Mon(Theatre).qc.ca, votre site de théâtre
Du 5 au 15 mai 2015, 19h30
Les ZurbainsLes Zurbains
Auteurs tuteurs Rébecca Déraspe, Marie-Hélène Larose-Truchon, Annick Lefebvre et Pauline Sales
Auteurs adolescents Jérémy Benoit, Mia Bisson-Archambault, Camila Rodriguez, Emma Leteinturier et Marie-Claude Verdier
Mise en scène Monique Gosselin
Avec Jonathan Caron, Marianne Dansereau, Simon Landry-Désy, Anne-Marie Levasseur et Meggie Proulx Lapierre

Les Zurbains 2015 passent enfin le cap de la majorité après 17 années de rencontres ponctuelles des mots et des imaginaires adolescents. Des créations exceptionnelles puisées à même la plume de jeunes auteurs sélectionnés à Montréal et à Québec et celle d’un auteur professionnel, sont mises en scène par Monique Gosselin. À travers un stage intensif, douze jeunes auteurs travaillent leur conte avec l’aide de dramaturges, de metteurs en scène et de comédiens du milieu. Quatre textes seront ainsi portés à la scène aux côtés de celui d’un auteur professionnel. 

Au final, l’aboutissement : cinq voix, cinq univers, une scène, un spectacle ! 


 

Une production du Théâtre Le Clou en collaboration avec le Théâtre Denise-Pelletier et le Théâtre jeunesse Les Gros Becs


Théâtre Denise-Pelletier, salle Fred-Barry
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974

Facebook

 
______________________________________
 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : spinprod

En plus de célébrer leur majorité, le collectif des Zurbains du Théâtre Le Clou propose ces jours-ci une édition relevée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier.

Sans interruption depuis 1996, des contes écrits par des adolescentes et adolescents sont dirigés et montés par une bande de professionnels chevronnés. Des histoires présentées au public, quatre proviennent de la plume de ces apprentis dramaturges de différentes régions du Québec et pour la première fois d’un autre pays, soit la France. Une cinquième est composée par un auteur professionnel. Durant une heure et quinze minutes, toutes les partitions s’enchaînent et même s’enchevêtrent sans baisse de tension.

Une fois de plus, Monique Gosselin dirige l’ensemble des textes et des interprètes. L’intéressante structure scénographique, composée d’une petite scène légèrement surélevée avec barreaux comme sur un échafaudage et d’un mur aux teintes foncées en arrière-plan, accompagne ces quasi-monologues, autant dans les moments plus rigolos ou cocasses que dans les révélations plus difficiles.

Car si la prémisse s’adresse à priori au public du secondaire, les thèmes abordés tout au long du spectacle ne tendent jamais, ou presque, vers une approche didactique. Le traitement dramaturgique, la direction d’acteurs  et même le vocabulaire parfois cru ne s’inscrivent jamais dans la morale bêtifiante ou l’étalage de bons sentiments sirupeux.


Crédit photo : spinprod

La pièce s’amorce alors qu’Anne-Marie Levasseur est étendue, les jambes en l’air. Celle-ci incarne dans Le laboratoire de Marie-Claude Verdier (le conte de la professionnelle) Sophie, une adolescente dont les parents lui ont trouvé un emploi d’été comme commis de nuit dans un laboratoire. Cette opportunité ne l’emballe guère, car ses sorties avec ses copines et ses rendez-vous festifs s’en trouvent compromis. Réalistes d'abord, ses péripéties deviennent de plus en plus étranges avant de bifurquer vers une forme de militantisme. Celle qui se qualifie de «mutante» doit travailler pieds nus pour laisser des empreintes digitales à chacun de ses pas. Sa rencontre avec trois scientifiques demeure cocasse, car ces figures rappellent un peu la dimension nigaude de la Famille Slomeau de RBO. Le texte se distincte des autres par sa forme morcelée : la première partie s’interrompt pour revenir par la suite comme de petites séquences d’enchaînement entre les quatre autres morceaux de la soirée. Avant de clore la représentation, l’adolescente agile et dégourdie découvre des risques écologiques volontairement tus.

La fin de l’année scolaire marque également la suite du programme dans Y a toujours du positif dans le négatif de Camila Rodriguez. Pour célébrer le début des vacances, un jeune homme qui se perçoit comme ordinaire et qui n’aime pas beaucoup ses cours d’éthique et culture, a reçu une invitation pour le beach party de la séduisante Chrystelle. Jonathan Caron insuffle un naturel désarmant à cet antihéros qui verra ses espoirs d’embrasser la fille de ses rêves s’effondrer comme un château de cartes lorsque son père et sa belle-mère lui demandent de garder Zoé, sa demi-sœur de trois ans. S’ensuit une série de péripéties catastrophiques. Certaines sont esquissées trop rapidement pour en extirper toute la mécanique, par exemple l’apparition rapide d’une voisine particulière au potentiel dramaturgique attrayant. Par ailleurs, la grande force dans l’univers de Rodriguez consiste en sa capacité à dresser un portrait juste du vécu du personnage sans forcer le trait, entre autres dans ses relations ambivalentes avec sa famille recomposée et ses angoisses à ne pas correspondre aux stéréotypes de la norme masculine tant vantée et encouragée par les écoles lors de «l’âge ingrat».

Le ton se transporte en des eaux plus ténébreuses pour Bleue comme Alix d’Emma Leteinturier, avec une Meggie Proulx-Lapierre aux allures d’une Alice au pays des merveilles. Un événement fait basculer l’existence d’Amélia un mercredi après-midi. Les conséquences qui en résultent lui causent bien des soucis et des interrogations. Les questions sur le deuil et la perte sont amenées avec un équilibre remarquable, jamais trop explicite, mélodramatique ou complaisant. Dans ce segment, les éclairages sombres de Mathieu Marcil ajoutent une dimension poignante à la parole rendue avec nuance, sobriété et recueillement par la jeune actrice.


Crédit photo : spinprod

Les tragédies imbibent aussi le destin du jeune adulte de 19 ans dans Colette Provencher de Jérémy Benoit. Sous les traits de Simon Landry-Désy, le protagoniste originaire des Îles-de-la-Madeleine «où la température n’oscille pas toujours comme à Montréal» vit sa première véritablement relation amoureuse avec Sandrine. Or, celle-ci provoque tant de bouleversements et naufrages dans la vie de cet attachant garçon qu’il s’exile dans la métropole. Même l’image de la blonde présentatrice de météo ne parvient pas à éclipser les nuages noirs dans une conclusion bouleversante. Le comédien démontre une profonde humanité, en plus de rendre attachant l’accent chantant des Îles.

L’équilibre entre la découverte de soi et des autres ainsi que la confrontation avec des réalités dures d’une société conformiste teintent les horizons d’Yves-en-vélo de Mia Bisson-Archambault. Avec une Marianne Dansereau qui évoque par son énergie et sa voix la femme de théâtre Markita Boies, nous faisons connaissance avec une jeune fille confrontée à une rencontre avec un homme «à l’air perdu» qui porte le nom du titre de l’histoire. L’écriture décortique très bien les enjeux reliés au rejet des exclus et des marginaux dans notre société. La curiosité de l’adolescente démontre qu’en plus de développer de l’empathie pour autrui et de sortir de nos frontières géographiques et mentales, il est possible pour elle de s’extraire des généralités accolées aux jeunes, souvent représentés dans les médias comme des individus égocentriques toujours en quête du prochain selfie. En prenant dans ses mains le drapeau du Québec d’Yves lors du dénouement, on sent un désir pour l’auteure de parler de notre histoire et de la nécessité de la transmission.

L’un des seuls reproches pour cette cuvée des Zurbains consiste en l’insertion d’extraits musicaux uniquement en anglais, actuels ou rétro. Notre répertoire musical contemporain gagnerait pourtant à être entendu sur nos scènes. Autrement, Monique Gosselin et son équipe ont réalisé une œuvre riche en propos et en émotions fortes.

07-05-2015