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Du 15 au 17 novembre 2013, 20h, supplémentaires 1er juin 2014 18h, 2-3 juin 2014 15h
J'entends les mursJ'entends les murs
danse-théâtre - première mondiale
Texte et mise en scène Ève-Chems De Brouwer
Avec Maurice Decelles, Alexandre Demange, Jody Hegel, Ève-Chems De Brouwer

Elle danse. Eux la regardent danser avec leurs doigts. Ils posent leurs mains sur elle et découvrent tous ses mouvements. C'est comme ça qu’ils reconnaissent la beauté : du bout des doigts. Moi, j’adore regarder les gens. C'est ça que je fais de mes yeux. Dans les aéroports, je peux les regarder pendant des heures s’embrasser, se serrer dans les bras, se dire adieu ; la gestuelle de la tendresse. J’aime voir les vêtements aussi, les histoires qu’ils racontent, comment ils nous transforment. Eux, quand ils se mettent à danser, leur mouvement est troublant, singulier, inimitable. Ils sont aveugles et n’ont pas appris par mimétisme, en regardant faire les autres. Depuis 2008, Ève-Chems interviewe des personnes non-voyantes ; ça lui permet d’observer ce que nous faisons de nos yeux, de nos autres sens. Comment on tombe amoureux quand on ne voit pas ? Quelle est la place du visuel, du toucher dans nos vies ? Qui suis-je, dépourvue de ce dont j’ai l’air ? Comment donner une image de soi quand on ne voit pas ? Comment vit-on dans le noir ?

Née d’une mère égyptienne et d’un père belge, Ève-Chems De Brouwer a été formée comme comédienne à l’École Supérieure du Théâtre National de Strasbourg. Elle a participé à la création du collectif franco-russe Si près du loin. C’est dans ce cadre qu’elle a imaginé ses premières performances en France et à Yaroslav avec des danseurs et des non-professionnels. Elle a travaillé pour la télévision et pour le théâtre, notamment avec Frank Vercruyssen, du collectif flamand Tg Stan, pour sa création Le Tangible. En 2010, elle a donné un atelier à l’École de danse Rezodanse d’Alexandrie en Égypte. Elle a écrit et mis en scène sa première pièce, Le Gène de l’Amour Fou, pour le festival Esprit de Famille au Théâtre 71. C’est pour l’écriture de cette pièce qu’elle a commencé de longues séries d’interviews. Puis elle a écrit L’aire de Broca. En juin 2011, elle est sélectionnée pour participer aux Rencontres internationales des jeunes créateurs de la scène dans le cadre du FTA. Elle a réalisé, avec la photographe Marie Augustin, le film J’entends les murs sur son travail avec les personnes aveugles. Elle vit aujourd’hui à Montréal.


Prise de son des interviews Julia Innes
Conseils artistiques Yan Giroux, Mélanie Garcia, Annick Blanc, Morgan Guicquéro
Photo Julie Artacho

Une présentation La Chapelle
Une production Eve-Chems De Brouwer.
Créée en résidence à La Chapelle et au Monument-National.


La Chapelle
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : 514-843-7738

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 Critique
Critique

par Pascale St-Onge

Les personnes non voyantes qui nous entourent peuvent-elles avoir accès à la danse contemporaine, comme interprète, ou encore simplement comme spectateur ? Voilà la question que pose le lumineux spectacle J’entends les murs de Ève-Chems de Brouwer, dans le cadre du festival ARTDANTHÉ, à la Chapelle. Qui plus est, l’équipe a cherché un moyen de créer la rencontre entre cette fraction de la population et cet art pour lequel les yeux nous semblent indispensables.

Avec un processus très rigoureux pour documenter sa démarche (l’artiste a interviewé plusieurs aveugles avant l’écriture du spectacle), J’entends les murs prend des allures de danse-documentaire. Il donne d’abord accès au quotidien de deux hommes aveugles et interprètes du spectacle, Maurice Decelles et Alexandre Demange. Le texte et la mise en scène abordent avec finesse leur réalité à travers des activités anodines (la cuisine, l’habillement, un jeu de poursuite, etc.) et nous plongent, aussi, pendant quelques minutes, dans leur « vision » de la vie en éteignant tous les éclairages, pendant que les deux hommes continuent leurs activités. Finalement, la danseuse canadienne Jody Hegel nous présente une façon d’initier ses partenaires de scène à son art qu’elle chérit : la danse contemporaine. Par le toucher, en posant leurs mains sur son corps d’interprète et en suivant ses mouvements, elle leur offre une réelle chance de percevoir la danse, une forme artistique à laquelle ils n’avaient pas accès.

Ce spectacle est beaucoup de choses à la fois. Il dénonce, sans brutalité aucune, la pudeur et le tabou reliés au toucher, ce sens essentiel au bon fonctionnement des personnes non voyantes. Il documente et représente le quotidien d’hommes et de femmes que nous pouvions faussement juger comme des personnes aucunement autonomes. Et surtout, ce spectacle passe à l’acte en offrant une solution concrète au problème exploré, celui d’offrir une perception du mouvement à ceux qui ne peuvent le voir.

Avec un humour omniprésent, des interprètes vrais et attachants et un impact communautaire possible et concret, J’entends les murs est jusqu’à présent le spectacle le plus rafraîchissant présenté cette année à La Chapelle. Véritable coup de cœur, il faut espérer que ce spectacle ait l’opportunité d’être présenté à nouveau pour profiter à un public beaucoup plus large et diversifié. Chapeau à Ève-Chems de Brouwer pour ce moment magnifique.

17-11-2013