté de Crimp que de Lapointe, laisse perplexe et se dilue dans la quantité incroyable de pistes de réflexion et de dénonciations ironiques (ou non) qui bombardent le spectateur sans relâche, surtout lors de la deuxième partie. La tyrannie et l’obsession du moi, l’absence du père, la destruction de l’harmonie du couple et de la famille, la manipulation amoureuse, l’individualisme-roi, les rêves de conformité ainsi que divers traumatismes sont quelques thèmes abordés au cours de la représentation. Le spectateur perd le contrôle de ce qu’il regarde, de ce qu’il entend, tel un tsunami qui le submerge ; alors que pour certains, la vague est bienvenue, les laissant pantois ou subjugués, la déferlante risque de noyer les autres.

Mentionnons le travail impeccable des comédiens Normand Bissonnette (le père), Lise Castonguay (la mère - troisième pièce dans autant de théâtre depuis l'automne dernier!), Denise Gagnon (la grand-mère), Roland Lepage (le grand-père, dans une forme splendide), Davis Giguère (Oncle Bob), Eve Landry (Madeleine), Joanie Lehoux (la fille Hazel) et Noémie O’Farrell (la fille Debbie) qui défendent une partition extrêmement difficile, sans faux pas. Un exploit.

Anne-Marie Olivier brasse la cage des abonnés et habitués du Trident cette année, avec des propositions qui sortent de l’ordinaire. Après Chante avec moi et Vania, La République du bonheur s’inscrit indubitablement au cœur de cette nouvelle tendance qui désire rajeunir le Trident. Cette coproduction cruelle et déjantée du Trident et du Théâtre Blanc, en collaboration avec la Place des Arts, peut laisser hébété, mais certainement pas indifférent.

16-01-2015