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Du 22 octobre au 8 novembre 2014, 19h30
GodotEn attendant Godot
Texte de Samuel Beckett
Mise en scène de Serge Mandeville
Avec François-Xavier Dufour, Catherine Leblond, Pierre Limoges, Louis-Olivier Mauffette, André-Luc Tessier.

Un texte coup de poing où l’on rit tout le long. Mais où, à la fin, on voit par l’absurde à quel point la vie pourrait être belle, mais qu’en réalité il est impossible d’atteindre l’idéal.

Près d’un saule, deux hommes attendent Godot. Un homme à la barbe blanche, Dieu peut-être ? En attendant, ils passent le temps comme ils peuvent. Arrive Pozzo accompagné de son esclave Lucky qu’il traite comme un chien. On discute, on attend qu’il nous donne les restes de son dîner. On passe le temps en attendant. En fin de journée, un jeune garçon leur dit que Godot
ne viendra pas aujourd’hui, mais sûrement demain. Le lendemain, arrive sensiblement la même chose. Toujours la même phrase qui revient comme un leitmotiv :
- Alors, on y va ?
- On peut pas.
- Pourquoi pas ?
- On attend Godot.
- Ah oui, c’est vrai.


Section vidéo


Concepteurs et collaborateurs artistiques : Marianne Forand

Durée : 2h30 avec entracte

Carte Prem1ères
Date Premières : 22 au 26 octobre
Régulier : 30,50$
Carte premières : 15,25$

Une production d'Absolu Théâtre en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier


Théâtre Denise-Pelletier, salle Fred-Barry
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Alexandre Trudeau, de Penguin

Chef d’œuvre théâtral et de la littérature du 20e siècle, En attendant Godot revit avec une force vigoureuse sous la gouverne allumée de Serge Mandeville à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier.

Vingt-cinq ans après sa mort, Samuel Beckett continue de hanter les scènes du monde entier. De son vivant, il a joué un rôle fondamental dans le renouvellement des formes dramatiques au moment où la notion de récit était remise en question. Créée le 5 janvier 1953 au Théâtre de Babylone à Paris dans une mise en scène de Roger Blin, la célébrissime pièce a connu d’innombrables mises en scène au cours des décennies subséquentes. Le Québec n’y fait pas exception, car l’ombre du dramaturge irlandais réapparait grâce à l’un ou l’autre de ses textes scéniques ou en prose. Mentionnons deux créations magnifiques de Godot : celle d’André Brassard en 1992 et celle de Lorraine Côté au Théâtre de la Bordée de Québec en 2006. Contrairement à d’autres œuvres du répertoire plus marquées par leur époque de conception, En attendant Godot demeure toujours pertinente en raison de son propos universel et de sa vision profondément humaniste.

La pièce en deux actes (présentée ici sans entracte), raconte l’histoire (ou la non-histoire, selon certains) de deux vagabonds, Vladimir et Estragon, qui se retrouvent sur une route de campagne dans un lieu jamais nommé et une époque jamais datée. Comme seul décor, nous ne voyons qu’un arbre - élément exigé par Becket lui-même dans les didascalies. La scénographie a eu l’ingénieuse idée de le suspendre au plafond. La contrainte devient ici une illustration ludique d’un espace immobilisé, sans passé et sans futur.

Pendant une heure et quarante-cinq minutes, les deux antihéros attendent un certain Godot (on peut songer par son nom qu’il s’agit de Dieu), un individu que nous ne verrons jamais, mais qui avait promis d’être au rendez-vous. Pour se désennuyer, ils doivent se trouver des occupations. Surgit au milieu du premier acte, un autre tandem, celui de Pozzo et Lucky, un homme despotique et son partenaire chétif tenu en laisse qu’il traite en esclave. Ce duo revient plus amoché au second acte. À la fin de chacun des actes, un « garçon » (incarnée ici par une comédienne douée, Catherine Leblond) vient leur annoncer que Godot ne peut venir aujourd’hui, mais qu’il sera présent le lendemain sans faute.

Le jeune metteur en scène Serge Mandeville connaît l’œuvre de Becket pour s’y être frotté à trois reprises avec Pas, Oh les beaux jours et Comédie. À constater la rigueur de son travail sur Godot, il est à espérer qu’il s’attaque dans un avenir rapproché à un autre de ses joyaux, Fin de partie. Certaines analyses perçoivent d’emblée l’univers beckettien comme un terreau nihiliste où l’espoir se rétrécit comme une peau de chagrin après les affres de la Seconde Guerre mondiale. La brillantissime intellectuelle Camille Paglia y voit le microcosme poststructuraliste de la fragmentation de l’histoire, de l’inexistence du sens et de la futilité du savoir. Par contre, la vision exprimée par Mandeville sur le plateau exigu (mais jamais contraignant) de Fred-Barry en démontre surtout tout l’humour ironique de la plume de Beckett. Par leurs personnalités antagoniques et leur composition par moment très physique, les deux protagonistes se relancent sans cesse la balle avec des réparties à rendre jaloux plusieurs comiques en herbe.


Crédit photo : Alexandre Trudeau, de Penguin

Les deux interprètes principaux, Pierre Limoges et Louis-Olivier Mauffette, illustrent avec éclat toutes les facettes désespérées et prodigieuses de ce couple dépareillé. Mauffette incarne à la perfection la personnalité plus rêche et plus affirmative d’Estragon, notamment lorsqu’il essaie sans trop de succès d’enlever son soulier noir. Le Vladimir de Limoge exprime plutôt toute la naïveté enfantine de cet être qui rêve de jours plus heureux. Entre les deux acteurs, la chimie opère toujours, une nécessité pour une partition aussi exigeante que rythmée.

Les apparitions de François-Xavier Dufour et d’André-Luc Tessier en Pozzo et Lucky sont également d’une remarquable intensité. Lors de leur première scène, Dufour expose toute la cruauté d’un maître imbu de lui-même qui prend les autres pour ses sujets. Avec sa voix tranchante comme une lame de rasoir, il sublime cet être dictateur pour qui le temps n’existe pas. Lorsqu’il revient aveugle plus tard sur la scène, il se métamorphose en un archétype de vulnérabilité et d’impuissance. Tessier, pour sa part, amuse et émeut en ce Lucky dominé par son bourreau qui lui répète à plusieurs reprises « Pense porc ». Le dynamisme de sa prestation se caractérise par un jeu corporel très marqué. La relation entre ce maître et son sujet, qui deviennent par la suite deux loques similaires, demeure certainement l’une des dimensions les plus fortes de la pièce. Il ne faut pas passer sous silence la contribution plus épisodique, mais marquante, de Catherine Leblond dans le rôle du « garçon », qui, par sa ferveur, montre toute la dimension burlesque de ces rencontres (ou non-rencontres) entre des personnages qui ne verront jamais la lumière au bout de ce no man’s land.

« Il est aveugle. Il voit clair dans l’avenir », entendons-nous après que Pozzo eut annoncé à ses acolytes qu’il ne voit plus rien. Des formules de cette intelligence, de cette lucidité et de cette clairvoyance, la pièce En attendant Godot en fourmille. Avec sa vision claire et son irréprochable direction d’acteur, la lecture (difficile de parler de relecture pour Beckett quant au respect intégral des didascalies) de Serge Mandeville mérite d’être vue autant par les néophytes que les exégètes de l’un des rois de l’absurde.

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