Reportage


Trois jours à Avignon

par Daphné Bathalon

D’occasions ratées en opportunités manquées, cela fait quelques années que j’espérais un jour vivre l’expérience du Festival d’Avignon. L’édition 2010 s’est avérée être la bonne.

7 juillet, je descends du bus à la gare centrale, à deux pas des fortifications et du Rhône. Depuis deux semaines, il fait une chaleur infernale dans le sud de la France. À l’ombre, c’est supportable. Pourtant, les rues de la ville sont déjà bien animées alors qu’il n’est que 11h. Dès la Porte de la République franchie, le Festival me happe, ou plutôt le Off Festival car je réalise très rapidement que c’est uniquement lui qui colore les murs, fait bourdonner la ville et crée véritablement l’événement. Les spectacles officiels ont vendu leurs meilleurs billets depuis bien longtemps et sont assurés de faire parler d’eux dans la presse, tandis que les petites troupes du Off ont fort à faire pour attirer un public très sollicité.

Le programme du Off, riche et varié, est aussi épais qu’un bottin téléphonique de quartier. Des pages et des pages (il en contient plus de 200!) pleines de pièces qui vont du très classique à l’expérimental, en touchant par la bande à la danse, à la musique et au cirque. Combien y a-t-il de lieux de représentation au mètre carré dans la seule enceinte de la ville? Combien de pièces seront-elles jouées? Entre les branches, j’apprends qu’elles seraient près de 1000.

Les affiches sont partout, elles semblent avoir poussé comme des champignons, colonisant les gouttières, les lampadaires et les murs de toute la vieille ville et même au-delà. Pas un espace n’est laissé vacant : des ficelles suspendues sur les clôtures et au-dessus des étroites ruelles permettent d’afficher sa publicité jusque dans les airs. Nombreuses, les affiches exposent l’explosion de pièces qui seront présentées dès demain et pour tout le mois de juillet. Déjà, on interpelle le touriste, le curieux, le spectateur et public. Pas moyen de faire un pas sans qu’on me tende des cartes et qu’on m’invite à une pièce. On m’accoste, on me suit pour tenter de me convaincre : je prends grand plaisir à me faire désirer, encore deux ou trois pas et on m’offre des réductions, des salles climatisées (gros argument de vente semble-t-il), à boire et même à grignoter!

Il y a de la vie en ces rues bien que le Festival commence à peine. Les grands auteurs (Shakespeare et Molière entre autres) côtoient les titres humoristiques (Le chalet de l’horreur de la trouille qui fait peur) et quelques titres que l’on reconnaît (Les sept jours de Simon Labrosse et Cette fille-là). Des extraits sont offerts aux curieux. Dix-sept heures, heure de l’apéro, j’assiste à un long défilé des artistes du Off sur la rue de la République. Pendant près d’une heure trente, les troupes battent le pavé et distribuent les répliques autant que les sourires. Le Off crée, intra-muros, une ambiance effervescente qui m’enchante.

Et puis il faut éplucher le programme, mais il y a tant de choix que c’est au petit bonheur la chance que je finis par sélectionner quatre pièces. Deux pièces par jour, c’est honorable, même si j’en aurais voulu plus pour vivre vraiment à fond ce séjour culturel, mais les billets sont plus chers que ce que je pensais (entre 10 et 25€). Carte du Off en main, je suis déjà prête pour demain.

8 juillet. Le palais des Papes surplombe la ville tout près du rocher des Doms. Sa visite m’impressionne et je passe un bon moment à observer le décor que l’on installe sur la scène de la fameuse cour du palais. On y jouera Papperlapapp dans quelques jours.

Presque midi, Place de l’Horloge, les terrasses débordent. Les gens cherchent à se rafraîchir et on plaint beaucoup les comédiens en costumes et perruques. Ils suent abondamment. Tiens, n’est-ce pas Marc Labrèche, programme en main, au coin de la rue là-bas? Pas le temps de lui adresser un bonjour, la foule me happe et je sors mon brumisateur, mon sauveur par cette intense chaleur. 34 degrés clignotent sur la devanture d’une pharmacie.

La nuit des rois de Shakespeare. Traduction et adaptation de Jean Hervé Appéré. 8 juillet. Petit Louvre.

En début d’après-midi, on trouve refuge dans notre première salle de spectacle, climatisée il va sans dire. Le Petit Louvre est une ancienne chapelle de Templiers, la salle est de toute beauté, assez grande pour accueillir 225 personnes. Elle est à moitié remplie quand La nuit des rois commence.

Les premières mesures musicales, avec instruments d’époque, me séduisent. J’ai sous les yeux une commedia dell’arte brillamment adaptée de la comédie de Shakespeare et avec tous les codes que le genre implique : masques, costumes, lazzi, musique, cabrioles et apartés. Quelques chansons et des bruitages, tous réalisés par les comédiens présents sur scène (exit les coulisses!), complètent la trame sonore. Le public rigole des facéties de la troupe et des amours contrariées de Viola, Orsino et Olivia. Le décor est réduit au strict minimum, des tréteaux et une toile suffisent à délimiter l’espace, et pourtant, cela n’empêche pas les interprètes d’outrepasser ces frontières et d’occuper les lieux. Je comprends à la fin de la représentation pourquoi le décor est si épuré. Dès que les applaudissements cessent, les comédiens se débarrassent de leurs masques et costumes et s’emploient à démonter le décor : un autre spectacle commence là dans moins de trente minutes! Les comédiens prendront une petite pause bien méritée puis renfileront leurs costumes pour retourner dans la rue et distribuer des tracts.

Le Off est pour les artistes – encore plus que pour les spectateurs! – un marathon de trois semaines.

Les femmes savantes de Molière. 8 juillet. Palais Royal. Il était une fois Martine! Mise en scène d’Anthony Magnier.

La deuxième pièce du jour a lieu au Palais Royal, une petite salle sympathique et plus moderne. Toutes les places sont prises par des congressistes qui ont eu des billets gratuits pour Les femmes savantes. Le marketing porte ses fruits! Hélas, aux premières répliques, je grince déjà des dents. Les voix sont criardes, le jeu sonne tout sauf juste. Les comédiens s’entassent sur les tréteaux de bois. Entre deux bancs et une toile peinte représentant le mur d’une belle pièce, ils n’ont pas l’espace nécessaire pour bouger. Cette mise en scène conventionnelle des Femmes savantes n’apporte rien de neuf, quoiqu’en dise le programme qui annonce une « adaptation à dimension contemporaine ». Quant aux bruitages, ils réussissent là où le texte, faute d’un jeu à la hauteur, échoue : ils font rire le public.

Pour ce 9 juillet, ma dernière journée à Avignon, on joue aux éclectiques : d’abord une pièce pour enfants, puis l’adaptation d’un chef-d’œuvre de la littérature française. Les deux théâtres se font face, c’est dire si le nombre de salles dans la vieille ville est impressionnant. Même à 11h30, il fait déjà chaud, on retrouve l’air climatisé avec soulagement.

L’univers de la lanterne magique. 9 juillet. Théâtre de l’Atelier 44. Théâtre de marionnettes Prichindel. Mise en scène et scénario de Radu Dinulescu.

Un gros œuf est le point de départ d’un voyage dans L’univers de la lanterne magique. La créature qui sort de cet œuf me fascine rapidement. Son air ébouriffé, sa démarche comique et même les petits sons qu’elle produit conquièrent le public, très très réduit. Il y a là plus d’adultes que d’enfants. Qu’à cela ne tienne, les adultes retombent en enfance avec ce petit conte charmant. Deux artistes manipulent habilement les belles marionnettes sur le minuscule castelet en forme de croix et recouvert de galets. Dommage que les possibilités qu’offre ce castelet soient si peu exploitées.

Misérables. 9 juillet. Théâtre du Balcon. Compagnie Philippe Person. Mise en scène de Philippe Person.

On traverse rapidement la rue pour entrer au Théâtre du Balcon et récupérer nos billets, juste à temps pour le début de la représentation des Misérables. Adapter une œuvre colossale en un spectacle d’une heure et quart avec un minimum de décor et de costumes? Pourquoi pas! Pari relevé et gagné par Philippe Person et ses deux compagnons de scène. Cette plongée ludique dans un roman-fleuve, comme on nous l’annonce d’entrée de jeu, met en lumière plusieurs passages socio-politiques de l’œuvre de Victor Hugo. Vous savez, ceux que l’on survole pour savoir rapidement ce qu’il advient de Cosette, de Jean Valjean et de Gavroche… Après nous avoir harangués, les interprètes vont jusqu’à nous distribuer des tracts. Le jeu sobre, juste et habile des trois comédiens nous permet de « redécouvrir » le roman d’une couverture à l’autre tout en prêtant oreille à plusieurs personnages et aux idées de l’époque. Représenter Javert par un immense mannequin plat dans lequel il suffit d’enfiler la tête est une idée ingénieuse. Le mannequin illustre parfaitement l’aspect monolithique d’un homme incapable de changer sa conception du monde pour survivre. C’est avec grand enthousiasme que, comme on nous a invités à le faire après le spectacle, j’ai passé le mot aux gens : allez voir Misérables!

Ces trois jours ont passé tellement vite que je me sens déçue de quitter le tourbillon des rues avignonnaises. Mais le train ne m’attendra pas. Et puis peut-être que l’an prochain, il m’y ramènera…?

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