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Du 8 octobre au 2 novembre 2013, les mardis 19h, mercredi au samedi 20h, dimanche 20 octobre, 15h
Instruction pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël
Texte Michael MacKenzie
Traduction Alexis Martin
Mise en scène Marc Beaupré
Avec Sophie Desmarais et Luc Picard

Au petit matin, alors que les marchés financiers entament leur débâcle en 2008, mais avant que ne s’affichent les taux du jour, l’univers de Jason est sur le point de s’effondrer. Son bras droit, Cass, rentre soudain d’un congé sabbatique forcé pour cause de dépression nerveuse, farouchement déterminée à régler ses comptes. Alors que chacun tente de parvenir à ses fins et de sauver sa peau, leurs échanges passent de l’humour à la grossièreté, de la tendresse à la fourberie. Les procédés langagiers étonnants du montréalais Michael Mackenzie et la perspicacité de son point de vue sur l’économie mondiale donneront au public un aperçu d’un univers rarement vu de l’intérieur, mais dont l’onde de choc a été ressentie aux quatre coins du globe!


Assistance à la mise en scène Julien Veronneau
Scénographie Simon Guilbault
Costumes Marc Senécal
Éclairages Éric Champoux
Musique originale Alexander MacSween
Régie Jean Gaudreau

Mouvements de foule
à l’issue de la représentation du 15 octobre
Rencontre avec l’équipe
à l’issue de la représentation du 16 octobre

Une production du Théâtre d’Aujourd’hui


Théâtre d'Aujourd'hui
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900

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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Jérémie Battaglia

Il est plutôt rare que la parole d’auteurs anglophones, qu’ils soient Québécois ou étrangers, se fasse entendre au sein des murs du Théâtre d’Aujourd’hui. Pour ouvrir sa saison 2013-2014, la salle de la rue St-Denis propose au public de la métropole de découvrir, en première mondiale, la version  française de Instructions to Any Future Socialist Government Wishing to Abolish Christmas, du dramaturge anglophone et montréalais d’adoption, Michael Mackenzie, reconnu surtout pour ses nombreuses collaborations avec Robert Lepage. Si le titre semble familier, c’est que la pièce fut montée au Centaur en 2011 par Chris Abraham (Seeds), avec Ted Dykstra et Gemma James Smith.

L’action de Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël se situe en 2008, à la veille du plus important krach économique depuis les années 30. Il est près de cinq heures du matin : Jason, requin de la finance, fait les cent pas dans son bureau et cherche des solutions pour garder à flot son fonds d’investissement à haut risque. Arrive subrepticement son adjointe en congé maladie, Cass, une surdouée des mathématiques au caractère plutôt particulier, près de l’autisme ou du syndrome d’Asperger ; en thérapie depuis une crise au bureau causée par un épisode intime avec Jason, elle travaille sur son déficit d’empathie et tente de connecter davantage avec les autres, surtout avec son patron. Surpris, ce dernier profite tout de même de la présence de la jeune femme pour revoir un dossier épineux, mais s’aperçoit qu’elle désire toute autre chose, soit dialoguer – elle qui, pourtant, auparavant, ne parlait qu’en chiffres – ce qui le met mal à l’aise. C’est qu’il ne veut pas aborder le fameux épisode, qui s’avère tabou. Deux êtres tourmentés, voulant vraisemblablement se toucher sans savoir réellement comment s’y prendre, vivant dans des réalités qui se juxtaposent sans trouver de corrélation entre elles.

Huis clos passionnant et énigmatique, Instructions… peut paraître au départ complexe et froid, nous plongeant rapidement dans le milieu de la finance et du courtage, usant de termes qui, très souvent, nous échappent. Mais, sous les spéculations boursières, les marges de manœuvre et les portefeuilles, ce sont les soubresauts d’humanité chez ces deux personnages, dans leur face à face singulier, qui nous captivent, lentement, puis happent de plein fouet. Si les échanges sont parfois hachurés, brutaux, quelques répliques sont aussi d’une élégance linguistique et intellectuelle hors pair ; Alexis Martin signe ici une traduction absolument réussie et recherchée.  


Crédit photo : Jérémie Battaglia

Les personnages de Jason et Cass joutent au cœur d’une scénographie étincelante, aux surfaces lustrées, contrastant avec leur caractère hyperréaliste. Alors qu’un compte à rebours est projeté sur les murs de la salle, des chaises noires et rouges s’opposent sur un sol carrelé – rappelant ainsi un jeu de dames – ; les rangs de projecteurs, d’abord suspendus très bas au-dessus de la scène, puis s’élevant tout au long de la représentation, les accessoires (verres, cendrier) qui se répètent sur scène, ainsi que certaines didascalies dictées plutôt que jouées rappellent irrémédiablement l’aspect plus théâtral de la pièce. Peu s’en faut pour parler d’une tragédie grecque d’une superbe contemporanéité, avec son prince, sa victime et une chute inévitable. Après Caligula_Remix et Don Juan_Uncensored, il n’est pas surprenant que le metteur en scène Marc Beaupré se soit intéressé à cette histoire de pouvoir et de désir, abordant l'univers de ces nouveaux maîtres du monde et leurs gestes extraordinaires et intimes. Beaupré dirige avec brio un Luc Picard qu’il fait plaisir de revoir sur scène, après cinq ans d’absence, ainsi qu’une Sophie Desmarais qui maîtrise son texte à la perfection, laissant même pantois devant quelques répliques particulièrement complexes. S’ils sont individuellement excellents, Picard et Desmarais forment aussi un duo brillant.

Engagée, critique, drôle et intelligente, Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël  est une pièce incisive, aux propos parfois ardus et experts, mais à l’humanité sous-jacente fragile et délicate. Une humanité ici que l’on balaie de la main de peur qu’elle fasse s’écrouler tout le système dès qu’on doit l’affronter, laissant plutôt la machine carburer à la bonne foi et au vide ambiant, mais qui s'impose, malgré tout, et réserve des surprises de taille. Force est d’admettre qu’économie et vie intime ne sont pas si éloignées que cela, finalement…

10-10-2013