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Festival TransAmériques - 7, 8 juin, 19h, 9 juin 2012, 16h
SeedsSeeds
Théâtre
En anglais
Un spectacle de Porte Parole et Crow’s Theatre
Texte Annabel Soutar
Mise en scène Chris Abraham
Avec Bruce Dinsmore, David Ferry, Mariah Inger, Alex Ivanovici, Tanja Jacobs, Cary Lawrence, Liisa Repo-Martell

Théâtre agro-documentaire
Qu’y a-t-il vraiment dans votre assiette ? Des monstres ? Certains accusent la multinationale Monsanto d’être un nouveau docteur Frankenstein et de ne plus contrôler les bricolages biologiques qu’elle a lâchés dans la nature et les supermarchés. Son attitude ? Contrôler davantage. Quand un fermier de la Saskatchewan décide de lui tenir tête, quatre ans de procès sont déclenchés. Alors, trois avertissements. Un : tous les mots entendus sur scène ont réellement été prononcés. Deux : c’est plus compliqué que David contre Goliath. Trois : une histoire peut en cacher une autre, bien plus menaçante.

Annabel Soutar et sa compagnie Porte Parole reviennent sur ce sujet explosif abordé dans une première version de Seeds, qui soulevait déjà de grands questionnements en 2005. Avec la complicité ingénieuse du metteur en scène torontois Chris Abraham, elle redonne voix à des agriculteurs, des chercheurs, des avocats, des relationnistes de Monsanto et des activistes, afin que chacun joue le rôle qui lui est assigné dans le grand théâtre économique contemporain.

Annabel Soutar

Décaler les regards
En janvier 2000, un objet théâtral atypique intitulé Novembre était présenté sur la scène du Studio du Monument-National : 16 comédiens jouaient verbatim des paroles prononcées lors de la campagne électorale québécoise de novembre 1998. Avec cette création, écrite par Annabel Soutar et mise en scène par Alex Ivanovici — qui, encore aujourd’hui, codirigent la compagnie —Porte Parole venait d’entrer en scène. Dans ce premier spectacle étaient déjà présentes les lignes de forces de leur démarche artistique : collecte de paroles, montage du matériau avec le souci d’une multiplication des points de vue, mise en valeur de la nature ambigüe des objets sociaux et politiques, recherche des enjeux réels derrière les enjeux apparents, le tout dans une perspective citoyenne. Ainsi, Porte Parole s’est intéressée entre autres aux marchés financiers (2000 Questions, 2002), à l’immigration algérienne (Montréal la Blanche, 2004), aux échanges économiques entre le Canada et la Chine (Import/Export, 2008) et à la construction des infrastructures routières (Sexy béton, 2009-2010). Principale auteure de la compagnie, Annabel Soutar est née à Montréal ; elle a été formée en théâtre documentaire par Emily Mann au cours de ses études à l’Université de Princeton.

Chris Abraham

Pour Seeds, Porte Parole s’engage dans une première collaboration avec Chris Abraham, le directeur artistique du Crow’s Theatre de Toronto : artiste engagé, à l’étonnante envergure — sa pratique va de Sophocle à John Mighton en passant par Ionesco —, il est préoccupé par la mise en forme théâtrale des enjeux philosophiques et politiques contemporains.


Lumières Ana Cappelluto
Scénographie et costumes Julie Fox
Son et composition Richard Feren
Installations vidéo et multimédia Elysha Poirier
Photo Guntar Kravis
Avec le soutien de Hexagram, Playwrights’ Workshop Montréal
Rédaction Paul Lefebvre

Création au Young Center for the Performing Arts, Toronto, le 18 février 2012

Durée : 2 h 30

Tarif régulier : 30 $
30 ans et - / 65 ans et + : 25 $

Forfaits en vente 15% à 40% de réduction

En parallèle
- Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 8 juin
- Français et anglais - mardi 29 mai 2012 - 17h
Créer en français et en anglais au Québec - Au-delà des barrières de langues et des différences culturelles, comment se vit la collaboration dans le contexte des arts de la scène au Québec ? Avec AMY BLACKMORE, CATHERINE BOURGEOIS, CHRISTIAN LAPOINTE, ANNABEL SOUTAR (Seeds, Montréal).
En collaboration avec la Quebec Drama Federation et le Conseil québécois du théâtre
Animation : Sylvain Massé
Entrée libre - Quartier général

Production Porte Parole et Crow's Theatre


FTAThéâtre d'Aujourd'hui
3800, rue Saint-Denis
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est

 
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 Critique
Critique

par David Lefebvre

La compagnie de théâtre documentaire Porte Parole voit le jour en 2000 et propose Novembre, une pièce qui rapporte les mots de dizaines de Québécois recueillis de la Gaspésie jusqu’en Estrie, en rapport avec les élections provinciales de 1998. Depuis, Porte Parole touche à de multiples thèmes sociaux : la santé, la sous-traitance, les immigrants, et plus récemment, les infrastructures et la responsabilité civile, avec le triptyque Sexy Béton, présenté au Centre Segal et à Fred-Barry. La force de Porte Parole se trouve dans sa capacité de rendre vivants les témoignages des différentes personnes interviewées, en créant une dramaturgie du réel, tout en manipulant celui-ci pour mieux l’expliquer et approfondir les nombreux questionnements qui en découlent.

L’auteure montréalaise Annabel Soutar s’attaque, avec le projet Seeds, au procès opposant la multinationale Monsanto au fermier saskatchewannais Percy Schmeiser. Monsanto l’accuse d’avoir utilisé des graines de canola génétiquement modifiées, brevetées par elle et résistantes à l’herbicide Roundup – un produit développé, d’ailleurs, par la firme biotechnologique – sans en payer les frais. Si le fermier clame que les pousses ont crû par accident sur ses trois acres de terrain, la compagnie tente de prouver le contraire. Monsanto remportera le procès, sans pourtant prouver hors de tout doute que Schmeiser s’est procuré de façon illégitime le canola en question. Le vieil agriculteur, projeté à l’avant-scène, deviendra une figure emblématique de la lutte des fermiers indépendants contre la multinationale, et le conflit, amené jusqu’en Cour Supérieure en 2004, placera les OGM (organismes génétiquement modifiés) au cœur des préoccupations de plusieurs Canadiens et Canadiennes.

Avec Seeds, Annabel Soutar démontre une fois de plus son immense talent d’auteure et peint une fresque dense, mais animée et passionnante, inspirée par les verbatim du procès et par plusieurs entrevues réalisées avec Schmeiser, Trish Jordan de Monsanto, des scientifiques canadiens et américains, des employés gouvernementaux et des avocats. Soutar donne ainsi une voix à toutes ces personnes, qu’elles soutiennent ou non la cause du fermier des Prairies. Car, plus la pièce évolue, plus on sent que rien n’est ni noir, ni blanc. On peut critiquer, certes, l’éthique de la compagnie, mais qui dit que Schmeiser n’a pas menti sur la provenance des semences? Et la tribune qu'il détient depuis, à raison ou à tort, fait un mal irréparable à l'entreprise. Les propos recueillis par la narratrice, l’alter ego de l’auteure (un ajout majeur à la production, qui se distingue par le fait même de la première version de la pièce, datant de 2005), chez les voisins et les habitants de Bruno, en Saskatchewan, ne sont guère reluisants et jette un ombrage défavorable sur l’agriculteur. L’histoire se complexifie de manière exponentielle ; au lieu de chasser l’ambigüité du revers de la main et prendre parti, Annabel Soutar entretient le doute pour que l’auditoire puisse réfléchir et se fasse sa propre idée. Car, finalement, tout est une question de perception.

Si le premier acte se concentre sur le procès de la fin des années 90, le deuxième questionne de façon beaucoup plus large : qu’est-ce que la vie ? À qui appartient-elle? Quels sont les dangers ou les réels impacts des OGM? Si aucune réponse n’est avancée, plusieurs pistes sont à la portée des spectateurs.

La mise en scène de Chris Abraham se veut sophistiquée, mais jamais lourde, aux notes d'humour rafraichissantes. Un immense écran rectangulaire propose des images préenregistrées et captées en direct de la salle par deux caméras. Le plateau, lors de la première partie, se veut chargé, mélangeant les meubles d’une maison de campagne aux accessoires de laboratoire de recherche. Lors de la seconde partie, l’équipe dégagera l’espace de jeu en ne conservant qu’une table et quelques chaises. En ouvrant ainsi la scène, l’histoire prend une certaine envergure, se dirigeant vers l’international, et permet aux questionnements plus philosophiques d’entrer en jeu. Durant tout le spectacle, on n’hésite aucunement à s’adresser au public en l’interrogeant ou en lui parlant directement ; il est ainsi toujours interpellé, au cœur de la présente création.

Seeds échappe à ces documentaires accusatoires en tentant de balancer plus ou moins également les différentes opinions des partis en cause. Chaque prise de parole par les protagonistes se veut importante, intéressante, et l’idée de créer des mises en abîme et des confrontations entre les personnages qui n’ont, à priori, aucun rapport entre eux, ajoute un dynamisme salutaire et un suspense excitant à l’entreprise. Si tous les comédiens sont d’une grande justesse, et ce, dans la peau de tous leurs personnages, Tanja Jacobs se démarque en avocate de la poursuite qu’on adore détester et David Ferry est renversant dans le rôle de Schmeiser. La jolie Liisa Repo-Martell, jouant avec naturel la sympathique narratrice enceinte de quelques mois  - une autre sorte de semence, cette vie qui surprend toujours - crée le lien émotif parfait dans ce dédale scientifique et judiciaire.

L’écriture de Soutar et la mise en scène d'Abraham se veulent claires, précises, captivantes. Sans verser dans la controverse, en multipliant les points de vue et sans prendre réellement position, le duo réussit à résumer et à rendre accessible une histoire d’une jolie complexité, tout en abordant des thèmes plus généraux de grande importance : la résistance, la contamination biologique et intellectuelle, l’impact et la responsabilité des grandes entreprises sur nos vies, la conscience sociale et environnementale. Simplement brillant ; un genre de théâtre que l’on aimerait voir plus souvent sur nos scènes parfois ennuyeuses ou trop conventionnelles.

08-06-2012