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Du 5 au 23 avril 2016
Simone et le whole shebangSimone
Texte Eugénie Beaudry
Mise en scène Jean-Simon Traversy
Avec Eugénie Beaudry, Vincent Bilodeau, Louise Bombardier, Robin-Joël Cool

Simone a 75 ans. Pour son anniversaire, sa fille, qu’elle n’a pas vue depuis des années, la transplante dans un centre près de chez elle, en Alberta. Dans ce centre pour personnes inutiles, Simone rencontre Jessy, vieux cowboy édenté qu’elle se plait à détester. Jessy a le corps fini, le cœur bercé par l’alcool et les vieilles chansons de Hank Williams. Comme il veut choisir sa mort et le lieu de celle-ci, il bouleverse la vie de Simone et de sa fille et les entraîne dans l’univers de tous les possibles. Dans ce whole shebang, Simone et Jessy n’ont rien des victimes, car il y a un sourire en coin et un peu de soleil de l’ouest dans la complainte dramatique d’Eugénie Beaudry.

Pour accompagner ces âmes douces-amères, Le Laboratoire a choisi Jean-Simon Traversy, le metteur en scène de Constellations et de Les Flâneurs célestes, un directeur de jeu qui cherche finement l’équilibre entre métaphysique et abstraction.


Conception Robin-Joël Cool, Odile Gamache, Maude Lafrance, Sonia Montagne et Renaud Pettigrew

Mercredis causerie après la représentation - 6-13-20 avril

Durée : 1h20

Une production Le Laboratoire Théâtre


Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974

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Critique

Crédit photo : Maxime Cormier

Troisième partition de l’auteure et comédienne Eugénie Beaudry, Simone et le whole shebang dégage une sensation d’inachèvement autant dans son exécution scénique que dramaturgique. Par contre, elle permet à deux grands artistes de déployer tout leur talent : Vincent Bilodeau, et, surtout, une magnifique Louise Bombardier.

Actrice que l’on a pu voir notamment dans une forte production sur l’avortement (Empreintes en 2013 au Théâtre La Chapelle), Beaudry a aussi composé avec sa compagnie Le Laboratoire Théâtre Le Trou et Gunshot de Lulla West (pars pas!). Cette dernière pièce explorait les mécanismes de fuite et les difficultés de transmission chez les individus, des thèmes qui reviennent hanter les destins disséqués au scalpel dans Simone

Pendant environ une heure quinze se déroulent des histoires en parallèle à des époques séparées dans le temps. Le plateau de la salle Fred-Barry se divise ainsi en deux. Au niveau du sol, nous nous retrouvons dans un bar, comme en flashback, où un chanteur country d’origine acadienne, Jessy White, aspire à la gloire entre deux consommations de bière. À l’arrière, sur une structure légèrement surélevée, le même Jessy s’ennuie des décennies plus tard en Alberta comme résident d’un centre d’hébergement pour personnes aînées. Il se retrouve désormais cloué à un fauteuil roulant, aigri. Une jeune femme, Simone-Alice, arrive dans le même lieu pour placer sa mère en perte d’autonomie, Simone Bécaud, une comédienne populaire durant ses années de gloire. Dans l’esprit de la Gloria Swanson de Sunset Boulevard, mais en moins sophistiquée malgré son élégante tenue de couleurs bleue, la star se remémore avec nostalgie son prix Gémeau pour Le Clan Beaulieu, ses rôles d’Électre et de Mademoiselle Julie. Elle apprivoisera un Jessy d’abord rébarbatif à elle. Elle tentera de se rapprocher de sa fille qu’elle a délaissée au profit d’une carrière reléguée désormais aux oubliettes.   

La rudesse de l’univers dépeint rappelle une autre création récente, soit Les courants souterrains de Benoit Desjardins au Théâtre Prospero. L’influence musicale de Marcel Martel imprégnait l’atmosphère de cette dernière. Ici, c’est au tour, entre autres, de Hank Williams et d’une version acoustique (et assez surprenante) de l’hymne emblématique du disco, soit Stayin’ Alive des Bee Gees, de pimenter le climat souvent triste, et même parfois glauque de cette Simone. Et comme pour Desjardins, Beaudry ne craint pas les zones d’ombres et de vulnérabilité chez ces personnages aux dimensions rugueuses qui restent englués de leur passé. Ces fragilités se traduisent dans les souvenirs, parfois glorieux et fugaces de Simone, dans le présent malaisé de sa fille, ou encore dans les rêves de notoriété, aussi factices ou éphémères soient-ils, de Jessy. La pertinence de son travail s’inscrit ainsi par la construction de protagonistes peu présents sur les scènes de la métropole.


Crédit photo : Maxime Cormier

Pourtant, le chevauchement des destinées ne donne pas toujours un résultat concluant. Ainsi, la présence du même personnage (Jessy) à deux époques charnières de sa vie (incarné par deux interprètes différents) se justifie difficilement. Présent déjà dans Gunshot, cet homme paumé demeure beaucoup plus prenant et sensible lors de sa vieillesse confinée à sa chaise et au ressassement de pensées recouvertes désormais de poussière. Durant les passages de sa version plus «jeune», il peine à susciter l’intérêt avec ses propos décousus, exprimés dans un langage chiac, où s’amalgame, de peine et de misère, quelques mots de français à une syntaxe anglaise. À ce moment, des chansons dans la langue de Johnny Cash brisent le rythme par leurs effets plutôt distrayants et peu utiles à l’histoire. Par ailleurs, les quelques scènes où Simone-Alice expose ses déboires amoureux et maternels sont bien senties, mais souffrent également de la comparaison, par rapport à la force du mal de vivre de son «indigne» génitrice. Le metteur en scène Jean-Simon Traversy (Constellations) confère toutefois à cet ensemble, parfois décousu, une certaine tension palpable.

Si Robin-Joël Cool et Eugénie Beaudry, respectivement le Jessy dans la fleur de l’âge et la fille de l’héroïne déchue, offrent des compositions crédibles, leurs deux partenaires chevronnés suscitent l’admiration. Méconnaissable en Jessy abîmé par la boisson et les ravages d’une existence qui semble consumée par l’amertume, Vincent Bilodeau est saisissant de vérité et de douleur. Mais la palme revient à Louise Bombardier qui incarne à la perfection cette ancienne actrice en pleine déchéance physique et intellectuelle. Autant dans sa candeur ressemblant à une gamine murmurant ses angoisses devant l’inconnu que dans ses sursauts de diva capricieuse, son interprétation de Simone donne, du début à la fin, des frissons sur la peau. Elle évoque également une autre de ses prestations marquantes, soit celle dans le sous-estimé Je ne suis jamais en retard, un collectif dont elle avait, également, signé l’un des meilleurs textes.      

La jeune dramaturge aurait-elle gagné à focaliser l’intrigue autour de ces deux derniers écorchés vifs? Car malgré ces faiblesses, la pièce Simone et le whole shebang provoque surtout des étincelles, grâce au jeu frémissant de deux acteurs mémorables.

10-04-2016