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Du 21 au 26 février 2015, 20h, mardi 19h30, dimanche 15h et 20h
Oh les beaux joursOh les beaux jours
Texte Samuel Beckett
Mise en scène Marc Paquien
Avec Catherine Frot et Jean-Claude Durand

La merveilleuse Catherine Frot est non seulement une star du cinéma français, mais aussi une immense comédienne de théâtre. Foulant pour la première fois la scène québécoise, c’est sur les planches du TNM qu’elle ramène l’auteur le plus étonnant du vingtième siècle, Samuel Beckett. Tout ce que cette comédienne d’exception porte de pétillant, de léger, de profond, de drôle et de nuancé, elle le donne à son personnage de Winnie, une incurable optimiste, en dépit du fait que Beckett l’a placée dans la plus cauchemardesque des situations. Sous un soleil aveuglant et le regard impuissant de Willy, son mari, elle s’enfonce dans le sol au milieu d’un étrange désert… Mais qu’à cela ne tienne ! Winnie salue chaque matin avec le sourire, s’écriant : « Encore une journée divine. »

Mettant à profit les immenses qualités de sa comédienne, le metteur en scène Marc Paquien met en valeur tout ce qu’il y a chez Beckett de vivant, de proche, de familier, s’appuyant sur l’humour sec et le formidable allant qui propulse cette comédie grinçante. La pièce déploie une énergique et touchante défense et illustration de la résilience humaine face à l’érosion de la mémoire, de l’identité, de l’être. Car Winnie, malgré son reten­tissant optimisme, n’est jamais dans le déni des doutes qui l’assaillent et des gouffres qui l’effraient. Mais elle ne se laisse pas abattre. Jamais !


Collaboration artistique : Elisabeth Angel-Perez
Décor : Gérard Didier
Lumières : Dominique Bruguiere, assistée de Pierre Gaillardot
Costumes : Claire Risterucci
Maquillages : Cécile Kretschmar
Photo Pascal Victor/ArtComArt

Sera aussi présenté à Québec du 16 au 18 février 2015 à La Bordée

1 h 30 sans entracte

Une production Compagnie des Petites Heures


TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668

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 Critique
Critique

par Sara Thibault

Une étoile filante


Photo prise sur la page Facebook de La Bordée

Du 21 au 26 février 2015, le Théâtre du Nouveau Monde offre à son public un moment de grâce en présentant Oh les beaux jours, de Samuel Beckett. La pièce raconte l’histoire de Winnie, ensevelie jusqu’à la taille, puis jusqu’au cou, dans un monticule de sable en forme de mamelon. Durant un peu plus de 80 minutes, la femme s’émerveille du monde qui l’entoure, de la vie qu’elle a vécue. Elle s’adresse à son mari Willie qui ne l’écoute plus depuis longtemps, mais qui lui procure quand même l’énergie vitale dont elle a besoin pour réfléchir à l’existence, au temps qui passe, à l’angoisse du vide. Pour lui, elle se met du rouge à lèvres, se coiffe, enfile une robe légère et un collier de perles. Le contraste est frappant entre la logorrhée de Winnie, qui ne peut pas bouger de son trou, et l’inaction de Willie, qui aurait le pouvoir d’agir, mais qui préfère se taire.

Les personnages de Beckett sont souvent marginaux, vagabonds ou éclopés. Toutefois, Oh les beaux jours est la seule pièce de Beckett à offrir une figure féminine aussi lucide et résiliente. Prise dans le sol, Winnie est essentiellement devenue un être de parole qui s’étonne de la moindre petite fourmi, qui résiste du mieux qu’elle peut à l’ennui.

Catherine Frot est magistrale dans son interprétation de Winnie, dont elle fait ressortir l’espièglerie et l’humour. Elle correspond parfaitement à la description que l’on retrouve dans la didascalie initiale de Beckett, « une femme dans la cinquantaine souriante, à la fois burlesque et fragile ». Le texte de Beckett est construit comme une partition musicale où les mots se répètent et se répondent tout au long du spectacle (« le vieux style », « quelle belle journée ce sera aujourd’hui »). Frot arrive à rendre intéressant le ressassement incessant de la même routine, des mêmes interrogations, des mêmes observations. La virtuosité de la comédienne atteint son paroxysme dans le deuxième acte du spectacle, alors que seule sa tête ressort de la terre. Toute l’émotion du texte passe par les expressions de son visage et de son regard, alors qu’elle sent que la fin est proche.

Le scénographe Gérard Didier troque l’« étendue d’herbes brûlées » dont fait mention Beckett par un immense récif d’une extrême blancheur. Un écran laisse voir un no man’s land à perte de vue, dont Winnie ne peut pas profiter, faute de ne pouvoir se retourner pour admirer sa beauté. Les costumes gris de Claire Risterucci se confondent dans le décor, accentuant l’impression que les personnages sont en train de se faire engloutir par leur environnement. La sobriété de l’esthétique scénique permet de laisser toute la place à l’actrice qui évolue sur scène.

Marc Paquien propose une mise en scène digne de l’intelligence du chef d’œuvre de Beckett. Ce Oh les beaux jours fait partie des rares soirées de théâtre dont le souvenir nous hantera longtemps.

24-02-2015