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Antigone
Du 5 au 30 mars 2019

Les deux frères d’Antigone, Étéocle et Polynice, se sont entretués pour le trône. Créon, roi et oncle d’Antigone, donne l’ordre d’ensevelir Étéocle mais interdit à quiconque de faire la même chose pour Polynice. Antigone refuse cet ordre, s’indigne et fera tout pour rétablir la justice. Depuis que Sophocle a créé le personnage d’Antigone, les artistes de toutes disciplines confondues se sont approprié cette figure mythique de l’opposition à l’ordre établi. Que ce soit Brecht, Cocteau, Yourcenar, Anouilh, Racine, les adaptations et réinterprétations n’ont jamais cessé de fuser de toutes parts. Et si Antigone vivait à notre époque? Qu’est-ce qui la ferait se tenir debout, quelle forme prendrait sa résistance?

Avertissement: le langage utilisé dans cette pièce pourrait ne pas convenir à tous les publics.


Réappropriation du texte de Sophocle par Pascale Renaud-Hébert, Marjolaine Beauchamp et Annick Lefebvre
Mise en scène d'Olivier Arteau
Interprétation Jean-Denis Beaudoin, Nancy Bernier, Joëlle Bourdon, Joanie Lehoux, Patrick Ouellet, Annabelle Pelletier Legros, Steven Lee Potvin, Lucien Ratio, Vincent Roy, Réjean Vallée, Sarah Villeneuve-Desjardins, Alexandrine Warren


Crédits supplémentaires et autres informations

Assistance à la mise en scène Caroline Boucher-Boudreau
Scénographie Gabrielle Doucet
Maquillages Élène Pearson
Autres concepteurs : Keven Dubois, Christian Fontaine, Jean-François Labbé, Vincent Roy, Sarah Villeneuve-Desjardins

Mardis et mercredi 19h30, jeudis au samedis 20h, dimanches à 15h et les deux derniers samedis à 16h

Durée : à venir

Mardi au dimanche
Adulte 52$
Ainés* 46$
Étudiants** 39$

Les taxes sont incluses dans les prix affichés, mais les frais de service en ligne doivent être ajoutés.

Production Le Trident


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Critique disponible
            
Critique

Les premiers mots d’Antigone de Sophocle ont été prononcés sur une scène il y a près de 2500 ans. Dernière pièce du cycle thébain, avec Œdipe roi et Œdipe à Colone, Antigone a su traverser les époques grâce à son propos universel : un certain idéalisme contre un réalisme politique, une lutte entre la famille et l’État, un respect de l’existence et de la dignité. Tragédie des oppositions, de l’oppression, de l’affirmation et de l’abnégation, Antigone a encore son mot à dire en 2019.








Crédit photos : Stéphane Bourgeois

Depuis, ce texte s’est vu adapter à de multiples reprises ; notons l'adaptation de Jean Anouilh en 1946 qui marqua les esprits, puis Brecht un an plus tard. Jean-Marie Straub et Danièle Huillet vont en faire une version cinématographique en 1991, à l’instar de Sophie Deraspe cette année. Brigitte Haentjens en propose une version en 2001, au Trident, puis à Montréal. Lorraine Pintal aussi, en 2005, au TNM, à partir du texte de l’Irlandais Seamus Heaney. À l’invitation (et sous la tutelle) du metteur en scène Olivier Arteau, Pascale Renaud-Hébert, Rébecca Deraspe et Annick Lefebvre, trois autrices engagées, se sont réapproprié le mythe pour le confronter à notre contemporanéité. Le trio s’est emparé de parties plutôt précises du texte. Alors que Lefebvre donne une voix à Polynice (Lucien Ratio) en introduction, rebelle, revendicatrice, clamant sans cesse « ostie qu’on crève ! », malmenant une guitare électrique ou une batterie, Déraspe s’empare du chœur et du coryphée pour lui donner une langue rythmée, musicale, souvent proche de l’opéra ou du slam franglais (un élément qui pourrait en faire sourciller plus d’un – une tentative de représenter la jeunesse de notre époque ?). Avec des dialogues aux résonnances familières, Pascale Renaud-Hébert met en opposition banalisation de l’environnement social et tragédie filiale, et ce, avec une certaine force.

Tragédie des oppositions, de l’oppression, de l’affirmation et de l’abnégation, Antigone a encore son mot à dire en 2019.

Olivier Arteau harnache Thèbes de ses limbes antiques pour la précipiter dans un futur lointain apocalyptique. Ce changement d’époque permet aux concepteurs de faire tout éclater, tout en abordant autrement les thèmes fondateurs de la pièce, dont la liberté versus la sécurité, les rites sacrés, les lois des hommes contre celles universelles, voire divines. Le chœur, aux habits gothiques kitsch (rappelant parfois Blade Runner) et maquillages grotesques, surprend sans pour autant choquer. Sarah Villeneuve-Desjardins, en coryphée, mène superbement le bal. Créon (solide Réjean Vallée), très familier et paternaliste - à la Québécoise - dans son rapport avec Antigone, incarne bien l’homme d’État persuadé du bien-fondé de ses politiques de sécurité envers son peuple. Un peuple enfermé à l’intérieur de ses propres frontières, subissant une violence quotidienne incroyable, rapportée par la TVT, une station télévisée qui se la joue alarmiste.

Joanie Lehoux embrasse de tout son être cette Antigone qui ne peut qu’écouter son cœur. En utilisant un tapis roulant, le metteur en scène pousse cette Antigone dans un mouvement perpétuel d’immobilisme : dans un jeu très physique, Joanie Lehoux marche et court – on ne peut que saluer sa forme, alors qu’elle discourt sans s’essouffler –, sans pour autant bouger de sa position sur scène. Ainsi, Arteau démontre ingénieusement que peu importe les actions d’Antigone, elle est vouée à une certaine fatalité. À l’instar de Polynice, Hémon (Jean-Denis Beaudoin), fils de Créon et amant d’Antigone, porte en lui une certaine rébellion, que la jeune femme fait réveiller en lui, alors qu'il s'extirpe littéralement du décor pour la rejoindre. Si, à priori, il tente de persuader son amoureuse de quitter le pays après une scène d’amour sensuellement violente et d’une grande beauté, il prend ensuite la décision d’affronter son père et d’essayer de lui faire entendre raison.

Ismène (Annabelle Pelletier Legros) s’avère tout aussi résiliente que touchante dans sa vulnérabilité. Les deux militaires joués par Vincent Roy et Patrick Ouellet, découvrant le « méfait » d’Antigone, font rire l’assistance et allègent la tension, grâce à un jeu décalé très comique. Ils rappellent vaguement les paysans vus dans Le Songe d’une nuit d’été, monté il y a deux ans sur ces mêmes planches. Alexandrine Warren incarne un oracle plus près de Cassandre que du vieux Tiresias, mais sa présence, quoique brève, en impose.

Jean-François Labbé signe une conception d’éclairage sublime, tranchante, aux effets parfois hypnotiques alors que la lumière se mélange à la fumée. La scénographie poussiéreuse, sèche et désertique de Gabrielle Doucet et de Christian Fontaine permet, ici, d’être partiellement détruite à coup de marteau pour creuser la future tombe de Polynice ; là, de retirer une partie de la passerelle pour en faire une énorme table. Chaque scène semble avoir été soigneusement étudiée, travaillée, de telle sorte qu’elles deviennent des tableaux vivants, qui palpitent. Par contre, quelques ruptures de ton surprennent et ne jouent pas toujours en faveur du spectacle. Le cas le plus éloquent est celui de ce rat mutant, gigantesque, représentant la mort - magnifique conception de d'Élène Pearson, Annabelle Roy et Judith Fortin. Aperçu lors de la ronde des deux militaires, une scène aux accents presque burlesques, le rongeur se voit associé malgré lui aux rires. Et c’est ainsi qu’une partie du public réagit en le voyant sortir de terre et confronter Antigone, qui l’accepte et l’apprivoise. L’effet d’introspection se voit ainsi anéanti.

Cet Antigone d’Olivier Arteau, aux très nombreuses influences, aborde une multitude de sujets chauds : est-ce un spectacle sur l’écologie, alors qu’on projette une citation de la jeune activiste Greta Thunberg dès le début du spectacle ? Sur la dictature ? Sur la dignité ? Est-ce une critique des médias ? Tout cela à la fois ? Ce foisonnement crée une courtepointe magnifique, certes, aux différentes scènes qui collent étonnamment bien ensemble, mais avec quelques carrés cousus plus grossièrement, ou manquant de finition. Pour preuve, cette charge féministe à la toute fin, un brin plaqué, menée par une Ismène qui désire garder vivante la mémoire de sa sœur, alors que la pièce aborde justement, à plusieurs égards, et de manière plus éloquente, ce mouvement égalitaire malmené. Sans être transcendante, cette création spectaculaire d’Olivier Arteau et du trio Lefebvre / Déraspe / Renaud-Hébert touche et résonne de multiples manières.

10-03-2019


 
Théâtre du Trident
269, boul. René-Lévesque Est
Billetterie : 418-643-8131 - 1-877-643-8131

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