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Du 31 mars au 4 avril 2015, 20h
DisparaitreDisparaître ici
théâtre multidisciplinaire
16 ans et + public averti
Texte, idée originale et mise en scène Jocelyn Pelletier et Édith Patenaude
Adaptation librement inspirée de l’oeuvre de Bret Easton Elli
Avec Caroline B. Boudreau, Philippe Durocher, Gabriel Fournier, Laurie-Ève Gagnon, Marie-Hélène Lalande, Joanie Lehoux, Valérie Marquis, Guillaume Perreault, Lucien Ratio, Alexandrine Warren

Fouiller. Décortiquer. Nous approprier. Sombrer dans l’œuvre de Bret Easton Ellis. Probablement le plus noir, le plus lucide, le plus pessimiste des auteurs contemporains américains. Son œuvre est fabriquée de la même matière qui se distille d’un roman à l’autre, les personnages passent et repassent, continuent à étendre l’insignifiance de leur vie à travers les histoires de leur auteur. Les mêmes thèmes reviennent, les mêmes motifs, hypnotiques. Des moteurs incroyablement puissants grondent au cœur de cette œuvre dangereuse. Critique ultime de l’Amérique.

Conscientes du péril qui les attend, mais attirées comme des mouches par le feu, mues par leur désir d’autodestruction générationnel, les compagnies tectoniK_ et Les écornifleuses ont décidé de se perdre dans l’oeuvre de Bret Easton Ellis. Probablement le plus noir, le plus lucide, le plus pessimiste des auteurs contemporains américains.

Les interprètes éclateront les codes, seront autofictifs, performatifs, témoins, choeurs, dialogues, cris, reflets, metteurs en scène sur scène. Happés par la frénésie, la fiction, la fatigue, l’angoisse, la vacuité de notre monde, ils disparaîtront ici.


Section vidéo


Conception Marie-Renée Bourget Harvey, Jean-François Labbé, Karine Mecteau-Bouchard, Pascal Asselin, Mykalle Josha
Photo Marie Renée Bourget Harvey

Aussi à Québec au Périscope du 10 au 28 mars 2015

Une présentation La Chapelle
Production et direction artistique
tectoniK_
Les Écornifleuses
La Chapelle
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : 514-843-7738

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 Critique
Critique

vous pouvez lire la critique de David Lefebvre lors du passage de la pièce au Théâtre Périscope à Québec en cliquant ici

par Geneviève Germain


Crédit photo : Charles Fleury

La nouvelle génération de jeunes adultes, de la fin vingtaine au début trentaine, peut être perçue par les plus cyniques comme individualiste, fortement portée sur les apparences et quelque peu déshumanisée par l’abondance des réseaux sociaux et autres commodités technologiques qui favorisent l’effervescence du Moi. Joignant cette réalité à l’univers cru et controversé de l’auteur américain Bret Easton Ellis, Jocelyn Pelletier et Édith Patenaude ont créé Disparaître ici, une pièce mordante et sans concession qui met de l’avant neuf personnages dénués de toute morale et d’émotion, lesquels évoluent dans un monde stérile et plastifié où ni la violence, ni les sensations les plus fortes ne les affectent.

Bret Easton Ellis a causé tout un émoi avec American Psycho, son troisième roman qui est sans doute le plus connu. Sorti au début des années 90 puis adapté au cinéma en 2000, le roman aborde les thèmes de la pornographie et de la violence sans aucune censure, misant sur un personnage narcissique, froid et pervers, qu’on devine psychopathe. Ces thèmes sont d’ailleurs récurrents dans l’ensemble de l’œuvre d’Ellis et poussés à l’extrême pour dépeindre des existences vides et sans valeurs.  Disparaître ici transpose cette vacuité existentielle avec tout ce qu’elle a de plus inquiétant en utilisant plusieurs éléments de l’écriture d’Ellis : par des références à des lieux et des titres, par l’utilisation de monologues qui rendent compte des introspections des personnages et par une frontière qui se veut très mince entre la réalité et le fantasme.

Les auteurs Pelletier et Patenaude utilisent l’ensemble de la première partie de la présentation pour illustrer à répétition toute la vanité des personnages qui, malgré leur individualisme, tardent à démontrer toute forme d’individualité. Chacun doit se conformer à ce qu’il pense que la société attend de lui, tout en croyant faire mieux que son prochain. Dans une scène où se côtoient trois des personnages féminins alors qu’elles s’entraînent au gym, la discussion dérive avec une banalité déconcertante sur la possibilité de « laserifier » leur pilosité périanale et aussi sur la nécessité d’aimer les « cum shots ». L’apparence est centrale pour ces personnages, au péril de tout sentiment qui pourrait naître en eux. L’un ne peut fréquenter telle fille parce qu’elle n’est pas assez belle pour être prise en photo avec lui, alors que l’autre commente les faux pas de mode ou encore la trentaine apparente qui  lève le cœur. La violence est également banalisée et ne suscite aucune réaction chez les personnages qui ne font que la décortiquer et l’analyser avec une fascination malsaine. Ils se parlent à eux-mêmes, parlent parfois en même temps, n’ont d’autres soucis que ceux de leur propre sort. Le sexe est omniprésent, tant comme outil standard d’échanges ou encore comme vecteur de sensations fortes, souvent violentes. Le ton est froid, inquiétant et l’ensemble des personnages semble fait sur le même moule. 

Si la première partie ne présente pas réellement d’intrigue, la deuxième propose une histoire d’enlèvement et de danger imminent pour deux des personnages. L’intrigue tombe malheureusement à plat, même si les scènes qui composent cette partie sont encore plus fortes et évocatrices. Le vide des personnages est souligné à gros traits, eux qui sont figurants dans leur propre vie, utilisant l’angle de l’observateur qui est lui-même observé. Ils portent des vêtements monochromes, discutent par messages textes et ne s’écoutent pas. Les moyens utilisés pour illustrer cette critique sans détour des travers de l’individualisme poussé à l’extrême peuvent déplaire à plusieurs : violence, torture, mots crus et dérangeants, ainsi qu’une misogynie apparente (malgré une scène de viol sur un homme).

Ce qui retient particulièrement l’attention est le décor et la créativité de la mise en scène. Les personnages évoluent sur une scène recouverte de plastique, décorée de colonnes du même matériau et dont le mur de fond recule au fil des scènes dans une suite continue de couches de plastique. L’ensemble contribue à créer une atmosphère froide et détachée, dénuée de couleurs et de sentiments, à l’image des personnages et des propos mis de l’avant. Les acteurs affichent uniformément ce même détachement face à cette annihilation de leur personne, indifférents de leur vie et de leur sort.

On pourrait qualifier Disparaître ici de satire de notre société, tout en mettant un bémol  - car on n’y sent pas tant la moquerie, mais plutôt l’inquiétante amplification des travers de notre époque. Rapidité de consommation, recherche de sensations fortes, narcissisme, individualisme, banalisation de la violence, hyper sexualisation : le portrait est sombre et cruel. Le fil conducteur de l’histoire gagnerait à être mieux défini, mais on ne peut qu’applaudir l’audacieuse proposition des auteurs et metteurs en scène qui ont réussi à transposer l’univers unique de Bret Easton Ellis sur les planches tout en le liant intimement à des questions bien actuelles.

03-04-2015