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Du 15 septembre au 10 octobre 2015, 19h30, mardi 6 octobre 13h
BousilleBousille et les justes
Texte : Gratien Gélinas
Mise en scène : Jean-Philippe Joubert
Avec Jean-Denis Beaudoin, Danièle Belley, Laurie-Ève Gagnon, Eliot Laprise, Valérie Laroche, Simon Lepage, Christian Michaud, Maxime Perron, Ghislaine Vincent

La famille Grenon de Saint-Tite est à Montréal pour assister au procès du plus jeune fils, Aimé, accusé du meurtre d’un rival amoureux. Ils sont prêts à tout pour faire acquitter Aimé et ainsi sauver leur honneur. Mais l’issue du procès repose sur la version des faits que Bousille, cousin éloigné et seul témoin des événements, donnera en cour. Cette famille respectable et bien-pensante n’hésitera pas à recourir à l’intimidation et au chantage pour inciter Bousille à se parjurer. Trente ans après avoir connu un succès retentissant à La Bordée, cette nouvelle mouture de la pièce de Gélinas confirme toute son actualité et sa nécessité.


Section vidéo


Assistance à la mise en scène : Caroline Martin
Décor : Monique Dion
Costumes : Julie Morel
Lumières : Laurent Routhier / Projet Blanc
Musique : Josué Beaucage

Tarif : régulier : 35 $ ; 60 ans et plus : 30 $ ; 30 ans et moins : 25 $
Le premier samedi de chaque production, la paire de billets est au coût de 35 $ pour les 30 ans et moins

Production La Bordée


Théâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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Critique

Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

En avril dernier, La Bordée dévoilait les titres qui allaient former sa 39e programmation : des classiques d’hier, des pièces coup-de-poing d’aujourd’hui et de (possibles) succès de demain. Le rideau de cette saison s’est levé cette semaine sur la première offrande au public de Québec, soit la relecture de la pièce Bousille et les justes de Gratien Gélinas.

Blaise Belzile dit Bousille, un homme simple d’esprit, est témoin d’une bataille entre Bruno Maltais et Aimé Grenon, deux amants de Colette, une serveuse de St-Tite de Champlain. Malheureusement, l’altercation se résout par la mort de Bruno. Lors de sa déposition comme témoin, Bousille n’a pu tout dévoiler à cause d’un malaise. Il en profite donc pour tout déclarer devant l’avocat d’Aimé et le reste de la famille, dans une chambre d’hôtel de Montréal, libérant ainsi sa conscience de bon chrétien. Mais ces derniers détails, si dévoilés devant jury, mèneraient automatiquement Aimé en prison, alors que pour le moment, un doute subsiste encore à savoir qui a commencé la bataille. Ce serait trop pour la famille Grenon, qui veut à tout prix éviter ce scandale. Les membres de cette famille supposément respectable feront alors pression – argent, nouvel emploi, agressions physiques – sur Bousille pour qu’il se parjure et sauve Aimé, mettant le pauvre homme dans une position impossible : mentir et subir les foudres de Dieu, ou dire sa version des faits et essuyer celles de sa famille ?

Écrite à la fin des années 50, Bousille et les justes se voulait une satire des mœurs de cette époque duplessiste : mensonges, hypocrisie, égoïsme, souci de bien paraître, présence et pouvoir de la religion sur les familles. La mise en scène de Jean-Philippe Joubert dépeint avec force, mais non sans heurts, les aspects de cette pièce en quatre actes. Pour bien en montrer les rouages, il décloisonne la chambre d’hôtel pour montrer l’accueil et le lobby (décor de Monique Dion) et les déplacements des personnages. Ainsi, le drame ne frappe pas seulement dans la chambre, mais bien au-delà des quatre murs de celle-ci. Si l’absence des murs donne une meilleure vue d’ensemble de la tragédie qui se joue dans cette pièce, l’ouverture des portes invisibles confère à la pièce un côté dépassé, mimétique. Le niveau de langage fait aussi froncer des sourcils à certains moments : il est difficile de totalement croire à des gens d’une petite ville de la Mauricie qui dialoguent un peu à la manière radio-canadienne de l’époque, maintenant un langage soutenu, sans aucun juron. Peut-être voulait-on faire un clin d’œil à l’époque, ou alors par respect à l’œuvre original ; il n’en demeure pas moins que le jeu se fait moins naturel, du moins à l’oreille de spectateurs contemporains.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

L’utilisation d’une trame musicale aux sonorités actuelles, presque électro, en début de parcours, composée et interprétée par Josué Beaucage, puis d’une chanson originale de Beaucage, créent un certain dynamisme ; sur l’air de la chanson, les transitions entre les actes, où les personnages se déplacent de manière chorégraphiée au travers de la scène, ajoutent de l’esthétisme à une pièce qui aurait pu s’embourber dans un huis clos étouffant.

La troupe offre un excellent niveau de jeu : le Bousille de Christian Michaud et la douce Noëlla de Laure-Ève Gagnon sont tout aussi sympathiques que touchants, alors que l’Aurore de Valérie Laroche, mégère sèche et rude, et la Colette (l’amante esseulée) de Danièle Belley sont d’une belle justesse. L’avocat de Maxime Perron, à la parlure irréprochable, représente sans faille le Montréal des années 50 (et confirme peut-être la thèse du clin d’œil tant le ton de sa voix est appuyé et théâtral), alors que la mère, incarnée par Ghislaine Vincent, est assurément l’image de la mère de famille et femme pieuse du milieu du siècle dernier. Phil Vezeau, mari d’Aurore, interprété par Simon Lepage, évoque la frivolité grâce à son tempérament et à ses répliques aussi comiques qu’assassines. Malheureusement, on croit un peu moins au personnage agressif d’Henri Grenon, joué par Eliot Laprise, qui pousse légèrement la note pour rendre crédible le colérique Henri. Malgré tout, sa nature est souvent terrifiante, et le comédien saura trouver le ton juste au cours des prochaines représentations. Jean-Denis Beaudoin, en Frère Nolasque, se trouve à devenir l’élément comique de la pièce ; alors qu’il devrait représenter pour cette famille pieuse la présence du Bon Dieu, il ne fait qu’exaspérer et tourner le fer dans la plaie, et ce, sans même s’en rendre compte.

Malgré tout, en plus de certains détails à peaufiner, dus possiblement à la nervosité de la première, dont des gestes qui devancent les répliques, les rendant un peu absurdes, cette relecture de Bousille et les justes parvient sans difficulté à toucher de manière très adroite le cœur du spectateur, en se maintenant en équilibre fragile sur le fil du drame familial, sans verser dans la caricature d’un côté, et le pathos de l’autre. Une pièce qui saura se bonifier avec le temps.

17-09-2015