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Du 14 au 30 mars 2013, 20h, mercredi 19h, présentations additionnelles les samedis 23 et 30 mars, 16 h
YermaYerma
Texte Federico Garcia Lorca
Mise en scène Patrice Tremblay
Adaptation Eloisa Cervantes
Avec Eloisa Cervantes, Frédéric Cloutier, Daniel Gadouas, Suzanne Garceau, Sarah Gravel

Avide d’amour, en quête d’un sort meilleur, Yerma porte à bras-le-corps son désir d’enfanter. Déchirée entre Victor, le père secrètement voulu pour ses enfants, et Juan, le mari platonique, elle est réduite à l’impuissance et se consume tragiquement. Forcée d’admettre la stérilité de sa vie, Yerma voit son instinct maternel se transformer en force meurtrière.

Après le succès audacieux de Noces de sang au Théâtre Prospero, Camera Obscura poursuit son Triptyque Lorca et célèbre ses dix ans de création en plongeant dans la tragédie féminine de ce grand auteur contemporain pour qui la révolte est gage de salut. Créée en 1934, en pleine montée de l’extrême droite espagnole, Yerma porte l’emblème d’une génération guerrière dont le corps est persécuté par l’imagerie sociale et les pulsions passionnelles. Jouer Yerma aujourd’hui, c’est donner la parole aux marginaux et aux démunis qui choisissent la souffrance plutôt que l’abdication, qui se battent sans avoir la possibilité de changer leurs conditions.

Le Théâtre Camera Obscura se consacre à la création de poèmes scéniques pluridisciplinaires basés sur le mouvement et l’image. Il présente un théâtre du corps ouvert sur le rêve et l’univers féminin, cherchant à entrer dans le territoire intime du spectateur en lui offrant une expérience sensitive unique.


Lumière Claire Lamarre
Musique originale Sylvain Arsenault
Costumes Fauve Paradis
Assistance à la mise en scène et régie Kristelle Delorme

Une production de Camera Obscura


Studio Jean-Valcourt du Conservatoire d'art dramatique de Montréal
4750, av. Henri-Julien
Billetterie 514 873-4031 poste 313, 1 855 790-1245 ou www.admission.com
 
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 Critique
Critique

par Pascale St-Onge


Crédit photo : Didier Bertrand

Deuxième d'un triptyque de l'auteur Gabriel Garcia Lorca sur la vie paysanne, Yerma est le récit d'une femme marginale, infertile, victime sociale et ensuite bourreau pour se sortir des cadres, de ce qu'on attend des femmes à une époque où l'extrême droite est en pleine ascension en Espagne. Ce qui pourrait sembler n'être qu'un drame familial isolé se révèle à être, en fait, l'emblème d'une révolution qui s'apprête à éclore, d'une envie de se libérer des carcans d'une époque.

Patrice Tremblay, après le premier volet Noces de sang (Prospero, 2011) nous offre une mise en scène sobre en ce qui a trait à la direction d'acteurs et aux choix sur le plateau lui-même. À un point tel que les éléments contraires à cette proposition semblent soudainement superflus et dérangent même parfois notre réception. Parmi ces éléments, notons les projections omniprésentes, parfois anachroniques, et dont le choix d'images nous rappelle parfois un vidéo de YouTube rempli de photos trouvées sur Google Image ; des interludes musicaux parfois interminables et certains enregistrements vocaux qui détonnent de l'ambiance installée par le jeu des comédiens. Si parfois la technologie peut nous offrir un regard nouveau sur une oeuvre de répertoire, ici ce choix apparaît comme un désir d'en faire trop. Le texte de Lorca contient suffisamment de beauté pour ne pas l'encombrer autant.

L'auteur a certainement su opposer les arguments de la science à la foi ; les potins préenregistrés concernant le destin de Yerma le prouvent bien, tout en cachant un aspect très politique de la condition des femmes souvent confinées au foyer et à la vie familiale. On dit que la femme qui veut réellement des enfants en aura, sinon un péché est caché. Yerma est soupçonnée à tort d'adultère, son mari contrôlant ne veut pas de famille et désire la garder enfermée pour éviter toute tache à sa réputation. Pourtant, l'infertilité est un problème de santé et non d'âme ou de pureté. La pièce nous présente bien un large problème de désinformation de l'époque, mais aussi une volonté collective de voir le mal en toute personne qui s'écarte un peu du chemin classique de la vie.  La rumeur grandissante s'attaque sans contredit à la condition sociale de Yerma et à sa santé mentale, la menant au fond du gouffre. Une femme au foyer sans enfant est comme morte ; Yerma nous parle comme un spectre, un corps sans vie.

Ce texte un peu moins connu de l'auteur offre un personnage très complexe, digne des grandes tragédies du répertoire théâtral. La comédienne Sarah Gravel, bien que défendant généralement très bien cette femme et le mal qui l'habite, use d'un ton trop plaintif pour donner une cohérence à toute cette complexité. Yerma mêle la rage et la fatalité à une tendresse et loyauté sans pareil. Le mari, joué par Daniel Gadouas, froid et obsédé par le travail de la terre, nous convainc davantage et les autres comédiens complètent bien la distribution. Suzanne Garceau brise adroitement le rythme général de la pièce grâce à un personnage plus coloré et animé que les autres, nous réjouissant à des moments où nous en avons grandement besoin.

Au-delà des détails techniques très dérangeants, il est heureux de pouvoir profiter de la poésie de Lorca dans ce texte que nous connaissons peu. Visiblement, Patrice Tremblay saisit très bien les enjeux de ce triptyque qu'il aborde et ce deuxième opus le prouve bien. Le mal de Yerma nous hante plus profondément qu'il peut paraître, son obsession se transforme en force destructrice et la société qui l'entoure a eu raison d'elle. La femme marginale, infertile ou non, sous la pression sociale est-elle condamnée à ce besoin de destruction? Dans tous les cas, Lorca a trouvé les meilleurs mots et la plus belle des poésies pour étudier la question.

19-03-2013