New York, 2005. Deux producteurs de films avides de ciné-vérité rencontrent Anne, dans l’intention avouée de connaître son histoire. Mais Anne ne se prête pas au jeu si facilement. Autour d’elle gravitent alors une quinzaine de personnages, faune urbaine aussi plausible qu’étrange qui traite en direct ses propres histoires. Le destin d’Anne, héroïne malgré elle, deviendra alors le reflet de notre société du spectacle qui carbure de plus en plus au réel.

LE TRAITEMENT est une pièce à l’action hasardeuse et disloquée, une œuvre à deux tranchants, une comédie syncopée, tantôt terre-à-terre, tantôt irréelle. C’est aussi le portrait d’une New York tonique et déjantée.

Andrew : « Le processus de corruption, Anne, passe par trois stades. Le premier est la perte de l’innocence. Le second est le désir d’infliger aux autres cette perte. Le troisième est le besoin de susciter chez les autres ce même désir. »

Né en 1956, Martin Crimp appartient à la jeune génération du théâtre britannique. Il a déjà écrit une quinzaine de pièces qui sont jouées sur toutes les scènes du monde. Auteur singulier, il sait débusquer chaque recoin de matière brute pour le remodeler à sa manière, mais sans jamais nous perdre en chemin.

Pour Claude Poissant, toujours à l’affût de ces écritures en continuelle rupture avec la route à suivre, il faut, avec infiniment de justesse et de délicatesse, savoir s’emparer du réel pour le laver de ses clichés et le tirer vers une transparence qui n’exclut ni la fantaisie ni le fantasme.

LE TRAITEMENT a été créé en mai dernier, au Festival de théâtre des Amériques.

Texte
Martin Crimp

Traduction
Mise en scène
Claude Poissant

Avec
Peter Batakliev, Félix Beaulieu-Duchesneau,
Violette Chauveau, Amélie Chérubin-Soulières,
Francis Ducharme, Catherine Larochelle,
Widemir Normil, Gilles Renaud,
Catherine Trudeau

Assist. mise en scène
Régie
Karine Lapierre

Décor
Jean Bard

Lumières
Éric Champoux

Costumes
Linda Brunelle

Musique originale
Nicolas Basque

Accessoires
Mathieu Giguère

Mouvements
Dave St-Pierre

Maquillages
Angelo Barsetti

 

Théâtre PàP

Du 4 novembre au 3 décembre 2005
Billetterie : 845-4890

 

par David Lefebvre

Né dans les années 50, Martin Crimp est un des seuls auteurs anglais contemporains, avec Sarah Kane, à franchir avec succès les frontières de l'Angleterre. Son écriture cisaillée aborde avec dérision et cruauté la violence des temps modernes. Chez lui, les rapports du théâtre et de la réalité sont constants, il est plaisant de voir à quel point il s'en inspire et s'en distancie à la fois. Ces textes ont aussi certaines particularités, dont les enchevêtrements de dialogues que Crimp signale par un signe "/" à l'intérieur d'une réplique.

Le Traitement ne fait pas exception. Montée au dernier FTA (en mai 2005) par l'inspiré metteur en scène Claude Poissant, la pièce a connu un vif succès et est «reprise» jusqu'au 3 décembre à l'Espace GO.

New York. Anne fuit l'oppression de son électricien de mari, qui l'attache à une chaise et se cagoule pour lui parler. Elle tente alors de vendre son histoire à deux agents artistiques avides d'histoires vraies. Pas si loin, un vieil auteur de comédie tente de sortir enfin de l'ombre ; un acteur humilié tient enfin sa chance de vengeance ; une secrétaire ambitieuse sent son heure venue et parmi eux, un chauffeur de taxi, aveugle.

Tous ces personnages ambigus, et d'autres encore, se retrouvent dans Le Traitement. Texte ironique, teinté par le boogie de la Big Apple, on y perçoit plusieurs niveaux de sens qui se complètent. Perversion, corruption, superficialité, solitude, individualisme, appropriation du bonheur, tous ces thèmes traversent la scène. Le décor est composé que de meubles, que l'on pousse dans les coulisses sans ménagement lorsqu'on a terminé de les utiliser. Les comédiens restent, pour leur part, presque toujours sur scène. Plusieurs répliques se chevauchent : on ne communique pas, on s'exprime. On tente de dépouiller l'autre de sa parole, de son identité. Les rapports entre les personnages sont irréels, ou superficiels : même les scènes de sexe, très explicites, sont sans passion, sans saveur, sans amour. On prend sans donner, comme si on allait perdre une partie de soi en étant altruiste. Les comédiens s'amusent beaucoup et nous proposent des personnages tout aussi typés qu'imprévisibles. Les différents comédiens (Catherine Trudeau, Peter Batakliev, Violette Chauveau, Amélie Chérubin-Soulières, Francis Ducharme, Catherine Larochelle, Widemir Normil et Gilles Renaud) tirent admirablement bien leur épingle du jeu. L'un d'entre eux, Félix Beaulieu-Duchesneau, interprète avec folie un rôle qui ne semble pas si facile au premier regard : le narrateur. Il joue aussi ce chauffeur de taxi aveugle, belle métaphore de ces conducteurs qui sont parfois considérés comme des dangers publics, mais celui-ci est si sympathique qu'on lui pardonne (presque) sa cécité...

New York, c'est la ville, on a droit alors à une scéno de Jean Bard dépouillée, au fond représentant des buildings stylisés où la lumière est omniprésente. Les éclairages d'Éric Champoux s'ajoutent naturellement au décor pour ne former qu'un. Mais cette jungle urbaine est aussi sonore, avec une force comme je l'ai rarement entendu au théâtre. La musique originale est une conception de Nicolas Basque.

Architecture irréaliste qui tend vers l'hyperréalisme pour capter le vécu de personnages tout près d'une certaine réalité, cette excellente pièce pose un oeil critique sur la culture-vérité qui pullule de plus en plus à la télé. Plus on veut montrer la réalité, plus on la déforme, souvent à son profit.

10/11/2005

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Crédit photos : Yanick MacDonald