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Festival TransAmériques - 22-23-24 mai 2013, 20h
Un ennemi du peupleUn ennemi du peuple
Théâtre
En allemand avec surtitres en français et en anglais
Un spectacle de Schaubühne Am Lehniner Platz
Texte Henrik Ibsen
Mise en scène Thomas Ostermeier
Adaptation et dramaturgie Florian Borchmeyer
Interprétation Thomas Bading + Christoph Gawenda + Moritz Gottwald + Ingo Hülsmann + Eva Meckbach + David Ruland + Stefan Stern

Il est à chaque époque des artistes déterminants et le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier fait partie de ceux qui, au XXIe siècle, redéfinissent le sens, la place et l’envergure du théâtre. S’emparant d’Un ennemi du peuple d’Ibsen de la même façon qu’un résistant empoigne une arme, Ostermeier nous plonge dans un dilemme pourtant familier — l’intégrité ou l’argent ? —, mais avec une telle acuité, une telle pertinence, une telle science des manœuvres du pouvoir et un tel abandon à la fragilité humaine que le spectateur en vient lui-même à entrer dans la fiction au cours d’une mémorable séquence d’assemblée publique.

Dans ce spectacle d’une redoutable intelligence, porté par un urgent désir de prendre la parole sur le monde d’aujourd’hui, Ostermeier renouvelle par de lumineuses audaces la grande tradition germanique, tout en demeurant fidèle à l’idée d’un théâtre nécessaire à la cité.

Par la force innovatrice et le sens toujours fouillé de ses productions théâtrales, la Schaubühne, qui a célébré ses 50 ans d’existence en septembre dernier, est l’une des plus importantes compagnies théâtrales au monde. Fondée à Berlin-Ouest en 1962 par un collectif animé par Jürgen Schitthelm, dans l’idée d’établir un théâtre soucieux de questionnements sociopolitiques, la Schaubühne prend véritablement son essor en 1970 avec l’arrivée du metteur en scène Peter Stein, qui en assurera la direction artistique jusqu’en 1985, accompagné de fabuleux acteurs, parmi lesquels Edith Clever, Jutta Lampe, Angela Winkler et Bruno Ganz. Avec eux, il crée au cours de ces années des spectacles d’importance historique, dont Grand et petit de Botho Strauss (1978), L’Orestie d’Eschyle (1980) et Les trois sœurs de Tchekhov (1984).

La Schaubühne connaît une véritable refondation par l’arrivée en 1999 du metteur en scène Thomas Ostermeier et de chorégraphes qui en font un lieu où le théâtre et la danse s’influencent mutuellement, comme on a pu le voir avec Körper de Sasha Waltz et Trust de Falk Richter et Anouk van Dijk, présentés au FTA respectivement en 2009 et 2011. Thomas Ostermeier, qui assure seul la direction artistique depuis 2009, a surtout créé une compagnie d’acteurs permanents qu’il a formés pour donner une brûlante immédiateté à des écritures aussi diverses que celles de Sarah Kane (Manque, 2000, Anéantis, 2005), d’Ibsen (Maison de poupée, 2002, Hedda Gabler, 2005, John Gabriel Borkmann, 2008-2009), de Marius von Mayenburg (Visage de feu, 1999-2000, Parasites, 2000, Eldorado, 2004) ou de Shakespeare (Le songe d’une nuit d’été, 2006, Hamlet, 2008, Othello, 2010, Mesure pour mesure, 2011) et qui donnent à ses mises en scène une profonde humanité.


Section vidéo
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Scénographie Jan Pappelbaum
Costumes Nina Wetzel
Musique Malte Beckenbach + Daniel Freitag
Lumières Erich Schneider
Dessins Muraux Katharina Ziemke
Photo Arno Declair
Rédaction Paul Lefebvre
Traduction Neil Kroetsch

Création à l’Opéra-Théâtre, Avignon, le 18 juillet 2012

Durée : 2h30

Tarif régulier : 58 $ / 48 $
30 ans et moins /
65 ans et plus : 48 $ / 43 $
Taxes et frais de services inclus

En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 23 mai

Présentation en collaboration avec Place Des Arts + Carrefour International de Théâtre (Québec)
Avec le soutien du Goethe-Institut Montréal + Ministère Des Affaires Étrangères d’Allemagne


FTAThéâtre Jean-Duceppe
Place des Arts
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est

 
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 Critique
Critique

par Pascale St-Onge

À quoi peuvent survivre nos convictions?


Crédit photo : Arno Declair

C'est un coup d'envoi mémorable que nous offre la septième édition du Festival TransAmériques avec Un ennemi du peuple de l'Allemand Thomas Ostermeier. La résonance qu'a la programmation du FTA d'année en année avec notre contexte social frôlait hier soir le surréalisme; en effet, la pièce d'Ibsen traite des problèmes éthiques et politiques suivant la découverte d'une contamination d'eau d'un village au même jour où la ville de Montréal lançait un avis d'ébullition sur pratiquement l'ensemble de son territoire. Cette coïncidence exceptionnelle a bien entendu teinté la représentation, les acteurs saisissant l'occasion pour faire quelques allusions non verbales cocasses et auxquelles le public a réagi vivement.

Thomas est un scientifique doué et son frère, Peter, le maire de la ville, lui a trouvé un poste aux Thermes, l'industrie qui fait vivre la communauté. Lorsque Thomas y fait une découverte scandaleuse et dangereuse pour l'image des investisseurs et autres, tout se met à tourner autour de lui. Chacun tentera de sauver son image, de sauver l'économie de la ville aux dépens de la moralité. Bien que Thomas, porté uniquement par de bonnes intentions, tente de se faire entendre pour le bien et la santé de la communauté, il sera lui-même porté à douter en raison de toutes les conséquences inattendues d'un tel geste. Ostermeier aborde l'oeuvre de façon tout à fait contemporaine et urbaine avec l'aide d'une distribution à la hauteur de ses idées et d'une scénographie qui se transforme, à l'aide de craie ou carrément de peinture, au fil des scènes, imageant le chaos s'installant peu à peu dans la tête et les idées de Thomas, selon également sa réputation changeante.

Mais les résonances ne se résument pas seulement à l'eau. Ce scientifique bâillonné, la corruption et la manipulation de l'information ne sont que quelques exemples qui nous réfèrent presque directement à notre actualité politique municipale, provinciale ou fédérale. Ostermeier vise juste, l'adaptation de l'oeuvre d'Ibsen sert l'idée et tout le reste s'emboîte naturellement. Passant d'une structure théâtrale très rigide et aux conventions d'abord assez traditionnelles, le cadre s'assouplit jusqu'à en devenir pratiquement aléatoire avec la participation du public comme élément de risque. En effet, le public est appelé à converser avec les comédiens dans un exercice démocratique populaire fort intéressant. Cette interaction nous force à réfléchir à tous les aspects de la question, selon la position de chacun.

Incroyablement contemporain, Un ennemi du peuple est le visage troublant de la manipulation politique, du pouvoir de l'argent ou du salissage public. Si tous les personnages se disent d'abord pour une forme de révolution, pour la vérité et militent pour le bien commun, le public constate rapidement le changement de rôle que chacun endosse. À quoi peuvent donc survivre nos convictions? Voilà une question inquiétante qu'aborde le metteur en scène autant au sein de ses comédiens, mais aussi du public avec l'exercice populaire en troisième partie, en abordant toujours l'autre aspect de la médaille. Même le public se fait prendre puisque la discussion entre celui-ci et les comédiens révèle une lacune évidente : il est bien beau de tout révéler, mais lorsque l'économie tombe, un autre problème se pose et visiblement, malgré toutes les bonnes intentions du public très impliqué dans la discussion, aucune solution viable ne fût envisagée pour sauver cette ville.

La pertinence et l’intelligence de ce spectacle résident dans sa capacité à ramener le théâtre au centre du débat citoyen, d’impliquer directement le public dans la réflexion de Thomas Ostermeier et c’est ici une excellente façon de repenser l’utilité sociale du théâtre dans une application pratique. En plus de ses autres qualités, dont l’interprétation dynamique et sa scénographie, Un ennemi du peuple s’avère être un moment de théâtre à la hauteur de nos espoirs.

23-05-2013