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Du 11 mars au 5 avril 2014 + supplémentaires 8 avril 19h et 9 avril 20h
As Is (tel quel)
Texte, mise en scène Simon Boudreault
Avec Geneviève Alarie, Félix Beaulieu-Duchesneau, Patrice Bélanger, Denis Bernard, Marie Michaud, Jean-François Pronovost, Catherine Ruel

As Is (tel quel) est une comédie glauque qui se situe dans le sous-sol mal éclairé de l’Armée du Salut. Saturnin, étudiant en histoire de la musique, vient d’y être engagé comme trieur d’objets. Face à des règles tacites peu orthodoxes, à une hiérarchie oppressante, il en vient à sentir le besoin d’essayer de changer les choses. Ayant d’immenses difficultés à s’intégrer, il tente de le faire par tous les moyens jusqu’à chercher à renverser les injustices dont il est témoin. Cette pièce remet en question les préjugés existant entre les classes diverses, la notion de charité et les motivations réelles qui se cachent derrière cette propension à vouloir « faire le bien ». Pièce chorale à l’humour retors et sans moralité, As is (tel quel) est le théâtre d’une expiation ratée.


Assistance à la mise en scène et régie Judith Saint-Pierre
Musique originale Michel F. Côté
Conseil dramaturgique Jean Marc Dalpé
Scénographie Richard Lacroix
Costumes Suzanne Harel
Éclairages Frédéric Martin
Maquillages Florence Cornet

les mardis 19h, mercredi au samedi 20h, dimanche 23 mars 15h

Mouvements de foule
à l’issue de la représentation du 18 mars
Rencontre avec l’équipe
à l’issue de la représentation du 19 mars

Une création du Théâtre d’Aujourd’hui et de Simoniaques Théâtre


Théâtre d'Aujourd'hui
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900

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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon


Crédit photo : Valérie Remise

Jusqu’au 5 avril, des objets de toutes sortes et ayant connu une meilleure vie envahissent littéralement le Théâtre d’Aujourd’hui, du plancher au plafond! Un joyeux fouillis qui donne parfaitement le ton à cette nouvelle comédie douce-amère signée Simon Boudreault et Simoniaques Théâtre.

Directement inspirée d’une expérience de travail de l’auteur, qui a lui-même travaillé comme trieur pour l’Armée du Salut à 18 ans, As is (tel quel) fait se rencontrer deux milieux bien distincts : celui d’un jeune universitaire avec encore toute la vie devant lui et celui d’ouvriers.

La pièce nous plonge dans les sous-sols de l’Armée du Rachat où s’active un régiment d’employés éteints. Leurs horizons s’arrêtent où commence le tas de cossins à trier. Ils sont à l’image des objets qu’ils trient : usés, fatigués, non désirés et l’âme amochée par la misère. Ils ont abouti là et n’espèrent plus en sortir. « Quand le monde se ramasse icitte c’est qu’y z’ont pu d’aut’ places où aller » dit l’un d’eux. La présence de Saturnin, un étudiant en philosophie politique engagé comme trieur de cossins pour l’été, va toutefois sérieusement fragiliser l’équilibre miraculeux du tas... et de l’équipe. Trop bien intentionné, désireux d’aider tout un chacun, il va enfoncer la main dans un engrenage infernal dont personne ne pourra se tirer indemne, ni Tony, le patron tyrannique par souci d’aider ses employés à se racheter, ni Richard l’alcoolique aux mille vies, ni même Saturnin...

Personnage à part entière du spectacle, le tas de cossins, dont « on sait pas comment il tient », impressionne par ses dimensions. Il se répand littéralement partout, rampe sur les sièges et envahit jusqu’au hall du théâtre. Brillante idée! Richard Lacroix, le scénographe derrière cette montagne d’objets hétéroclites (meubles, électroménagers, jouets, boîtes, peluches, vaisselle...), mérite des applaudissements pour son magnifique travail. Impossible de ne pas être impressionné dès l’entrée en salle et totalement impossible de réfréner sa joie enfantine en voyant les comédiens escalader le tas ou en surgir par des passages dérobés!

On reconnaît dans As is (tel quel) toute la saveur des répliques de Sauce brune, grand succès de Simoniaques Théâtre, en 2010, et l’humour corrosif de son auteur, qui a le don de créer des personnages peu aimables dont on tombe pourtant sous le charme en quelques mots. La pauvreté de leur vocabulaire ne les empêche pas d’exprimer leur impuissance, leur colère et leur désespoir ou même leurs espoirs, bien plus grands qu’eux-mêmes, lorsqu’ils s’autorisent enfin à rêver. L’écriture de Boudreault a des accents de Michel Tremblay; la comparaison est encore plus évidente avec As is (tel quel), dont les personnages en viennent plus d’une fois à s’exprimer par la chanson, s’aidant du rythme de la fanfare présente sur scène pour trouver les mots par lesquels confier ce qui les a menés à l’Armée du Rachat et ce qui les empêche d’en sortir.

Les chansons ne se révèlent malheureusement pas toutes utiles, à deux ou trois reprises, elles minent même le rythme du spectacle (assez long par ailleurs). Pourtant, certaines sont de petits bijoux, comme la chanson du compacteur, celle où une employée surprise à voler tente d’émouvoir son patron, et la finale, où les employés chantent en chœur pour louer Saturnin, devenu une figure quasi messianique.  Les comédiens ne s’en tirent pas tous également avec ces passages chantés, récitant ou slamant plus qu’autre chose, ce qui rend les mélodies plutôt répétitives. Mais dans l’ensemble, cette comédie musicale sombre et mordante frappe juste.

L’excellente distribution joue pour une bonne part dans la réussite du spectacle : Jean-François Pronovost a pour ainsi dire la tête de l’emploi pour incarner l’étudiant qui cherche à faire sa place dans un univers qui lui est totalement étranger, et  Denis Bernard s’amuse visiblement beaucoup en jouant un patron incapable de voir le potentiel chez autrui, mais c’est Félix Beaulieu-Duchesneau qui vole la vedette, méconnaissable en alcoolique barbu. On croit instantanément en son désespoir, on le trouve touchant avec son amour pour les casse-tête, et on rit de le voir toujours surgir des endroits les plus improbables. Un coup de coeur.

As is (tel quel) propose une incursion véritablement fascinante et proprement hilarante dans l’univers de ces personnages « poqués » par la vie, qui se redonnent enfin le droit d’espérer.

15-03-2014