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Du 19 février au 16 mars 2013, les mardis 19h, mercredi au samedi 20h
FurieuxFurieux et désespérés
Texte et mise en scène Olivier Kemeid
Avec Émilie Bibeau, Marie-Thérèse Fortin, Maxim Gaudette, Denis Gravereaux, Johanne Haberlin, Pascale Montpetit, Mani Soleymanlou

En 2008, je suis allé en Égypte pour la première fois de ma vie. J’ai pu rencontrer les très rares membres de ma famille qui ne se sont pas exilés lors de la Révolution de 1952.

Chrétiens francophones du Moyen-Orient depuis des générations, les Kemeid qui sont restés ont vécu la transition d’un ancien monde aristocratique, dominé par les forces impériales européennes, à un nouvel ordre nationaliste, autonomiste, détaché de l’Europe.

Je suis allé chez Béatrice Badr, née Kemeid. Béatrice habite l’appartement où mon père est né. Un appartement que mon père a quitté avec sa famille quand il avait six ans, et qu’il n’a jamais revu. Pas plus qu’il n’a revu sa ville, son pays, sa famille qui est restée. On ne revient jamais au pays de son enfance.

Béatrice m’a parlé des difficultés de la vie quotidienne au Caire, des nombreuses fois où la guerre civile a failli éclater à nouveau, de la peur de revivre les événements tragiques du Grand incendie de 1952. Elle m’a dit qu’elle a pensé maintes et maintes fois tout abandonner pour nous rejoindre au Québec. Puis elle m’a pointé le soleil orangé qui tranquillement plongeait dans le Nil, où alors était-ce la terre baignée par la lumière crépusculaire, je ne sais plus, et a murmuré : « Mais je ne pouvais pas quitter ça. »

Trois ans plus tard, cette terre s’est embrasée à nouveau, à la suite d’un élan de fureur et de désespoir sans précédent. J’ai souvent parlé, dans mes pièces, de ceux qui partent. Furieux et désespérés parlera de ceux qui restent.

- Olivier Kemeid


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Assistance à la mise en scène et régie Stéphanie Capistran-Lalonde
Conception visuelle Romain Fabre
Éclairages Étienne Boucher
Musique originale Philippe Brault
Mouvement Estelle Clareton
Accessoires Loïc Lacroix Hoy
Maquillages et coiffures Angelo Barsetti
Assistance aux costumes Chantal Bachand

les mardis à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h
le dimanche 3 mars à 15 h
Les Curiosités
à l’issue de la représentation du 26 février
Rencontre avec l’équipe
à l’issue de la représentation du 27 février

Une création du Théâtre d’Aujourd’hui et de Trois Tristes Tigres


Théâtre d'Aujourd'hui
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Valérie Remise

Avec sa compagnie Trois Tristes Tigres, le polyvalent homme de théâtre Olivier Kemied conjugue la réflexion philosophique et les idéaux progressistes. Parfois brillantes, parfois échevelées, ces pièces proposent toujours une vision intéressante de la place de l’individu dans un monde complexe.

Sa récente création intitulée Furieux et désespérés joue sur deux tableaux. Elle comporte à la fois de magnifiques moments de pure poésie, et d’autres passages alambiqués et lassants. Le nouveau texte du dramaturge et metteur en scène complète une trilogie amorcée par la fabuleuse et poignante Énéide d’après l’œuvre de Virgile, et poursuivie par le remarquable Moi, dans les ruines rouges du siècle inspiré des souvenirs du comédien Sacha Samar. Pour sa toute nouvelle œuvre, il s’est inspiré de son premier voyage effectué en Égypte, pays de ses ancêtres. Son écriture démontre l’importance d’assumer son passé pour mieux comprendre le présent. Sa quête sensible décortique sur le lourd héritage à porter pour un individu vivant l’exil autant de l’extérieur que de l’intérieur.

Durant près de deux heures, l’histoire se balade entre le Québec et un pays du Proche Orient non identifié. Elle suit les péripéties de Mathieu, alter ego de Kemeid, qui part rencontrer pour la première fois la famille de son père restée là-bas. Parti depuis 48 ans sans n’y avoir jamais remis les pieds, le paternel revit ses souvenirs au loin à travers son fils. Ce dernier se retrouve en terres tumultueuses, alors que le printemps arabe de 2011 ébranle le quotidien et la tranquillité de la population locale. Il se retrouve devant un choix déchirant: retourner dans le confort du pays d’adoption ou rester affronter les affres violentes de la révolte avec ses proches retrouvés.

L’un des grands mérites de la démarche d’Oliver Kemeid depuis son arrivée sur la scène théâtrale demeure son regard percutant sur les enjeux contemporains de nos sociétés complexes. Rarement poseuse, son écriture évite fort heureusement le manichéisme grandiloquent sur le bien et le mal qui a plombé les plus récentes propositions de Wajdi Mouawad (dont Ciels et sa trilogie sophocléenne), ou encore le moralisme de certaines productions bien-pensantes et suffisantes sur les pauvres victimes et les bourreaux tortionnaires des conflits armés. Ses prises de position artistique sur des sujets dérangeants et rarement consensuels demeurent nuancées et souvent empreintes d’humanisme pour ses personnages. La pièce Furieux et désespérés s’inscrit avec cohérence dans ses réalisations antérieures, sans rupture, mais sans nécessairement illustrer une évolution significative. Et la présence de figures féminines fortes très assumées évoque par certains aspects l’univers de Michel Tremblay.


Crédit photo : Valérie Remise

La décision pour un dramaturge de mettre en scène ses propres textes demeure une situation parfois périlleuse. Pour la présente production, nous retrouvons d’excellentes idées, des scènes lumineuses accolées à d’autres plus accessoires et parfois même inutiles qui auraient gagné à être supprimées. Un regard extérieur aurait détecté ces couches superflues qui noient le propos. Par exemple, au début de son périple, le protagoniste rencontre une boutiquière et masseuse à l’allure excentrique (interprétée par Pascale Montpetit) sans apporter une quelconque pertinence à l’histoire ou ajouter un réel élément humoristique. Peu de temps avant le dénouement, l’apparition de Johanne Haberlin vêtue à la Cléopâtre paraît également plutôt superflue, à moins d’y voir une certaine ironie chez la jeunesse de ce pays en guerre intestine. Certaines intrigues plus secondaires brisent le rythme et cherchent trop à appuyer la démonstration idéologique sans transcender ses bonnes intentions.

Le mélange des véritables événements politiques à un récit initiatique entraîne un certain décalage et des inégalités dans la construction de la pièce. Les ombres de ce fameux printemps arabe sont évoquées, mais manquent d’ancrage et de souffle pour susciter un intérêt dramatique soutenu. Malgré les cris, les pas haletants des personnages pris dans la tourmente, ce sont les instants plus intimes qui se révèlent les plus remarquables. Lorsque Mathieu (Maxim Gaudette) parle de la neige à Eryan (Mani Soleymanlou), le vocabulaire du dramaturge s’exprime avec une sensibilité éloquente, imprégnée avec éclat de l’imaginaire et du territoire québécois. Les femmes de la famille sont particulièrement éloquentes par leur amalgame de fragilité et de force plus ou moins tranquille, comme des volcans prêts à exploser. Par ailleurs, un échange épistolaire entre le protagoniste et son paternel confère également une dimension poignante, bouillante d’émotion et de vérité profonde. Les dernières répliques bouclent cette aventure initiatique avec une grandeur et une ferveur grandiose alors qu’apparaît une vieille photo de la famille Kemeid en fond de scène.

Bien que certains interprètes héritent de rôles plus accessoires, l’ensemble de la distribution se révèle à la hauteur. Avec son énergie nerveuse, Maxim Gaudette est impeccable dans son rôle d’un individu à la recherche de ses racines, et par le fait même de son identité. La brillante Marie-Thérèse Fortin apporte une dimension altière, fière et blessée à cette femme farouche qui refuse de plier l’échine devant les épreuves du destin. Johanne Harbelin et Denis Gravereaux excellent dans leurs passages plus dramatiques, bouleversants de chagrins et de vulnérabilité. Malgré une énergie rageuse et exubérante, Émilie Bibeau se démarque pourtant moins bien que ses confrères et consoeurs, offrant un personnage trop en surface alors que tant de choses se cachent et veulent se révéler chez cette jeune rebelle.

Olivier Kemeid abhorre la tiédeur et l’ennui. Sa nouvelle œuvre Furieux et désespérés exaspère parfois et fait grincer des dents, mais s’élève aussi grâce à des instants de beauté indomptable, pleins de vie éclatante dans leur refus de l’abdication. 

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