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Du 26 avril au 21 mai 2016, supplémentaires du 24 mai au 8 juin 2016
887
Texte, mise en scène et interprétation Robert Lepage

De Vinci au Projet Andersen, en passant par Les Aiguilles et l’opium et La Face cachée de la Lune, l’extraordinaire et protéiforme oeuvre scénique de Robert Lepage est rythmée et relancée par ses spectacles solos où il approfondit, à travers l’invention de formes théâtrales, son rapport entre l’intime et le monde. Ces méditations à cœur ouvert, aussi touchantes qu’éblouissantes, repoussent à chaque fois les frontières du théâtre, mais surtout les frontières du champ d’intimité que Lepage, à travers ces fictions, crée avec le public. Cette fois-ci, il nous entraîne dans la mémoire, là où la sienne touche à la nôtre.

Le 887 du titre, c’est le numéro civique de l’avenue Murray à Québec, où Lepage a habité de 1960 à 1970, où il est passé de l’enfance à l’adolescence alors qu’au même moment le Québec passait de province repliée sur elle-même à nation moderne. Alors que le personnage principal, un acteur, n’arrive pas à apprendre par cœur le poème Speak White de Michèle Lalonde, les souvenirs de son éveil au monde lui reviennent, s’imbriquant aux ressouvenances collectives, comme la visite du général de Gaulle, comme ce projet de drapeau canadien qui faisait place à la nation canadienne-française, comme… la naissance d’un théâtre qui serait notre mémoire.


Section vidéo


Direction de création et idéation Steve Blanchet
Musique originale et conception sonore Jean-Sébastien Côté
Éclairages Laurent Routhier
Conception des images Félix Fradet-Faguy
Assistance à la mise en scène Adèle Saint-Amant
Autres concepteurs Peder Bujman, Sylvain Décarie, Ariane Sauvé, Jeanne Lapierre
Visuel Jean-François Gratton

Production Ex Machina
Créée à l’initiative du Programme artistique et culturel des Jeux Pan Am et Parapan AM de Toronto 2015. En coproduction avec le Théâtre du Nouveau Monde; le lieu unique,  Nantes; La Comète – Scène nationale de Châlons-en-Champagne; Le Théâtre français du Centre national des Arts d’Ottawa; Célestins, Théâtre de Lyon; Edinburgh International Festival


TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

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Critique

La mémoire personnelle au service du collectif

Robert Lepage présente ces jours-ci, au Théâtre du Nouveau Monde, son spectacle solo 887, près de 10 ans après avoir joué Le projet Anderson au même endroit. Si le vécu personnel de l’artiste est toujours très présent dans son travail, ce sixième solo est sans doute celui qui s’affiche le plus ouvertement autofictionnel. Prenant appui dans le Québec des années 1960 et 1970, Lepage met en parallèle son enfance et son adolescence dans la capitale avec la montée du mouvement souverainiste. Sous des allures de conférence sur son propre travail de création, Lepage fait découvrir son entourage au public, de sa grand-mère atteint de la maladie d’Alzheimer aux voisins de l’immeuble de six logements qu’il habitait lorsqu’il était petit.


Crédit photo : Érick Labbé

C’est autour du fil conducteur de la mémoire que se tisse le spectacle, qui débute alors que Lepage doit apprendre le poème Speak White de Michèle Lalonde pour une soirée célébrant le 40e anniversaire de la célèbre Nuit de la poésie du 27 mars 1970. La difficulté que lui pose la mémorisation de ce poème de trois pages lui sert de prétexte pour s’interroger sur le fonctionnement de la mémoire. De quelle manière les souvenirs se hiérarchisent-ils dans notre esprit ? Qu’est-ce qui fait que l’on se rappelle parfois avec exactitude de détails anodins alors que des événements importants nous échappent?

En ancrant sa pièce dans un lieu très précis, soit le 887 avenue Murray à Québec, Robert Lepage utilise également la géographie de la capitale – notamment la toponymie des parcs, des rues et des bâtiments – comme prétexte pour revisiter l’histoire du Québec. Plusieurs documents d’archives s’insèrent d’ailleurs dans le spectacle, comme des photos anciennes de la jeunesse de son père, ou encore un extrait de la lecture du manifeste du FLQ à la télévision de Radio-Canada.

Dans ce spectacle, la mémoire individuelle de Lepage est constamment mise en parallèle avec l’histoire nationale. L'artiste semble incapable d’aborder les vingt premières années de sa vie sans établir un parallèle avec la situation sociopolitique de l’époque. C’est donc son regard d’enfant et d’adolescent sur l’histoire du Québec qui transparaît, alors qu’il démontre à quel point cette mémoire est défaillante et oublieuse, et ce, malgré les « Je me souviens » qui apparaissent sur les plaques d’immatriculation des voitures québécoises. Grâce à son père, chauffeur de taxi et soutien financier d’une famille nombreuse, Robert Lepage a toujours été très conscientisé aux luttes de classes qui faisaient des Anglais les patrons et des Français les ouvriers. En 1967, alors que Charles de Gaulle prononçait « Vive le Québec libre ! », il était présent au défilé, ayant fait la route entre Québec et Montréal pour assister à cette visite historique. Ce moment est d’ailleurs reconstitué grâce à une maquette dont les détails sont reproduits sur grand écran grâce à des manipulations de l’artiste avec son téléphone cellulaire. Ce procédé low tech ingénieux est réutilisé à plusieurs moments dans la pièce – que ce soit pour faire visiter les différents logements de son bloc appartement ou pour raconter un de ses Noëls passé à Château-d’Eau –, ce qui crée un contraste intéressant avec la complexité générale des manipulations de l’espace scénique qui constitue la marque de commerce de la compagnie Ex Machina. Rappelons que si Lepage semble apparaître seul sur scène, une dizaine de techniciens l’accompagnent toujours en coulisses.

À l’automne 2013, Lepage avait organisé une rencontre théâtrale à l’Anglicane de Lévis, afin de présenter les grandes lignes de son « nouveau spectacle solo ». Déjà à ce moment, l’essentiel de la pièce était déjà présent, que ce soit la scénographie qui oscille entre le low-tech et le high-tech, ou encore les souvenirs clés de son enfance qui ponctuent son récit. Ce travail de longue haleine transparaît dans la version du spectacle présentée au TNM, alors que le comédien, auteur et metteur en scène offre un spectacle abouti et parfaitement maîtrisé. 887 se présente donc comme une pièce authentique et intime, qui donne au public un miroir très juste de la société québécoise des années 1960 et 1970. C’est à une célébration poétique et pertinente de la culture du Québec que l’artiste nous convie.

01-05-2016