Mon(Theatre).qc.ca, votre site de théâtre
Du 22 au 26 février et du 1er au 5 mars 2017, 20h
La femme comme champ de bataille
Théâtre - En français avec sous-titres en anglais (la 1re semaine) et en farsi (la 2e semaine), sans aucune altération au dialogue original.
Texte Matéi Visniek
Adaptation et mise en scène Naeim Jebelli
Avec Marie-Ève Courcy et Nora Guerch

Dans l’adaptation interdisciplinaire que fait Naeim Jebelli de la très applaudie pièce écrite par Matéi Visniek, deux femmes issues de mondes bien différents verront leurs destins se croiser sur fond de tragédie marquée par la guerre et dont la portée sera beaucoup plus universelle. Bien que la version originale mette en vedette une Bosniaque et une Américaine, Jebelli brise le binarisme de l’Orient et de l’Occident pour créer une expérience culturellement inclusive au moyen d’une trame sonore évocatrice et d’écrans projetant animation interactive, séquences vidéo tournées en zone de guerre et même images du public réuni dans la salle.

Fondateur et directeur d’Hashtpa Productions, Naeim Jebelli s’inspire des différentes cultures et communautés pour transcender les frontières, bonifier ses productions et enrichir la scène culturelle canadienne.


Section vidéo


Scénographie : Stephen Schon
Sons et musique: Sara Magnan, Kourosh Godarzi
Assistants à la mise en scène : Samandis Haji Monshi, Amir Pakdel
Conception d’éclairage : Maya Jarvis
Camera : Masoud Pakdel
Édition vidéo: Hoopand Lashkari, Payam Mofidi
Graphisme: Naghmeh Sharifi
Animation : Parissa Mohit
Photo Nagmeh Sharifi

Première québécoise

Tarif
25 $ – Régulier
17 $ – Groupe (10 +)

Une production Hashtpa Productions (Montréal)


MAI (Montréal, arts interculturels)
3680, rue Jeanne-Mance, bureau 103
Billetterie 514-982-3386
 
______________________________________
            
Critique

Dans la présentation du spectacle, le fondateur et directeur de la compagnie d’Hashtpa Productions, Naeim Jebelli, dit vouloir s’inspirer «des différentes communautés pour transcender les frontières (…) et enrichir la scène culturelle canadienne.» Au MAI, sa vision de La Femme comme champ de bataille du dramaturge et journaliste franco-roumain Matei Vișniec, ne se traduit pas dans une réalisation très concluante.


Crédit photo : MAI

Créée en Avignon en 1997, la pièce a connu précédemment une autre version au Québec à l’automne 1998 au Théâtre Prospero (connu alors comme Espace La Veillée) dans une mise en scène de Claude Lemieux avec Tania Kontoyanni et Cary Lawrence. Au même endroit, au moins deux autres œuvres de l’auteur ont été montées, dont Théâtre décomposé ou l’Homme poubelle  toujours par Claude Lemieux. Plus récemment à l’hiver 2014, Édith Côté-Demers a dirigé avec sensibilité L’histoire des ours pandas racontée par un saxophoniste qui a une amie à Francfort, une autre preuve de l’intérêt ici envers les univers de l’écrivain.  

La première semaine de représentation de La Femme comme champ de bataille est donnée en français avec surtitres en anglais et la deuxième, avec surtitres en farsi. Pendant deux longues heures, nous faisons la connaissance de deux femmes qui tentent de se reconstruire psychologiquement devant les atrocités de la guerre. Nous nous retrouvons au milieu des années 1990 quelque part en Allemagne à la frontière helvétique. Les deux protagonistes sont Dorra, une jeune bosniaque qui a subi un viol traumatisant lors de la guerre des Balkans, et Kate, une psychologue originaire des États-Unis qui tente de l’aider. Les frontières de la Yougoslavie éclatent. Considérées comme les plus meurtrières en Europe, les guerres qui ont suivi auraient entrainé la mort de 300 000 personnes, en plus de déplacer 4 millions d’individus. L’histoire fait abondamment référence aux dimensions ethniques des conflits, en plus de traiter des conséquences de la violence sexuelle comme stratégie militaire.      
  
Le thème du viol a été abordé avec une grande acuité, notamment dans une scène mémorable des Fées ont soif de Denise Boucher. Il se répercute aussi dans les plus récentes Si les oiseaux de la Canadienne Erin Shields ou encore dans La Robe blanche de Pol Pelletier. À l’Espace Go l’automne dernier, Brigitte Haentjens a connu beaucoup de succès avec Une femme à Berlin d’après le journal de l’Allemande Marta Hillers, où durant les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, des militaires se vengeaient en agressant sexuellement des femmes. Le texte de Vișniec tente surtout de cerner l’intimité de la victime qui cherche à renaître malgré les traumatismes qui refusent de disparaître.

Pourtant, malgré un sujet qui défraie la manchette, surtout récemment avec, entre autres, les événements de l’Université Laval à Québec et de Cologne en Allemagne, l’exécution scénique ne touche que très rarement à l’émotion. Car du début à la fin, le metteur en scène ne prive pas de plonger dans de nombreux excès. Avec une trame sonore souvent assourdissante, il chercher à démontrer dans toute son ampleur la violence subie par les deux femmes. Or, à éviter toute nuance et toute progression, autant dans les voix des deux comédiennes que dans les innombrables projections filmées, parfois répétitives, la démonstration du propos perd de son impact et de ses potentialités revendicatrices.

Pourtant, l’arrivée de Nora Guerch, l’interprète de Norra, complètement nue sur le plateau (mais aussi avec une certaine pudeur) constituait une amorce forte du dévoilement de la fragilité de la victime. Or, un meilleur équilibre entre le côté cru et une sobriété aurait permis à La Femme…de provoquer davantage de frissons. Lorsque le personnage de sa partenaire de scène (Marie-Ève Courcy, assez crédible, mais plus en retrait) établit des liens entre le viol et le nationalisme des peuples qui n’ont pas encore atteint leur pleine indépendance, le discours se répète et tourne en rond. Ainsi, les amalgames, repris en boucle, entre le désir de domination masculine et l’absence d’autonomie territoriale, demeurent finalement assez superficiels. La déception en devient plus grande, d’autant plus que l’auteur avait démontré une grande habileté dans le traitement des relations humaines avec L’Histoire des ours pandas… Par ailleurs, les moments où les répliques sont entendues sur bande entrainent un sentiment de distanciation plutôt qu’une adhésion à la tragédie. Mentionnons toutefois un travail scénographique très réussi de Naeim Jebelli et de ses collaborateurs.  

Par ailleurs, l’une des meilleures scènes se déroule lorsque les deux femmes se rencontrent véritablement au centre du plateau. Avec comme accompagnement une musique qui semble extraite d’un film du Serbe Émir Kusturica (Underground), la simplicité de ce moment touche à l’essentiel par sa beauté frémissante. Car souvent ailleurs, le message se perd dans la cacophonie de cette Femme comme champ de bataille.    

28-02-2017