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Du 2 au 13 avril 2013, 20h
QuartettQuartett
théâtre - France-Montréal
Adaptations des Liaisons dangereurses de Heiner Müller
Mise en scène Florent Siaud
Avec Marie-Armelle Deguy (Merteuil) ; Juliette Plumecocq-Mech (Valmont)

Réécriture brûlante et résolument contemporaine des Liaisons dangereuses, le Quartett de Heiner Müller met en scène l’affrontement du Vicomte de Valmont et de la Marquise de Merteuil dans un no man’s land. « Salon d’avant la Révolution française » ? « Bunker d’après la troisième guerre mondiale » ? L’auteur emblématique de Berlin Est ne choisit pas : cet univers sera la somme de tous les lieux et de tous les temps ! Guidés par le cynisme, l’appel du plaisir et les pulsions de mort, ses libertins s’abîment dans un jeu de rôles où les frontières entre bourreau et victime, féminin et  masculin s’effacent jusqu’au vertige. Du fond d’une nuit sonore et visuelle à la noirceur entêtante, deux créatures prêtent ici leur timbre, leur peau à ce texte incendiaire : Marie-Armelle Deguy, ex-pensionnaire de la Comédie Française, et Juliette Plumecocq-Mech, ancienne interprète du Théâtre du Soleil.

LES SONGES TURBULENTS
Librettiste d’opéra et metteur en scène, Florent Siaud a notamment été dramaturge ou assistant pour Denis Marleau, Brigitte Haentjens et Jérémie Niel. En 2010, il cofonde Les songes turbulents avec Pauline Bouchet. Structure franco-québécoise, produisant formes lyriques et théâtrales, cette compagnie situe sa recherche au cœur d’une confrontation des langages. Hantée par l’imaginaire baroque et les nouvelles technologies, éprise de voix puissantes et de corps étranges, elle s’interroge sur l’identité, la sensation, l’intangible et l’Histoire. Elle a apporté son soutien aux spectacles Dido and Aeneas de Purcell (DHA, festival franco-allemand Stimmen, 2010), La Capricciosa Corretta (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, mars 2011) et Amour Vainqueur (Atelier des Musiciens du Louvre, 2011).


Section vidéo
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Assistance à la mise en scène Pauline Bouchet
Scénographie et costumes Christophe Ouvrard
Conception vidéo Julien Robert assisté de David Ricard
Lumière Nicolas Descôteaux
Musique Nicolas Bernier
Conception sonore Julien Éclancher
Coiffures et maquillages David Michaël

Une production et une présentation Les songes turbulents, en coproduction avec le Centre Dramatique National des Alpes et avec le soutien du Goethe Institut de Montréal.

Créé en résidence à La Chapelle


La Chapelle
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : 514-843-7738

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 Critique
Critique

par Pascale St-Onge


Crédit photo : Songes turbulents

Bien qu'il s'agisse de sa première mise en scène en sol québécois, le nom de Florent Siaud ne nous est pas complètement inconnu. Le metteur en scène français a notamment travaillé avec Brigitte Haentjens, Denis Marleau et Jérémie Niel au cours des dernières années. Pour sa première création franco-québécoise, Siaud s'attaque à un texte majeur de la dramaturgie contemporaine, Quartett, de l'auteur allemand Heiner Müller, une adaptation libre des Liaisons Dangereuses de Laclos.

En scène, la Marquise de Montreuil et le Vicomte de Valmont s'affrontent une dernière fois, jouant le jeu de leurs propres cruautés envers les victimes connues par le roman épistolaire. Dans un lieu qui se voudrait l'incarnation de tous les lieux et de toutes les époques, les masques tombent lentement.

On ne peut passer sous silence la grande force de ce spectacle, le talent inouï des deux comédiennes Marie-Armelle Deguy (Merteuil) et Juliette Plumecocq-Mech (Valmont). Siaud prend un pari risqué en choisissant deux femmes pour interpréter cette lutte entre les deux esprits libertins qui ont tant marqué la littérature. Choix qui s'avère finalement judicieux, puisque la réflexion de Müller va au-delà des sexes. Si Laclos, à l'époque, cernait davantage les misères d'être une femme libre à l'aide de la Marquise, Müller fait de la féminité une force qu'envie même Valmont. Chaque personnage exploite son côté masculin et féminin, telles des armes aux attaques différentes, et la direction d'acteur va exactement dans ce sens, nous faisant oublier le genre des comédiennes en scène. Avec une technique de jeu rigoureuse qu'on voit rarement à Montréal, les deux comédiennes usent d'une diction à toute épreuve, d'une incarnation physique intense et juste afin de nous offrir deux êtres tout en nuances et, surtout, d'une force aux allures animales qui nous atteint dès les premières minutes.

Müller, auquel on attribue généralement un ton plus sombre et grave, vient nous surprendre dans ce texte teinté de cynisme. Montreuil et Valmont ne sont que masques et impostures face au monde et même, voire surtout, entre eux deux. Ce masque se traduit pour certains, dans la mise en scène de Florent Siaud, à un type de jeu emprunté au clown, auquel on ajoute cynisme et humour noir, et ce, dans une maîtrise absolument parfaite. On rit de bon coeur de certaines répliques bien placées, mais le piège est efficace : ce manège nous fait découvrir l'instant suivant tout le drame profond des deux âmes. Ce piège, scénographiquement parlant, se referme aussi sur les protagonistes. Le magnifique décor est englouti par ce grand rideau noir filé que Montreuil et Valmont installent eux-mêmes. Ils créent ainsi leur propre prison, les forçant à quitter leur jeu, à se regarder en face pour la première fois: « Avons-nous un coeur Marquise? »

Chaque choix du metteur en scène nous sort du réel et respecte à la perfection, bien qu'à sa manière très personnelle, cette didascalie initiale « Période : Un salon d'avant la Révolution Française. Un bunker d'après la Troisième Guerre Mondiale ». Sur scène, c'est une époque explosée, un cauchemar immatériel où ne survivent pendant un instant que ces deux voix et leurs corps, périssables et proies de la vieillesse, bien malgré eux. La dynamique qui s'installe sur le splendide plateau, Florent Siaud l'orchestre habilement. De ce qui n'est d'abord qu'un jeu éclot un combat bestial, une lutte de pouvoir sans précédent où tous les coups sont permis, jusqu'à la mort ; seule fin possible.

Hors de tout doute, Quartett est l'un des spectacles les plus intelligents de la saison. Un coup de maître où aucun détail n'est laissé au hasard; une vision très particulière et risquée de l'œuvre ; un spectacle où la performance des deux comédiennes nous secoue jusqu'aux tréfonds de notre esprit, encore tourmenté à la sortie. On ne peut souhaiter que le jeune metteur en scène nous offre, très rapidement, un autre grand moment de théâtre comme celui-ci.

04-04-2013