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Du 7 au 16 mars 2013, 19h30, vendredi 8 mars à 18h30
Grains de sableGrains de sable
Texte et mise en scène Milena Buziak
Avec Kathleen Aubert, Jean Belzil-Gascon, Jean-Guy Bouchard, Isabelle Montpetit et Isabelle Miquelon

Dans la pure tradition du théâtre documentaire, Grains de sable est construit à partir de plusieurs entretiens menés avec des personnes liées par leur expérience de l’Afghanistan. Trois hommes : un colonel, un adjudant, un caporal. Trois femmes, épouses de militaires.

« C’était une odeur, l’odeur sur ses vêtements, une – une odeur de soldat… pas son odeur à lui, là. »  

Revenir… Pour les hommes, revenir c’est se retrouver seul face à leur expérience, face à leurs actes. La pression et le soutien du groupe, si présents lors de la mission, se dissolvent. La souffrance ne se partage plus de la même manière. Les femmes, au contraire, se rapprochent. Pour les uns comme pour les autres, le plus dur n’est pas la mission en elle-même, mais bien le retour à une vie « normale ».  

« T’as ton arme dans tes mains, 8 heures après t’as ton bébé dans les bras. » 

Le théâtre ici est lieu de rencontres : entre le « réel » des entretiens et la « fiction » théâtrale, entre ce qui est, ce qui n’est plus et ce qui n’a jamais été – un espace où les frontières oscillent et s’effacent. Rien n’est jamais noir ou blanc et c’est dans les zones grises, dans la poussière du sable, que l’action se situe. Avec comme ambition de faire entendre la langue singulière, le souffle, les respirations de ces destins si proches et pourtant si lointains de nous. Avec comme défi de se maintenir sur la corde raide entre le jugement et la défense, l’absolution et la condamnation du système et de ses participants.


Dramaturgie Pascal Brullemans
Scénographie Anne-Frédérique Préaux
Costumes Amélie Jodoin et Mélissa Péron
Lumières Hugo Dalphond
Son Calvin Clarke, Julien Éclencher et Tristan Henry
Assistance à la mise en scène Priscille Amsler

Chaque représentation est suivie d'une discussion avec le public

Vendredi 8 mars à 18h30, suivi d’une table ronde : « Où est passé l’enthousiasme guerrier? ». Invités : l’ex soldat Martin Petit qui a brisé la loi du silence en 2007 lorsqu’il a publié le livre Quand les cons sont braves et Sarah-Myriam Martin Brulé, professeure et chercheure à l’Université Bishop dans le Département de Politique et Études Internationales. Animation : Paul Lefebvre.

Carte Prem1ères
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 13 au 19 mars
Régulier : 22$
Carte premières : 11$

Production Voyageurs immobiles
Coprésenté par Voyageurs immobiles et Espace libre


Studio Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : 514-521-4191

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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon


Crédit photo : Maxime St-Jacques Couture

Avec Grains de sable, quatrième production des Voyageurs immobiles, la metteure en scène Milena Buziak fait entendre la voix des vrais acteurs de la guerre, celle qu’on entend assez peu, à cause d’une culture du silence, mais peut-être aussi parce qu’on ne cherche pas vraiment à l’écouter. Trois militaires nous parlent de leur dépaysement et de leurs pertes de repères, non seulement quand ils partent en mission en zone de guerre, mais aussi quand ils en reviennent. Le spectacle donne aussi la parole aux femmes de militaires, qui doivent faire face à des défis d’un tout autre genre, à commencer par une difficile séparation.

Les comédiens se mettent en bouche assez naturellement les mots de ces militaires et de leurs femmes pour nous décrire leur réalité. Attablée légèrement en retrait, Buziak nous raconte sommairement ses difficultés à entrer en contact avec des militaires et nous donne quelques statistiques. Le texte dramatique, créé à partir de 20 heures d’entretiens avec trois militaires et leurs conjointes, demeure très près des témoignages recueillis (fautes de syntaxe et accents compris). Rappel évident que nous sommes dans un théâtre documentaire avant tout. Les témoignages n’en demeurent pas moins des plus pertinents et intéressants, surtout en ce qui concerne le caractère quasi irréconciliable de ces mondes : celui du soldat parti en mission et celui de sa femme, demeurée au pays. Le couple plus âgé, interprété par Jean-Guy Boucard et Isabelle Miquelon, propose également un point de vue plus serein, qui détonne agréablement.

Pour ces soldats, qui sont souvent encore « là-bas » par le corps autant que par l’esprit, la plus grande difficulté est de se réadapter à la vie quotidienne, à une réalité qui a changé en leur absence : les enfants ont grandi, les conjoints ne sont parfois plus rendus au même point dans leur vie... La pièce aborde de front plusieurs sujets sensibles, mais demeure malheureusement souvent en surface sans s’attarder à certaines problématiques pertinentes, notamment les répercussions psychologiques des combats sur les militaires et leurs proches (conjoints comme enfants), les blessures physiques (on tient fidèlement le décompte des morts, mais en oubliant souvent de mentionner les nombreux blessés), et la perception des familles de militaires, qui se sentent jugées par une société généralement très critique envers l’armée.

Tant les témoignages que les faits rapportés entourant le travail de recherche piquent notre intérêt, mais ni l’un ni l’autre ne satisfont pleinement notre curiosité. Le spectacle demeure en effet dans le domaine du connu. Ce sable omniprésent en Afghanistan, celui évoqué par le titre, on n’y goûte pas vraiment, même si on en fait littéralement tomber sur scène. On ne sent justement pas assez ces grains de sable dans l’engrenage de la belle machine de guerre canadienne, la machine à produire des héros. Les confidences des soldats paraissent figées par la forme choisie, comme si, demeuré trop collé aux témoignages recueillis, le récit n’avait pas totalement pris son envol.

Avec la publication de livres, la diffusion de reportages, et la présentation de pièces comme Grains de sable, qui jettent un éclairage nouveau sur l’expérience vécue par les Canadiens en Afghanistan, la culture du silence n’est plus aussi absolue. Signe sans doute qu’après cette longue guerre de 10 ans, dont on ne sait pas trop si on l’a gagnée ou perdue, il est temps de discuter d’humains plutôt que d’armes et de stratégies militaires. Une discussion que Grains de sable amorce intelligemment, mais qu’il faudra certainement pousser plus loin.

12-03-2013