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Du 6 au 24 octobre 2015
La liberté
Texte Martin Bellemare
Mise en scène Gaétan Paré
Avec Frédéric Blanchette, Gabrielle Côté, Gérald Gagnon, Simon Landry-Désy et Dominique Leduc

Malgré la désapprobation de sa femme Mary, Paul poursuit son travail au sein d’un nouveau service gouvernemental. Et voilà que Max, leur fils de 18 ans, vient de décrocher un emploi dans le même service que son père, là où la mort est une donnée. Où se situe cette Liberté quand le pouvoir prend en charge certains choix individuels ? Les personnages complexes de cette oeuvre socio-politique sont ici face à eux-mêmes, coincés entre la contrainte et le soulagement. La Liberté, entre réalisme et symbolisme, parle travail, famille, Dieu et suicide assisté avec un humour clairvoyant. « Si quelque chose d’irrégulier arrive, j’interviens aussitôt pour éviter la souffrance non désirée. Mais tout va bien aller. »

L’auteur de Le Chant de Georges Boivin (Prix Gratien-Gélinas, 2009) retrouve l’ardent metteur en scène Gaétan Paré (Pig, Faire des enfants, Le Moche) et un solide quintuor de comédiens pour recréer cette oeuvre volontairement trouble.

Le Collectif Ad hoc La Liberté réunit le metteur en scène Gaétan Paré et l’auteur Martin Bellemare. Leur complicité  s’est d’abord établie à l’École nationale de théâtre du Canada en 2009 autour d’un exercice de mise en scène qui avait pour matériau le dernier texte de Martin Bellemare écrit au sein de la même institution, Le chant de Georges Boivin (prix Gratien Gélinas 2009). Gaétan Paré a d’ailleurs assuré la mise en lecture publique du texte au Théâtre du Rideau Vert en mars 2010. Par la suite, Martin Bellemare a écrit La Liberté qui a profité d’un atelier au CEAD avec Gaétan Paré comme metteur en scène. Le texte a ensuite été lu publiquement à Dramaturgies en dialogue au Théâtre de Quat’sous, dans une mise en lecture de Gaétan Paré. Depuis, leur collaboration se poursuit, s’enrichit et se développe de façon soutenue. C’est une collaboration précieuse qui nourrit leur activité professionnelle et les porte à l’audace et à la recherche. Plus qu’un lien professionnel, c’est une amitié qui se nourrit au désir de véracité et  d’authenticité. C’est une relation stimulante qui les relance continuellement l’un et l’autre dans leur volonté d’aller loin, dans leur travail de théâtre, dans leur passion de le vivre, de le questionner, de l’habiter.


Concepteurs Suzie Bilodeau, Linda Brunelle, Loïc Lacroix-Hoy, Marilou Huberdeau, Gaétan Paré, Marie-Aube St-Amant Duplessis

Mercredis causerie après la représentation - 7-14-21 octobre

Durée :1h15

Une production Collectif Ad Hoc La Liberté


Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974

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Critique

Crédit photo : Francis Rhéaume

Mise en scène par Gaétan Paré à la salle Fred-Barry, la production La Liberté de Martin Bellemare constitue une expérience terrifiante quant à sa conception presque totalitaire de la mort volontaire. 

«Ma liberté/Devant tes volontés/Mon âme était soumise», fredonnait le chanteur français d’origine grecque Georges Moustaki. Pourtant, la liberté dont il est question ici ne se réfère aucunement aux idéaux émancipateurs réclamés entre autres par des artistes au cours des siècles. Sur un ton moins idéaliste, elle signifie plutôt ici un concept où un individu peut décider de se tuer sans que le système ne réplique d’aucune façon.   

Dans un décor presque dépouillé, nous rencontrons Paul, un père de famille, sa conjointe Mary, son collègue de travail Peter et Max, son fils de 18 ans qui amorce sous peu un premier emploi sous sa gouverne, celui de réceptionniste dans un service d’état reconnu de suicide assisté. Habilement, les enjeux ardus se distillent au compte-gouttes et créent des effets de surprise.  

Durant les 75 minutes de la représentation, l’univers dépeint par le dramaturge donne froid dans le dos. La première scène, où les parents discutent avec inquiétude de leur enfant, amorce l’intrigue sans trop ouvrir de fenêtres. Pourtant, quelques instants auparavant, alors que les lumières s’éteignent, la présence du fils assis de dos à l’arrière-scène grattant un instrument acoustique tranche avec l’atmosphère frénétique qui ne lâchera pas le récit jusqu’au dénouement impitoyable. Par ailleurs, l’attention se concentre principalement sur les interprètes qui savent moduler toutes les tensions vécues et ressenties. Certains accessoires, comme la grande table ronde et rouge qui sert à la fois de bureau à l’accueil et lors de la pendaison de l’un des patients masculins de la clinique, sont utilisés de manière à la fois réaliste et inventive.   

Devant la succession des séquences rapides, les interrogations fusent. Car le suicide demeure toujours une réalité symptomatique et l’encadrement de sa finalité divise toujours la population. Les concepts de fin de vie et d’euthanasie ont été discutés notamment dans le projet de loi Mourir dans la dignité du Parti québécois et dans le troublant livre de Nathalie Billon Finir le jour. Par contre, pour tous les autres, est-il légitime d’implanter un système gouvernemental favorable à mettre un terme définitif à leurs souffrances aussi passagères soient-elles? En plus de ses judicieuses références à Albert Camus et Hubert Aquin, la pièce esquisse également des controverses susceptibles de surgir dans un avenir rapproché. Comme le prétend le père de famille, une belle mort sécuritaire provoquée par des mains expertes devient-elle plus acceptable qu’une autre, par exemple où un passager se jette furieusement devant les rails du métro? Heureusement, La Liberté insère ces dilemmes avec acuité et sans morale sirupeuse. Lorsque les personnages au quotidien peu banal se retrouvent à devoir gérer dans leur intimité des pulsions destructrices, le privé devient également en quelque sorte politique.

La direction précise de Gaétan Paré comporte peu de fausses notes. Elle creuse le sillon de ses réalisations antérieures, dont sa rigoureuse Pig écrite par Simon Boulerice, où l’horreur brouillait là également les frontières en apparence rassurante d’un monde sans aspérité.


Crédit photo : Francis Rhéaume

Sa distribution mord à pleines dents dans une langue acérée comme les outils d’un chirurgien. En mère affectueuse avec ses proches, Dominique Leduc démontre une intensité remarquable. Sa présence à la fois lumineuse, douloureuse et coriace, tout comme sa voix affûtée comme celle d’une tragédienne, exprime les déchirures de cette femme prisonnière d’une machine tentaculaire qui menace de l’avaler. Grâce à son talent singulier, des frissons nous passent sur tout le corps. Simon Landry-Désy (qui prend aussi les traits durant quelques minutes de l’un des candidats de la clinique) traduit bien la progression des sentiments qui habitent son Max. D’abord d’une attitude nonchalante, il prend peu à peu conscience de la gravité du piège tendu par sa famille. Frédéric Blanchette rend avec force un homme aux ambitions «humanistes» dont l’assurance machiavélique se rétrécit de fil en aiguille comme une peau de chagrin. Gérard Gagnon est efficace par son calme flegmatique et parfois inquiétant, sans oublier une Gabrielle Côté très intense dans le rôle plus secondaire de la candidate. La composition poignante de cette dernière se retrouve à des années-lumière de son intrépide Javotte du printemps dernier sur la même scène. Quelques ajustements permettraient une meilleure efficacité dramatique quant au synchronisme de certains passages (entre autres une conclusion expéditive), mais autrement, le résultat s’avère de haute tenue.

À la célèbre phrase de Georges Orwell, s’il est mieux de rester humain que vivant, une œuvre comme La Liberté ne fournit certes pas de réponses claires et précises. Elle nous permet toutefois une interpellation franche quant à nos choix individuels et collectifs. La liberté est-elle une réalité abstraite et à géométrie variable selon ses interlocuteurs, une marque de yogourt comme s’en moquait le regretté Pierre Falardeau, ou représente-elle le flambeau d’une société plus consciencieuse des uns et des autres?

12-10-2015