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Festival TransAmériques - 2 et 3 juin 2017, 21h, 4 juin 15h et 21h
Pour
Danse
Chorégraphie et scénographie Daina Ashbee
Interprétation Paige Culley

Un cri aigu déchire la nuit boréale ; un chant, un appel. Une jeune femme apparaît, luminescente. Étrangement fascinante,  le regard cru. Elle se dépouille de son vêtement, semble vouloir s’extirper de sa peau. Le mal s’insinue, le liquide ruisselle. Nous sommes au cœur d’une féminité tourmentée, contractée, secrète.

Force montante de la danse contemporaine, la chorégraphe Daina Ashbee explore un sujet tabou, celui du cycle menstruel, en fait un objet empreint de symbolisme, d’une beauté douloureuse. Puisant dans la tradition séculaire de la chasse aux phoques, elle aborde audacieusement des questions complexes autour du sang, de l’écoulement, de la perte de contrôle. Splendide interprète, Paige Culley exprime les souffrances du corps en transformation, du corps animal, nu et vulnérable, capteur de lumières, émetteur de sons. Tous ses membres heurtent impitoyablement la banquise mouillée, le corps hurle sans pudeur sa déroute. Vient enfin l’apaisement, la femme engloutie remonte à la surface. Un cycle se termine.

Daina Ashbee (Montréal)

En trois spectacles seulement, la jeune chorégraphe Daina Ashbee s’est imposée comme une artiste importante de la danse d’ici.


Section vidéo


Musique Jean-François Blouin
Lumières Hugo Dalphond
Rédaction Diane Jean
Photo

Durée : 1h

3 juin / Rencontre après la représentation

Résidence de création La Chapelle Scènes Contemporaines

Création au Théâtre La Chapelle, Montréal, le 26 septembre 2016

Un spectacle de Daina Ashbee


FTALa Chapelle, scènes contemporaines
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : En ligne : fta.ca
Par téléphone 514 844 3822 / 1 866 984 3822
En personne :
La Vitrine, billetterie officielle du FTA* - 2, rue Sainte-Catherine Est (métro Saint-Laurent)
*En personne, les billets pour les spectacles présentés à la Place des Arts ne sont pas en vente à La Vitrine, mais exclusivement à la PDA.

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Critique

critique publiée lors de la création de la pièce en septembre 2016

Après avoir remporté un grand succès avec son spectacle Unrelated (finaliste du prix du CALQ dans la catégorie « Œuvre de la relève à Montréal » 2015), Daina Ashbee revient à La Chapelle pour y présenter Pour (« verser » ou « couler », en français). Avec cette nouvelle création, la chorégraphe de descendance crie et métisse cherche à explorer la relation complexe des femmes à leur cycle menstruel en proposant une danse lente et répétitive proche du rituel, où l’endurance de la danseuse Paige Culley est mise à rude épreuve.


Crédit photo : Daina Ashbee

C’est dans l’obscurité que les spectateurs sont invités à s’asseoir dans la salle, alors qu’une silhouette se dessine déjà sur scène. De longs cris stridents et angoissants percent ponctuellement la salle, interrompant quelques secondes le murmure des spectateurs. Puis, les lumières s’éteignent et c’est par l’ouïe que le public devine les mouvements de l’interprète, dont on entend les pas résonner discrètement lorsqu’elle se déplace sur scène. Une lumière aveuglante illumine soudainement la salle et laisse voir Paige Culley, torse nu, qui se tient debout très près des premières rangées de spectateurs. Le regard vide et dégageant une forte impression de vulnérabilité, elle commence à enlever ses pantalons, puis se rétracte et reste immobile quelques minutes avant d’adopter une attitude plus affirmée.

C’est avec pudeur et délicatesse que Daina Ashbee illustre le rapport des femmes à leurs règles. Elle propose une chorégraphie abstraite et poétique où le corps est dégagé de son potentiel érotisant. La soliste se tord et se tortille comme un reptile en pleine mue, jusqu’à se défaire de tous ses vêtements et de former une masse informe, mi-humaine, mi-animale. Face au dépouillement de la scène, le public est pris à témoin par la danseuse et assiste impuissant à sa détresse physique apparente. Impossible de détacher son regard de ses mouvements lents hypnotiques.

Pour aborder le tabou que représente ce mal typiquement féminin, Daina Ashbee tisse un parallèle entre la chasse au phoque commerciale et la douleur intime rattachée aux crampes menstruelles. Ce rapprochement se devine par la blancheur bleutée du plancher qui rappelle celle d’une banquise, ainsi que par certains mouvements de la danseuse exécutés très près du sol. Paige Culley se sert de son corps comme d’un instrument à percussion, alors que son ventre, ses bras et ses jambes percutent violemment le sol comme un animal aquatique en pleine asphyxie. Les bruits étouffés qui s’échappent de sa bouche font penser à des chants de gorge amérindiens, et s’ajoutent à la musique inquiétante conçue par Jean-François Blouin.

Se rapprochant de la performance par son caractère provocateur, de la musique par l’usage de percussions corporelles et des arts visuels par son esthétisme léché, Pour constitue une œuvre polysémique en phase avec la société contemporaine. Dans la lignée de l’art conceptuel, les détails du processus de création de DainaAshbee éclairent grandement ses chorégraphies, qui pourraient sembler hermétiques à un spectateur non averti qui ne possèderait pas les clés de lecture pour déchiffrer l’œuvre.

30-09-2016