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Festival de Casteliers 2015
4 mars 2015, 17h30
Guerre et paix
Très courte forme pour adultes
Texte : Louis-Dominique Lavigne assisté du Loup bleu (d’après Tolstoï)
Mise en scène : Antoine Laprise
Interprètes : Antoine Laprise, Jacques Laroche

Avec sa finesse d’esprit légendaire, Loup bleu revisite ce grand classique de la littérature russe. Il relate les passions et tourments d’un peuple dans une guerre où même l’hiver est à combattre. Il réfléchit sur l’amour, sur le quotidien qui se vit à l’ombre des champs de bataille et sur l’Histoire, telle que perçue par Léon Tolstoï. Une Histoire où la liberté d’action des héros, des grands hommes, est remise en cause, où le hasard joue un rôle déterminant.Une adaptation irrévérencieuse de Louis‐Dominique Lavigne, assisté du Loup bleu.


Section vidéo


Scénographie et éclairage : Christian Fontaine
Marionnettes : Stéphanie Cloutier
Musique : Martin Tétreault (environnement sonore)
Répétitrice et œil extérieur : Lise Gionet
Techniques : Marionnettes à gueule et à cheval!

Durée 2 minutes

Production Théâtre du Sous-Marin Jaune et Théâtre de Quartier (Montréal)


Théâtre Outremont
1248, avenue Bernard Ouest

GRATUIT
 
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 Critique
Critique

par David Lefebvre (critique de la pièce complète)

Guerre
Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Rien ne résiste au Loup bleu, le plus célèbre mammifère carnivore de notre théâtre québécois : ni la Bible, ni Montaigne, encore moins Léon Tolstoï et sûrement pas son public, toujours aussi conquis par son humour sarcastique et ses réflexions sociopsychologiques sur le monde de ses « frères humains ». En compagnie de Louis-Dominique Lavigne (au texte) et de son acolyte de toujours, Antoine Laprise (à la mise en scène), Loup bleu nous plonge au cœur de la plus grande fresque littéraire militaire russe jamais rédigée, Guerre et paix.

Ce bouquin de plus de 2000 pages, publié d’abord en feuilleton entre 1865 et 1869, brise, à l’époque, plusieurs codes du roman. Par son réalisme inéluctable et ses descriptions psychologiques, Tolstoï jette un regard fataliste sur l’histoire de la Russie à l’ère napoléonienne : quelle importance a le libre arbitre dans l’histoire du monde, alors que les événements sont sous le joug d’un déterminisme historique imparable? Est-ce que la destinée existe? Avons-nous réellement le contrôle sur le cours des choses? En homme très moderne – il sera adepte de l’abolition du servage, de la non-violence, d’un christianisme rationnel et de végétarisme, quelques traits de caractère qui seront disséminés subtilement (ou non) dans le récit – Tolstoï conteste, par l'entremise de ce roman, l’histoire de la campagne de Russie et les théories historiques et militaires de son pays.

Le Théâtre du Sous-marin jaune, en coproduction avec le Théâtre de Quartier, propose une adaptation absolument splendide et ludique à souhait de Guerre et paix, dans la veine du Discours de la méthode créé il y a quelques années. Monté sur un cheval de bois parlant, Loup bleu s’adresse d’abord au public en résumant la brique de papier, et ce, en deux minutes top chrono. La table est mise : si la création aborde les questions de l’inégalité sociale, de la liberté et de la nécessité, elle « n’y répondra pas », en clamant que « l’art doit faire réfléchir ». Et puis, c’est beaucoup plus drôle, non?


Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Les marionnettes utilisées, qu’elles soient en chiffon à gueule ou à deux dimensions, peintes et découpées sur des panneaux de bois, donnent vie avec couleur à plusieurs personnages-clés du roman. Il faut avouer qu’avec sa centaine de personnages, Guerre et paix était tout sauf aisé à adapter : pour se faire, l’équipe de création a extirpé des pages du roman les principales trames humaines et romantiques de Pierre Bézoukhov, d’André Bolkonsky, du Comte Rostov et de sa fille Natacha, d’Anatole Kouragine, de Platon Karataïev, du Général Koutouzov, de Napoléon et… d’un ours. Ces choix narratifs s’avèrent judicieux, et la représentation des personnages l’est tout autant ; il est facile, en un coup d’œil, d’identifier rapidement les Pierre et les Koutouzov de l’histoire, sans s’y perdre – mentionnons le travail toujours impeccable de la fidèle conceptrice de marionnettes, Stéphanie Cloutier, et de ses collègues Amélie Montplaisir et Laurelou Famelart.

Si l’amour occupe une place importante dans le récit, la guerre a tout de même son mot à dire. La bataille de Borodino (à 125 km de Moscou), une réelle boucherie qui verra 70 000 hommes perdre la vie, sera mise en scène de manière tout aussi humoristique que percutante, avec des marionnettes tronçonnées aux fils sanguinolents.

Fidèle à son univers, le Théâtre du Sous-marin jaune (TSMJ) demeure dans le « low-fi », avec ses éléments de décor confectionnés à partir de carton et de bois (Christian Fontaine, Erica Schmitz, Marcel Coulombe et Valérie Gagnon-Hamel). Tous les accessoires seront utilisés de diverses manières, de façon fort créative, dont ce lit, qui occupe le milieu de la scène et qui deviendra champ de bataille ou scène d’évasion de Natacha et d’Anatole – un drap blanc secoué deviendra plaine enneigée ; une scène qui fera applaudir d’émerveillement les spectateurs lors de la première. Certaines pièces rappellent d’ailleurs quelques jouets anciens, spécialement les soldats français et russes avec leurs canons. Les éclairages de Christian Fontaine viennent ici atteindre un sommet inégalé dans les créations du Loup bleu ; l'arrière-scène colorée bleu, rouge ou orange donne le ton aux scènes, alors que les zones illuminées et d’ombre appuient superbement la trame de l’histoire. Martin Tétreault, à la conception sonore, déterre quelques mélodies cinématographiques épiques, tout en donnant un air vieillot à la création grâce à des crépitements typiques d’aiguille sur un disque vinyle.


Crédit photo : Nicola Frank Vachon

Toujours à son habitude, le jeu de la troupe du TSMJ n’est jamais uniquement concentré que sur les marionnettes : alors qu’Antoine Laprise s’occupe généralement (et avec brio) de son Loup bleu et d'Anatole, les trois autres comédiens manipulent et interprètent les autres personnages. Jacques Laroche, toujours aussi fabuleux que sympathique, joue en grande partie ce maladroit Pierre, ainsi qu’un cheval parlant. Paul Patrick Carbonneau se glisse sous les habits de plusieurs personnages avec force et conviction. Finalement, il est absolument impossible de ne pas tomber sous le charme de la nouvelle recrue, Julie Renault, fraîchement diplômée du Cégep Lionel-Groulx (cohorte 2012), sous les traits de la naïve et juvénile Natacha, poupée en main. Son jeu, irréprochable, est d’autant plus remarquable en sachant qu’elle s’attaque au monde de la marionnette pour la toute première fois.

Affublé d’un t-shirt de Pussy Riot – un clin d’œil, fort à propos, au côté anarchiste de Tolstoï et seul anachronisme du spectacle avec la comète qui viendra inspirer Pierre lors d’un moment charnière dans sa vie, représenté par le satellite Spoutnik (qu’il aurait été jouissif de voir davantage de ces ajouts dans la pièce!) – Loup bleu remporte le pari très risqué d’adapter à la scène ce gigantesque récit qu’est Guerre et paix, tout en le rendant hilarant et immensément accessible. Selon la neurologie moderne, comme le Loup le mentionne en conclusion, il existerait un délai entre la prise de décision et la conscience de cette décision, mettant le libre arbitre au banc des chimères. Cela dit, vous n’avez d’autres choix que de voir ce spectacle, puisque le rater de façon délibérée serait une aberration. Tout le monde à La Bordée!

30-10-2014