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Du 21 octobre au 8 novembre 2014
PhotosensiblesPhotosensibles
Texte Véronique Côté, Jean-Michel Girouard, Roxanne Bouchard, Jean-Philippe Lehoux et Gilles Poulin-Denis
Mise en scène Maxime Robin
Avec Noémie O'Farrell, Maxime Robin, Lise Castonguay, Guillaume Pelletier, Denis Harvey et Joëlle Bond, en remplacement, le samedi de Noémie O'Farrell

Un couple s’embrasse pendant une émeute et se transforme en stars du Web. Une jeune fille cueille une fleur devant la caméra et devient l’icône de toute une génération.

Un photographe remporte le prix Pulitzer pour avoir capturé la douleur d’une veuve. Un journaliste frôle la mort pour rapporter chez lui l’image d’un héros de guerre. Un reporter photographie une enfant mourant de faim, puis se suicide.

Cinq photos qui sont passées à l’Histoire.
Cinq photos auxquelles l’Histoire a fait raconter des tas d’histoires.
Mais qui, si on les regarde attentivement, en racontent encore une autre.

En regardant les nouvelles, La Vierge folle s’inquiète.
Quel est le pouvoir des images ?
Quelle est leur objectivité ?
Quel est leur objectif ?

Pour essayer de mieux comprendre les images dont on s’est servi pour façonner notre monde, La Vierge folle a essayé d’en percer le secret, d’en découvrir l’envers.

C’est notre bulletin de nouvelles à nous.
Son équivalent sensible.

Photosensibles.


Section vidéo
une vidéo disponible


Conception Karine Galarneau, Jérémie Battaglia, Mykalle Bielinsky, Keven Dubois et Jean-Michel Girouard

Une production La Vierge folle


Premier Acte
870, de Salaberry
Billetterie : Réseau Billetech 418-694-9656
ou lepointdevente.com
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 Critique
Critique

par David Lefebvre

La recherche de la vérité et du mensonge au centre de nos perceptions se poursuit chez la jeune compagnie La Vierge folle, à qui l’on doit Viande, pièce créée en octobre 2012 à Premier Acte. Avec Photosensibles, l’équipe de création continue d’expérimenter fond et forme pour offrir un spectacle tout aussi sympathique que touchant.

Un aura de mystère a plané pendant un certain temps sur cette nouvelle création. D’abord, une capsule vidéo a été proposée, montrant un extrait d’un reportage français sur une opération délicate aux yeux ; puis, la demande aux médias de n’utiliser qu’une seule photo pour la pièce. C’est grâce à quelques entrevues que s’est dévoilée finalement la prémisse du spectacle. Sous forme de cartes postales, le metteur en scène Maxime Robin a envoyé quelques photos récipiendaires du prix Pulitzer à plusieurs auteurs. Certains ont répondu à l’appel ; cinq ont été sélectionnés, cinq textes s’articulant autour du point de vue du photographe, de son entourage ou du sujet spécifique (ou général) de la photo. Cette diversité d’approche est d’ailleurs l’une des forces du spectacle.

Véronique Côté donne une voix à Jan Rose Kasmir, cette jeune femme à la mine triste offrant une fleur à un soldat lors d’une manifestation contre la guerre du Vietnam en 1967. C’est la fin des illusions, surtout religieuses : Kasmir réfléchit ici à sa perte de la foi. Elle raconte ces moments où son imagination fait la liste des choses existantes, s’étendant jusqu’aux rizières de l’Asie. Lors d’une marche pour la paix, elle prend conscience de l’âge des soldats qui doivent contrôler la foule : ils pourraient être ses frères, ses amants. De sa voix douce, Lise Castonguay donne chair à cette Jan Rose Kasmir fantasmée, humaniste, emplie de cet appel de la nature et du flower power qui naîtra peu après cette marche. Jean-Philippe Lehoux sépare l’esprit du corps de Kevin Carter lors de son discours de remerciement le soir de la remise de son prix Pulitzer, à New York en 1994. Il est responsable de la terrible image (et toujours aussi frappante) d’un enfant soudanais crevant de faim, talonné par un vautour attendant le moment propice. Revenant sur sa jeunesse en Afrique du Sud, sur le Bang Bang Club dont il faisait partie et le scandale de la photo, Carter, interprété par Denis Harvey, se dévoile, parfois de façon paradoxale, mais toujours intensément, sur son état, ses humeurs. Harvey joue avec une certaine arrogance bien à propos ce photographe qui n’aura pas su comment vivre avec la responsabilité d’un tel cliché, mais surtout, avec l’incompréhension du monde de ce qu’elle ne dévoilait pas : l’armée qui lui interdisait d’approcher l’enfant, et le camp, tout près.

Pour répondre à la photo de cette femme enlaçant la pierre tombale de son mari décédé sur le champ de bataille lors du Memorial Day de 1983 (Anthony Suau), Roxanne Bouchard offre un extrait de son prochain roman inspiré des témoignages de certains militaires de la base de Valcartier. Ici, Noémie O’Farrell incarne avec aplomb Daisy Carrier, conductrice d’un Coyote, véhicule de reconnaissance blindé (sorte de tank, à six roues), qui nous raconte, d’abord simplement éclairée par une lampe de poche, puis en s’asseyant au milieu du public, son premier tour en Afghanistan. Explosion, deuil, trouble de stress post-traumatique ; la soldate rapporte en ses mots, avec autant de détachement que d’émotion, l’événement qui changera sa vie à jamais. On se déplace ensuite vers la Chine où un homme seul, sacs d’épicerie en main, arrête, pour un instant, un convoi complet de tanks. Texte choral de Gilles Poulin-Denis, Tank Man met en scène le photographe par l’entremise de son voisin de chambre (Denis Harvey), de la mule (excellente Noémie O’Farrell, dans un tout autre registre) – une jeune femme amoureuse et désillusionnée qui transportera la précieuse pellicule, de la Chine à Paris, bien cachée dans une boîte de thé – et la rédactrice du Time Magazine (Lise Castonguay en femme de tête victorieuse) en passant par un quidam au palais de justice de Montréal (Guillaume Pelletier). Ce texte sonde les conséquences multiples d’une (ou de la) photo : la capture d’un moment, la projection de soi dans une image sortie de son contexte et la fin de la collectivité solidaire, qui laissera sa place à une société où l’individu est tout. Un texte court et saisissant.

C’est avec le texte de Jean-Michel Girouard, sur le Vancouver Riot Kiss (ce couple couché en plein milieu de la rue, lors d’une manifestation à Vancouver après la défaite des Canucks contre Boston), que la création résume toute son expérimentation théâtrale. D’abord sur le ton de la confidence, Guillaume Pelletier, en photographe professionnel, s’adresse à nous tout en réfléchissant sur la vérité, celle qu’il tente de capturer avec sa caméra, loin des studios et des lumières bien calibrées. S’il entend ad nauseam que la photo est « l’expression de la sensibilité de l’artiste », il réfute cette approche, désirant même incarner tout le contraire. Alors qu’il croyait détenir une parcelle de vérité et de tendresse dans cette photo, elle vient le trahir, par une simple illusion d’optique : il n’y a pas de baiser, il n’y a qu’un homme qui tente de relever sa copine. Le décor de boîte noire dans lequel il prenait place s’effondre, montrant tout à coup une scène complètement dénudée, sous une lumière blanche, forte et crue : fin de l'illusion, même théâtrale.

Vérité? Jeu? Maxime Robin s’amuse en maître de cérémonie, optant pour la carte du dévoilement de soi. Il nous parle de sa jeunesse, de son désir de devenir comédien, de ses parents qui le voient plutôt comme professeur. Le concept de la lumière (au propre comme au figuré) est toujours au centre de ses interventions, scientifiques, biologiques ou photographiques. Il aborde la perception des couleurs, le cadrage, la distance focale et la perspective, toujours en étroite relation avec la photo qui aura inspiré le texte suivant. Celles-ci apparaîtront toujours après les tableaux, avec un texte explicatif et souvent révélateur. Ses interventions entre chaque texte s’avèrent  décontractées, humoristiques et sans prétention. D’emblée, il brise lui-même le quatrième mur, qui n’existera pas durant Photosensibles.

La mise en scène explore ainsi différents niveaux de jeu : le style conférence, le monologue poétique, la confrontation avec le public en se plaçant au centre de celui-ci et l’appel à l’émotion avec un numéro chanté, sur l’air méconnaissable de Let the sunshine, interprété par Mykalle Josha, qui s’occupe aussi de l’ambiance sonore du spectacle, à tendance électro. La scène se transforme alors en une immense tête métaphorique qui ouvre les yeux sur le monde. Seul bémol, l’impression de double fin, provoqué par la dernière intervention de Robin et la chanson, qui vient déséquilibrer momentanément le superbe élan de la pièce.

« Photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur », a dit un jour le célèbre photographe Henri Cartier-Bresson. La Vierge folle réussit ici l’exploit d’ajuster ces trois éléments, et ce, avec brio, grâce à des auteurs inspirés, une mise en scène atypique et une équipe de comédiens sans reproche.

23-10-2014