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Du 20 janvier au 14 février 2015, 19h30 (3 février à 13h), supplémentaire 7 février 14h
ScapinLes fourberies de Scapin
Texte : Molière
Mise en scène : Jacques Leblanc
Avec Chantal Dupuis, Philippe Durocher, Hugues Frenette, Jonathan Gagnon, Pierre-Olivier Grondin, Marianne Marceau, Christian Michaud, Jack Robitaille, Ghislaine Vincent

Des jeunes gens ont recours aux ruses de Scapin, pour dénouer leurs impasses amoureuses. Par des stratagèmes ingénieux, le fourbe Scapin réussira à berner les pères et à leur soutirer l’argent nécessaire aux jeunes. Et il en profitera également pour assouvir quelques petites vengeances.


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Assistance à la mise en scène : Jocelyn Paré
Décor : Ariane Sauvé
Costumes : Sébastien Dionne
Lumières : Dominic Lemieux
Musique : Fabrice Tremblay

Tarif : régulier : 35 $ ; 60 ans et plus : 30 $ ; 30 ans et moins : 25 $

Production La Bordée


Théâtre de la Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721

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 Critique
Critique

par David Lefebvre

Pur divertissement


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

La question se pose : pourquoi monter Molière en 2015? Malgré un discours et des situations en apparence vétustes (il faut quand même l’avouer), même près de 350 après sa mort, l’homme de théâtre français fait encore courir les foules et s’exalter les metteurs en scène. C’est le cas de Jacques Leblanc, directeur artistique de La Bordée, qui déclare, dans le programme de la soirée des Fourberies de Scapin, son amour pour ce très grand auteur. Ce premier spectacle de 2015 de la jolie salle de la rue St-Joseph est « un cadeau au public », comme il se plait à le dire, toujours dans le programme. Légère, rigolote et sans prétention, la proposition est certainement bienvenue au cœur de cet hiver froid et rigoureux que nous connaissons.

Les fourberies de Scapin, écrite deux ans avant la mort du maître, n’a pas plu lors de sa création. C’est qu’à l’époque, on en avait que pour les pièces dites « comédie-ballet ». Pourtant, Les fourberies fait état d’un très savant mélange des genres, de la comédie latine à la commedia dell’arte, en passant par la farce, sans compter les nombreuses réminiscences moliéresques. Grâce à l’immense intelligence de l’écriture scénique de Molière, le public contemporain connecte toujours avec les différents personnages et leurs intrigues amoureuses ou vengeresses. Deux pères veulent marier leurs fils ; alors que l’un a déjà secrètement passé l’anneau au doigt d’une jeune et jolie orpheline, l’autre se meurt pour une esclave d’une bande d’Égyptiens qu’il désire racheter. L’ingénieux serviteur Scapin, prenant connaissance des tourments des tourtereaux, tentera de ravir de l’argent aux pères tout en assouvissant quelques vengeances.

Depuis le 17e siècle, la pièce a forcément vu des milliers de mises en scène différentes ; comment la monter aujourd’hui? Jacques Leblanc semble avoir préféré le côté farcesque du texte ; sa mise en scène et sa direction d’acteurs, absolument impeccables, en font foi. On prêche par l'exagération, magnifiant les personnages, mais qui font preuve de quelques savoureuses subtilités qui empêchent la pièce de sombrer dans le cabotinage. De plus, l’expérimenté metteur en scène ramène sur un certain pied d’égalité les personnages de la pièce ; par exemple, lors de la toute première scène qui rappelle un peu Pagnol, le serviteur Silvestre occupe les fonctions d’un cabaretier. De plus, Scapin semble davantage être l’ami de service de Léandre plutôt qu’un réel serviteur, ramenant la proposition théâtrale plus près de nos repères sociaux contemporains.


Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

La plupart des hommes de la distribution sont tout aussi méconnaissables que brillants. Leur jeu, un peu clownesque, rappelle d’ailleurs à certains moments celui de la commedia. Mentionnons d’abord les pères Argante et Géronte, respectivement défendus par Jack Robitaille et Hugues Frenette, qui modifient leurs postures ou leurs voix pour créer des personnages typés et dépassés, mais résolument comiques. Pierre-Olivier Grondin, en Octave timide et fou d’amour pour sa Hyacinte, arborant lunettes à écailles et petit veston, fait s’esclaffer la galerie lors du premier acte sous ses airs de jeune homme craintif du courroux paternel. Philippe Durocher propose un Léandre un peu plus voyou, tout en étant un peu maladroit ; moins convaincant que ses collègues, il saura assurément trouver le ton juste au cours des prochaines représentations. Jonathan Gagnon épate sous les traits de Silvestre, spécialement lorsqu’il trompe Géronte en jouant grossièrement un fier-à-bras qui le cherche pour l’embrocher de son épée : une scène absolument délicieuse. Christian Michaud propose un Scapin moustachu à mi-chemin entre le philosophe et le fourbe qu’il est, toujours maître des pires situations. Son jeu est posé, tout en contrôle. Idée ingénieuse, on transforme le personnage de Carle, rôle très secondaire, en une image juvénile de Scapin (interprétée par Émile Bergeron ou Élie Giasson-Fragasso, selon les soirs), donnant corps aux  « étincellements et [aux] éclats d’une gaieté jeune, ardente, bondissante, intraitable, presque féroce »1 du personnage. Du côté des femmes, Marianne Marceau interprète avec aplomb la fière Zerbinette, esclave égyptienne, se faisant la porte-parole d’une jeunesse féminine forte, se voulant relativement indépendante face aux hommes ; Chantal Dupuis joue une amusante Hyacinte amoureuse de son Octave, portant bien le pull de coton ouaté et Ghislaine Vincent, en Nérine, la nourrice de Hyacinte, ne fait que quelques courtes apparitions.

Les costumes aux coupes extravagantes, rappelant ici le costume d’époque grâce à quelques accessoires, là celui des années 50 à 90, arborent à divers degrés, à l’image d’une courtepointe, plusieurs affiches italiennes vintage, très colorées, faisant écho à  Nantes, la ville d’origine de la pièce - tout en rappelant la provenance de la commedia qui inspira fortement Molière, l'Italie. Mais l’élément le plus imposant se trouve au centre de la scène, où est érigée une tour faite de commodes et d’armoires disparates. Si les tiroirs rappellent les nombreux trucs dont recèle l’artiste du subterfuge Scapin, les nombreuses portes offrent aux comédiens de multiples possibilités de mises en scène : cachettes, volets d’un petit cabaret de quartier, galère turque ou encore premier étage d’une maison.

Si Les fourberies de Scapin est une pièce sur les conflits intergénérationnels et sur le plaisir d’offrir un retour d’ascenseur entre valets et maîtres, elle est aussi une magnifique apologie du monde théâtral. Scapin n’est-il pas ici homme de théâtre complet, inventant mille scénarios, les mettant en scène tout en faisant jouer à ses compagnons des rôles pour duper ou se moquer de quelque personne? Jacques Leblanc a tout à fait compris les rouages de ce texte emblématique de Molière dans cette création qui semble avoir d’autres mandats que celui d’offrir un pur divertissement. Mission accomplie.

1 citation de Jacques Copeau à propos de Scapin tirée de son livre Mises en scène.

22-01-2015