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Du 26 avril au 19 mai 2012, 20h
KanataKanata, une histoire renversée
théâtre - marionnettes
Texte Jean-Frédéric Messier et Loup Bleu
Mise en scène Antoine Laprise et Jacques Laroche (assistés de Catherine Desjardins-Jolin)
Avec Antoine Laprise, Jacques Laroche, Suzanne Lemoine, Guy Daniel Tremblay

Au commencement, les morceaux de terre forment un cercle. Et celui qui s’avance dans le cercle doit raconter son périple : il doit témoigner. Nous sommes au centre d’un atoll qui va se transformer. Il faut imaginer le territoire vu en coupe, avec ses strates géologiques qu’on embrasse d’un seul regard. À la surface, tout bruisse, tout chante, tout craque : des créatures se faufilent entre les branches des arbres et font de drôles de sons la nuit. De petites caméras cachées dans les bosquets suivent un canot qui descend la rivière. À son bord, un Iroquois du Saint- Laurent – ou un Huron, un Montagnais, un Attikamek ? – qui discute avec... un loup bleu ! Kanata, une histoire renversée : à l’aide d’une maquette géante, le Sous-marin jaune réécrit l’histoire de notre pays d’un point de vue amérindien.

Le Sous-marin jaune
Le Sous-marin jaune débute en 1995 avec un Candide, d’après Voltaire. En 2000, La Bible remporte le Masque de la meilleure production à Québec. Avec Le Discours de la méthode d’après Descartes (2005) et Les Essais d’après Montaigne (2008), la compagnie poursuit son travail d’adaptation et de pillage des classiques de la littérature de tous les temps avec ce mélange de dévotion et de manque de respect qui la caractérise. Tout ça n’est qu’un prétexte pour raconter des histoires. Ajoutons que le public est conquis parce que plongé en lui-même. C’est à une histoire de la pensée qu’il est convié.


Section vidéo
une vidéo disponible

     

     


Scénographie, lumière Christian Fontaine
Assistance à la scénographie et marionnettes Katia Talbot, Erica Schmitz
Environnement sonore Christian Bouchar

Une présentation et une production Théâtre Le Sous-marin jaune

www.loupbleu.com


La Chapelle
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : 514-843-7738

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Dates antérieures (entre autres)

1er au 26 novembre 2011, La Bordée (création)

 
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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon

Rectifier l’histoire


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Après sa création au Théâtre de la Bordée en novembre dernier, la nouvelle production du Théâtre du Sous-marin jaune se déplace dans la métropole le temps de quelques représentations. Kanata, « un spectacle conçu exclusivement par des animaux », propose de raconter l’histoire du Canada du point de vue des Amérindiens. Les Européens n’y jouent donc qu’un rôle d’arrière-plan.

Partant du principe que notre histoire a été falsifiée, Jean-Frédéric Messier et le Sous-marin jaune en offrent une relecture dite renversée. « Et si nous avions fait fausse route? Et si la vision que nous avons de notre passé était erronée? Et si nous étions privés d’une grande partie de notre bagage historique – et mythique – en niant l’apport des Premières Nations et nos véritables liens avec elles? » Tel est l’objet du travail de recherche entamé par Messier, et poursuivi par les metteurs en scène Antoine Laprise et Jacques Laroche.

Kanata – Une histoire renversée (1ère partie), présentée jusqu’au 19 mai à La Chapelle, couvre les débuts de la colonisation jusqu’à la Grande Paix, signée à Montréal le 4 août 1701. Si le spectacle vulgarise bien les principaux évènements ayant marqué cette période de l’histoire de l’Amérique du Nord, le foisonnement de dates, de lieux et d’évènements donne presque le vertige. Contrairement aux spectacles précédents comme Le discours de la méthode  et Les essais qui prenaient le ton du cours de philosophie, Kanata ne synthétise pas aussi bien. Le spectateur ne retiendra que les grandes lignes de cette histoire, la nôtre, que l’on connaît peu : les sauvetages de la colonie naissante par les Amérindiens, les épidémies parmi les Premières Nations, la guerre du castor...

Kanata n’a rien de la reconstitution historique, d’abord et surtout parce que les protagonistes sont tous représentés par des marionnettes, ensuite parce que la production est résolument ludique. Jean-Frédéric Messier estime d’ailleurs que les marionnettes leur ont permis « de toucher à un sujet peut-être trop délicat pour être manipulé autrement. » Pas de comédiens portant le pagne donc, mais plusieurs marionnettes, des masques et des figurines. Et même un corbeau-caméraman qui nous fait apprécier des contre-plongées et des gros plans tout en nous donnant une autre perspective des scènes historiques. Contrairement aux Essais, dans lesquelles la vidéo occupait une place prépondérante au détriment du texte, dans Kanata, le multimédia s’intègre parfaitement au reste de la pièce. Quant aux marionnettes, elles sont à la hauteur du talent des manipulateurs. À ce titre, Jacques Laroche montre une impressionnante maîtrise.

Se tournant volontiers vers les outils les ayant bien servis précédemment, les metteurs en scène s’approprient la scène de La Chapelle pour la transformer en une grande maquette représentant les territoires amérindiens. Cette maquette se révèle très mobile et se scinde dès le premier tableau en plusieurs plateaux de jeu. La scénographie (signée Castor, très fière d’avoir grugé toute seule le décor) se  modifie au gré des scènes historiques rejouées sous nos yeux. Les comédiens déplacent les tables sur roulettes qui constituaient la carte du territoire. Elles deviennent tour à tour des villages amérindiens, le « chemin-qui-marche » ou Montréal, déjà aux prises avec un embouteillage monstre,  le jour de la Grande Paix. Ces tables cachent de nombreuses surprises : elles s’ouvrent, pivotent, se transforment en castelets...

On retrouve également l’humour propre au Sous-marin jaune, un mélange habile de clins d’œil contemporains (comme la guerre entre Montréal et Québec) et de passages ludico-pédagogiques. Malgré quelques répliques bien aiguisées, le célèbre Loup bleu est cependant beaucoup plus en retrait que dans les autres spectacles de la compagnie. Il partage même son rôle de narrateur avec Castor. Bien qu’intéressant, Castor est moins expressif que Loup bleu, dont le rire mythique ne fait qu’une brève apparition en début de représentation.

Riche cours d’histoire et d’anthropologie, Kanata est en soi une petite incursion dans une culture amérindienne millénaire. Grâce à Loup bleu et à son équipe animalière, cette première partie donne le ton, et le bon, pour la suite du voyage.

29-04-2012

 


par Chloé Legault


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Le 1er novembre 2011 avait lieu la première représentation très attendue de Kanata, une histoire renversée 1ère partie au Théâtre de la Bordée. Si le Loup bleu a vu substantiellement augmenter le nombre de ses amateurs, après son fameux Candide, grâce à des spectacles comme La Bible, Le Discours de la méthode et Les Essais (d’après Montaigne), Kanata ne frappe malheureusement pas aussi fort.

La pièce raconte un pan de l’histoire du Canada, de sa découverte jusqu’en 1701, année de La Grande Paix, en adoptant la perspective des Amérindiens plutôt que celle des Européens à laquelle nous sommes habitués ; idée fort intéressante. Seulement, l’histoire de Kanata est décousue et morcelée.  Les liens entre les différentes scènes semblent parfois forcés, un peu comme s’il n’y avait pas de fil conducteur, ou du moins, comme s’il n’était pas assez solide et marqué. Certaines scènes sont toutefois bien réussies, une en particulier, celle d’un couple d’Amérindiens qui discute à propos du possible baptême de leur enfant ; la conversation tourne presque en débat, la femme refusant de voir son enfant baptisé, contrairement à l’homme qui lui le désire. Une autre scène avec ces deux personnages se démarque du spectacle, lorsque l’homme agonisant demande à sa conjointe de ne pas tuer les « robes noires », les religieux ; la réponse de la femme, sarcastique à souhait, est impeccable. On en aurait demandé davantage.

Si l’humour dentelé du Loup bleu tend à poindre ici et là, il n’en demeure pas moins qu’il manque de mordant. Ce personnage – qui est d’ailleurs, rappelons-le, le directeur artistique du Théâtre du Sous-marin jaune – semble même effacé par moment, et ce, dès le début du spectacle, alors que la formule d’ouverture est dite par Castor d’Or, plutôt que par lui. En effet, dans Kanata, Loup bleu partage son rôle de narrateur omniscient avec une femelle castor un tantinet perverse, pour ne pas dire carrément lubrique. Un beau personnage, bien que Castor d’Or semble voler la vedette au détriment de Loup bleu.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Alors que le projet sur Descartes s’appropriait de façon magistrale l’espace scénique, et que Les Essais étaient essentiellement de la vidéo, les metteurs en scène Jacques Laroche et Antoine Laprise prisent une direction, une scénographie, et des accessoires plus « minimalistes », les marionnettes et les maquettes étant plutôt petites. Hormis les toutes premières rangées, le spectacle semble loin, ou alors joué dans un espace trop grand. Un corbeau muni d’une caméra permet parfois de capter l’action de plus près, projetant ses images en direct sur un écran circulaire en fond de scène. Si la technique ne pallie pas totalement le problème, elle procure tout de même quelques effets amusants, dont l’intervention d’une hermine, autre personnage animalier qui accompagne Castor et Loup et qui s’improvise avec beaucoup d’humour reporter télé.

Enfin, tous les ingrédients pour un bon spectacle sont réunis ; pourtant, la recette ne prend pas complètement. Il manque un brin de rythme et les manipulateurs semblent avoir de la difficulté à s’approprier le texte, les répliques sonnant parfois fausses ou décalées. Peut-être est-ce parce que le texte de  Kanata n’a pas été écrit par l’équipe du Sous-marin jaune, signé essentiellement par Jean-Frédéric Messier ? Ou encore, peut-être aurait-il fallu deux semaines de répétitions supplémentaires au Loup bleu et à son équipe pour bien s’approprier l’histoire ? Ne les condamnons toutefois pas trop vite, Kanata est un projet qui mûrira, et d’autres projets sont en chantier, tous plus excitants les uns que les autres.

06-11-2011