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Du 20 septembre au 8 octobre 2011, mardi au samedi 20h15, mercredi 19h15
TranchéesTranchées
Texte de Hanokh Levin
Texte français de Laurence Sendrowicz
Mise en scène de Marc-André Thibault
Avec Charles-Étienne Beaulne (remplacé par Lucien Abbandonza-Bergeron), Olivier Berthiaume, Alexandra Cyr, Karyne Lemieux et Marc-André Thibault

Les tranchées symbolisent la séparation. Entre deux pays, deux idéaux, deux êtres humains. On peut imaginer la solitude des hommes qui s'y trouvent, en plein coeur des confrontations, espérant quelque chose de mieux pour leur vie. Ironiquement, même à l'extérieur des tranchées, les hommes n'échappent pas à ces effets de tension et d'isolement.

Tranchées et une série de tableaux issus de la plume d'Hanokh Levin, auteur israélien d'une lucidité implacable. Écrit avec humour en plein bombardement israélo-palestinien, Tranchées dresse le portrait d'hommes et de femmes ayant de la difficulté à s'adapter à une société précaire et à comprendre leurs pairs. Ils aspirent à plus, se congnent à la réalité... sont déçus.

Quarante-trois personnages défendus par cinq comédiens se révèlent dans des situations absurdes pleines d'humanité. Dans cet univers où flirtent humour incisif, délicieux malaises et situations inusitées, notre propre ridicule est mis à nu. Jusqu'où peut-on en rire?

Les sketches du spectacles sont tirés des recueils Que d'espoir! et Douce vengeance et autres sketches publiés aux éditions Théâtrales.


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Scénographie et lumières Ariane Sauvé
Conception musicale Laurent-Emmanuel Malo

Production Théâtre Bistouri


Prospero
1371, rue Ontario est
Billetterie : (514) 526-6582

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 Critique
Critique

par David Lefebvre

La toute première production de la jeune compagnie du Théâtre Bistouri propose, dans la salle intime du Prospero, Tranchées, une pièce à l’humour parfois corrosif et cynique du dramaturge et metteur en scène israélien Hanokh Levin, composée de 20 tableaux tirés de deux recueils, soient Que d’espoir! et Douce vengeance et autres sketches, publiés aux éditions Théâtrales. Totalitarisme et liberté de choix, apparences pas si trompeuses, politesse exagérée et douce vengeance, discours de guerre, manipulation intellectuelle de l'éducation par le doute et la négation, angoisses de l'angoisse, retrouvailles manquées, représailles, excuses devant l’inadmissible : Levin nous amène dans les tranchées de l’humanité où s’opposent des idées, des images, où se confrontent des pensées, des émotions, des êtres, des désirs distincts. L’écriture de cet homme de lettres, mort trop jeune en 1999 d'un cancer des os, est véritablement imprégnée de son époque, de la tension et de la culture inflammable de son pays natal, ayant vécu au cœur de la période la plus intense et trouble du conflit israélo-palestinien. Dérangeants, parfois moralement censurés, ses textes, acérés, touchent directement les points sensibles – qu’ils soient militaires, politiques, sociaux ou religieux – de ses compatriotes, avec beaucoup d’acuité et d’audace, tout en étant d’une grande universalité.

Rappelant vaguement le théâtre de Jean-Michel Ribes (sans les chutes délicieusement rigolotes), ou même, plus près de nous, celui de Frédéric Blanchette avec Pour faire une histoire courte, Tranchées se veut un mélange bien dosé d’absurde et de malaise, d’insolite et de ridicule ; grâce à un humour tout aussi mordant, sournois que dramatique, on dissèque et révèle avec habileté l’homme dans toute sa complexité et sa contradiction. Devant un mur de sac de sable, un décor catastrophe minimaliste créé par Ariane Sauvé, les cinq comédiens interprètent plus d’une quarantaine de personnages. Deux d’entre eux se démarquent : d’abord Lucien Abbondanza-Bergeron, qui s’amuse terriblement, entre autres, sous les traits d’un gradé de l’armée qui discourt après une guerre de 11 minutes, ou d’un homme qui demande candidement à un employé d’un hôtel londonien quand il sera inspecté. Puis Karyne Lemieux, délicieusement convaincante dans la peau d’une professeure de primaire qui réussit à provoquer le doute chez une mère (Alexandra Cyr) en questionnant certains des concepts les plus naturels du monde, de la rondeur de la terre à l’existence de l’Australie, et qui, lors de la première, s’est vu applaudie après une performance impressionnante d’une touriste racontant à vitesse grand V son plus récent voyage, jonglant entre les plaisirs et les contraintes qu’elle a vécues lors de celui-ci. La troupe, complétée par Marc-André Thibault et Olivier Berthiaume, offre sans équivoque plusieurs bons moments, même si le jeu et le rythme se veulent, à quelques reprises, légèrement inégaux ; un défaut qui se corrigera aisément après quelques représentations.

Marc-André Thibault, qui signe ici sa première mise en scène, prend délibérément position et vient appuyer l’ironie, la confrontation et la précarité qui se dégagent des textes de Levin par une ambiance de conflit armé, par des costumes aux teintes de brun et de kaki et des transitions qui démontrent un certain ton tragique où la mort rôde souvent. Se détachant délibérément de la critique sociale de Levin qui se voulait parfois vindicative, l’adaptation et le collage des sketches de Marc-André Thibault se concentrent, et ce, de façon admirable, sur l’absurdité de la guerre et de certains comportements existentiels de l’être humain.

Incisif, tout aussi intelligent que divertissant, Tranchées est une très belle réussite pour le Théâtre Bistouri et ses jeunes membres.

22-09-2011