Mon(Theatre).qc.ca, votre site de théâtre
Du 21 février au 18 mars 2012
Après moiAprès moi, le déluge
Texte Lluïsa Cunillé
Traduction Geneviève Billette
Mise en scène Claude Poissant
Avec Germain Houde et Marie-France Lambert

Un homme d’affaires et une interprète se retrouvent dans une chambre d’hôtel de Kinshasa. Tous deux sont blancs et tous deux ont fait de l’Afrique leur terre d’accueil. Pour se garantir un meilleur avenir, un homme africain offre, par l'intermédiaire de l'interprète, son fils à l'homme d'affaires.

À la fois séduisant et déroutant, Après moi, le déluge, de l'auteure catalane Lluïsa Cunillé explore la guerre, le sort des enfants-soldats et l'indifférence occidentale face aux douleurs de l’Afrique. Il en ressort un texte fort et touchant, d’une poésie singulière, habilement rendue par Geneviève Billette, où se cache, derrière une apparence de candeur, un monde qui manque cruellement de sensibilité.


Section vidéo
une vidéo disponible


Assistance à la mise en scène et régie Maude Bêty
Scénographie Guillaume Lord
Costumes Caroline Poirier
Éclairages Erwann Bernard
Conception sonore Antoine Bédard
Maquillages et coiffures Florence Cornet
Accessoires Julie Measroch


Le déambulatoire La porte du non-retour est présenté dans le cadre des représentations de Après moi, le déluge et Dissidents


 

Une production du Théâtre de Quat'Sous


Quat'Sous
100, ave. des Pins Est
Billetterie : 514-845-7277

Youtube Facebook Twitter
 
______________________________________
 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Yannick MacDonald

Claude Poissant nous offre une deuxième mise en scène à quelques semaines d’intervalle. Après l’énigmatique et expérimental Tristesse, animal noir qui a brûlé les planches de l’Espace GO, c’est au tour de la pièce Après moi, le déluge d’envahir la scène du Théâtre de Quat’sous. Allons droit au but, cette nouvelle production à la facture esthétique soignée se révèle un grand moment de théâtre.

À première vue, l’association entre le metteur en scène très habile dans les univers plus éclatés et un texte à la facture plus classique d’une jeune dramaturge originaire de la Catalogne, Lluïsa Cunillé, intriguait. Pourtant, sous ses allures plus traditionnelles, l’univers et les enjeux exposés s’inscrivent parfaitement dans le parcours de Claude Poissant qui aime creuser sous les apparences trompeuses.

D’une durée de 90 minutes, Après moi, le déluge se penche sur la relation entre trois personnages dans une chambre d’hôtel de Kinshasa, au Congo. Sur le plateau, les spectateurs voient seulement deux Européens blancs exilés, un homme d’affaires et une femme interprète, sur le continent étranger. L’autre, un Africain noir, demeure absent, mais occupe les pensées des deux protagonistes. Car la parole de ce père de famille se fait entendre par la bouche de la traductrice qui sert d’intermédiaire dans cette relation tendue entre dominateur et dominé.

Les thématiques reliées au colonialisme des sociétés occidentales ont déjà été explorées précédemment sur les scènes de théâtre, notamment dans la pièce Antilopes du dramaturge et auteur de polars Henning Mankell. Bien documentée, l’œuvre de Cunillé évoque certains intervenants des industries d’exploitation, dont la compagnie canadienne Barrick Gold pointée du doigt dans l’essai Noir Canada paru chez Écosociété. Mais ce qui se démarque davantage dans cette écriture catalane traduite d’une main de maître par Geneviève Billette (auteure du remarquable Contre le temps présenté l’automne dernier), c’est le pouvoir envoûtant et destructeur des mots ; un pouvoir énigmatique d’une parole vertigineuse qui se rapproche de l’univers de Marguerite Duras dans ses pages les plus inspirées (Un barrage contre le Pacifique). L’auteure parvient même à faire ressentir le climat humide, parfois suffocant, à la limite du supportable. D’autant plus que le ton neutre et détaché de la femme accentue ce malaise nécessaire pour comprendre la teneur des enjeux entre deux visions antagonistes sur le sort des populations locales confiées à des sociétés capitalistes sauvages.

Dans ce presque huis clos, entrecoupé d’extraits sonores percussifs, le duel d’acteurs provoque des étincelles. Marie-France Lambert se révèle brillante, par son corps en perpétuelle tension et sa voix chaude apte à creuser les ramifications des mots. Son partenaire de jeu, Germain Houde, exprime également les différentes couleurs de cet homme rongé par l’ambition et l’angoisse sous-jacente qui se dévoile au fur et à mesure de la représentation. Les contrastes dans le jeu et le caractère des deux personnages créent des moments d’ébranlement très inspirés. Là se reconnaît la signature de Claude Poissant, à recréer des tableaux vivants où les êtres pétris de douleur se retrouvent souvent sur le point d’exploser. Mentionnons la pertinente conception musicale d’Antoine Bédard qui martèle cette Afrique dont la violence gronde malgré le luxe, l’arrogance et la volupté des dominants.

Pour son univers riche en exploration sensorielle et narrative, sa mise en scène réglée comme une horlogerie et ses acteurs inspirés, Après moi, le déluge vaut le déplacement et la réflexion. Heureusement, la production ne risque pas de sombrer dans les vestiges du néant, contrairement à l’étymologie dont est tiré le titre français.

27-02-2012