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Du 9 au 27 avril 2013, 20h, samedi 16h
Ce samediCe samedi il peuvait
Texte Annick Lefebvre
Mise en scène Marc Beaupré
Avec Maxime David, Sébastien David, Alexandre Fortin et Marie-Ève Milot

Ludovic et Julie ont 45 ans, des postes de cadres, une maison à Saint-Bruno, un grand danois pis des jumeaux de 15 ans.Les jumeaux s’expriment dans un parfait synchronisme. Ludovic, Julie et les jumeaux posent des actions mécaniquement programmées. 

Embrasser son conjoint comme on embrasse une cause humanitaire, participer au défilé de la fierté hétérosexuelle, souhaiter l’hospitalisation de ses enfants, monter les 37 étages de sa tour de bureaux à pied, sauter dans une piscine pleine de bouette, avoir peur que sa famille périsse d’un drame de mœurs, mettre des antidépresseurs dans son milkshake, aduler son chien, refuser d’avoir des amis, cracher sur sa descendance, avaler des pièces Lego, fermer sa gueule pis aimer. Aimer sa maison propre, sa voix à l’unisson, son canif bien aiguisé, sa progéniture irréprochable, son compagnon fidèle, sa voiture sport décapotable, sa musique à tue-tête, son efficacité redoutable, son enfance en queue de poisson, son épicerie barricadée, son nouveau BlackBerry, sa Rive-Sud défusionnée pis sa province dans le Canada.

Parce que c’est l’exacte marche à suivre pour ne pas s’écrouler de douleur
lorsque le week-end s’amorce, que l’orage éclate pis que les plans familiaux changent. 

 

Ce samedi il pleuvaitLa tragédie pose mieux que n’importe quelle autre forme littéraire le thème de l’ignorance (l’histoire de l’homme qui, malgré toutes ses compétences, souffre de n’avoir pas su) et de grandes œuvres récentes ont honoré cette structure : Le Parrain II, Star Wars, Blade Runner, Jean de Florette, Incendies. L’épreuve que rencontre la tragédie en tant qu’œuvre de fiction, hier comme aujourd’hui, se trouve dans la vraisemblance du récit : il n’y a pas que le personnage qui ignore les détours du destin, le spectateur aussi doit en être dupe. Ne se joue pas de la volonté humaine qui veut et peu de récits savent adroitement honorer l’art de la tragédie. Ce samedi il pleuvait sait le faire, adroitement, vraisemblablement. Une tragédie moderne sise à Saint-Bruno-de-Montarville.  a créé l’émoi par sa langue crue et inventive lors de ses mises en lecture successives au Festival du Jamais Lu en 2009 et lors des Dramaturgies en dialogue du CEAD en 2011.


Scénographie et costumes Romain Fabre
Éclairages François Blouin
Assistance à la mise en scène et régie Julien Véronneau
Photo : Julie Doucet

Carte Prem1ères
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 9 au 13 avril
Régulier : 25$
Carte premières : 12,50$

30 ans et moins 22$ - travailleurs culturels, membres de la Fédération des aînés du Québec (FADOQ), Détenteurs de la carte Accès Montréal 20$

Production Le Crachoir


Aux Écuries
7285, rue Chabot
Billetterie : 514 328-7437

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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon


Crédit photo : Benoît Beaupré

Après plusieurs réécritures et deux lectures publiques (au Jamais Lu en 2009 et au Centre des auteurs dramatiques en 2011), le texte Ce samedi il pleuvait, d’Annick Lefebvre, prend enfin vie sur les planches. On pourra l’entendre jusqu’au 27 avril aux Écuries, dans une mise en scène de Marc Beaupré.

Dans ce qu’on imagine être une maison de banlieue bien ordinaire avec entrée de garage et piscine hors terre, une famille en apparence normale : la mère, le père, les jumeaux de 15 ans (une fille et un garçon) et Sultan II, leur Grand Danois. Saint-Bruno-de-Montarville. Quelque chose a sonné la fin du statu quo au sein de cette famille. La survenue d’une sauvagerie qui, paradoxalement, parviendra peut-être à les libérer de leur isolement.

L’auteure dresse un portrait de famille bien plus complexe que le laisse d’abord croire la photo de famille peinte en blanc sur le mur noir de la scène. Très vite, le portrait vole en éclat pour dévoiler les tourments des personnages : la mère dépressive, qui ne souhaite qu’une chose : se faire pénétrer par tout, les jumeaux, bouillants de colère et de révolte et le père, obsédé par son chien. En fond de scène, le cliché familial se salit pendant le spectacle tandis que parents et jumeaux y étalent leurs projections, revendications et désirs, à grands coups de craie.

Au-delà du récit d’une famille de banlieue en état de décomposition avancée, l’émotion a du mal à percer, comme éclipsée par la réverbération de toute la charge verbale. La tension et l’inquiétude ne s’invitent qu’à la moitié du spectacle, lorsque les jumeaux mettent leur plan à exécution, un peu tard pour raccrocher le public. En première partie, dans un flot de mots étourdissant, les personnages confient la haine qui les ronge et les désirs qui les consument. Mais ces monologues intérieurs, quoique bien projetés par les comédiens, rendent le spectacle assez statique. La charge ininterrompue ne laisse pas le temps de souffler au spectateur, fixé à sa chaise par la quantité de haine, la grande et la petite, quotidienne, qui ronge cette famille. La seconde partie, plus intense que la première, nous ramène heureusement au cœur du drame dans lequel leur histoire familiale a pris racine, titillant enfin notre fibre sensible.


Crédit photo : Benoît Beaupré

Pour monter Ce samedi il pleuvait, Marc Beaupré a fait appel au comédien Sébastien David et à son jumeau, Maxime, un designer graphique dans la vie. Il ne s’agit pas de leur première expérience commune sur les planches, ils étaient en effet de la distribution de Chambre(s), d’Éric Jean, en 2009 au Quat’sous. Ces vrais jumeaux se retrouvent donc à nouveau sur scène, cette fois dans le rôle d’un jumeau et de sa jumelle, désireux de se dissocier l’un de l’autre, mais qui, ironiquement, expriment leur désir à l’unisson. « Quand je vais être capable de parler sans l’autre, je vais arrêter de subir les allusions fantômes qui me pèsent sur les épaules comme le viaduc de la Concorde effondré sur une carcasse de char. » On comprend, au fil des révélations, de quelle lourde charge il s’agit. Le discours des jumeaux, qui prend la forme d’un « je » double tant la symétrie et la synchronicité sont fascinantes, s’attaque directement à la cellule familiale tout en se campant dans un refus systématique du modèle dont ils sont prisonniers : « Notre mère voudrait nous prendre dans ses bras pis sentir qu’elle existe, mais je lui sauterais sauvagement dans la face si elle osait m’étreindre. » Il faut par ailleurs admirer le travail fourni par les comédiens pour parvenir à parler en presque parfait unisson. À plusieurs moments du spectacle, une seule voix semble résonner dans la salle, une voix porteuse d’une langue singulière, brute et sans compromis.

Le très dense texte de Ce samedi il pleuvait aurait peut-être gagné en tension et en émotion s’il avait été aéré plutôt que mitraillé, mais on suivra tout de même avec intérêt les prochaines productions de la jeune auteure.

11-04-2013