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Festival TransAmériques - 25-26 mai 2014, 19h
Sad Sam Almost 6Sad Sam Almost 6
Danse - Performance
En anglais avec surtitres français
Un spectacle de Emanat Institute et Ferlin D.O.O.
Création et interprétation Matija Ferlin
Dramaturgie Katja Praznik

Totalement absorbé par son jeu, un enfant fait la classe à une horde de figurines d’animaux. Il les commande, les encourage, les rabroue. Il exerce son contrôle à coups de crises d’autorité et de discours lénifiants, exorcise ses peurs sous des costumes de papier. Lentement, le trouble s’insinue dans cette scène enfantine. Un cruel despote supplante la tendre tête blonde, l’insouciance commence à transpirer l’angoisse et l’on ne sait plus trop sur quel pied danser. Mûrir n’est pas facile. Finalement, l’univers des grands n’est peut-être pas si idyllique… 

Figure à découvrir de l’avant-garde performative balkanique, Matija Ferlin transcrit avec une impressionnante justesse le décalage entre un regard d’enfant et celui d’un adulte dans Sad Sam Almost 6, questionnant du même coup notre perception du monde. Une œuvre subtile et dérangeante, en contraste total avec Sad Sam Lucky, autre solo présenté au Festival. 

Figure émergente de la scène des Balkans, Matija Ferlin est un artiste inclassable parce qu’il est pétri de transdisciplinarité et d’expériences atypiques. Formé en arts graphiques et médiatiques, en théâtre et en danse, il a vécu à Amsterdam et à Berlin avant de revenir en Croatie où il est né en 1982. En parallèle à ses créations personnelles, il se nourrit de nombreuses collaborations, à titre de performeur, d’acteur ou de conseiller artistique, avec des créateurs d’horizons très variés, parmi lesquels l’Allemande Sasha Waltz, la Canadienne Ame Henderson (il était de la distribution de /Dance/Songs/, FTA 2009 et a créé avec elle The Most Together We’ve Ever Been), le Québécois Luc Dunberry et la Slovène Maja Delak, fondatrice d’Emanat Institute, institut pour l’affirmation et le développement de la danse et de l’art contemporain, établi à Ljubljana et producteur de ses œuvres. 

Il a déjà réalisé quatre courts métrages et cinq expositions en plus d’une dizaine de performances, dont les solos où il témoigne des mouvances de son identité intime et professionnelle : Sad Sam Almost 6 (2009) et Sad Sam Lucky, qui a reçu l’an dernier un prix en Serbie pour son expressivité et son inventivité exceptionnelles. Depuis 2004, il a présenté son travail en Europe et en Amérique du Nord. En 2011, il se classait au rang des meilleurs chorégraphes de l’année dans la publication new-yorkaise V Magazine et se voyait primé pour la même raison en 2012, en Croatie, et en 2013, en Slovénie.


Section vidéo
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Scénographie Artikl + Silvio Živković
Costumes Artikl
Lumières Saša Fistrić + Urška Vohar
Photo Nada Zgank
Rédaction Fabienne Cabado

Création au Stara Mestna Elektrarna, Elektro Ljubljana, le 30 janvier 2009

Durée : 55 minutes

Tarif régulier : 28 $
30 ans et moins / 65 ans et plus : 23 $
Taxes et frais de services inclus

Coproduction chez Buswick (New York) + Bunker - The Old Power Station Elektro (Ljubljana)
Avec le soutien financier Deistria Region + Ministère De La Culture (Slovénie) et le soutien de Tanzquartier Wien + Kulturkontakt Austria dans le cadre du programme Artist-In-Residence
Présentation en collaboration avec Monument-National


Studio Hydro-Québec du Monument-National
1182, boul. Saint-Laurent
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est

 
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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon


Crédit photo : Nada Zgank

Au centre d’un cercle de figurines animales, sous une étoile gigantesque et éblouissante, le chorégraphe et interprète Matija Ferlin prend les présences, dans une sorte de parodie du monde scolaire, comme un enfant s’amusant à imiter les grands. Cent vingt-six noms sont ainsi égrenés tandis que le public s’installe dans la salle. Cent vingt-six individualités que l’homme en scène salue laconiquement, admoneste gentiment, rappelle à l’ordre ou félicite. Sept sont nouveaux, on leur souhaite la bienvenue et les applaudit, d’autres y viennent depuis vingt ans. Où? Pourquoi? On ne sait trop.

Créé en 2009, soit trois ans avant l’autre spectacle de Ferlin présenté au FTA, Sad Sam Almost 6 est un étrange objet scénique, ni tout à fait danse, ni tout à fait théâtre ou marionnettes. Ferlin y agit en fait avec tant de naturel que la théâtralité semble presque exclue de la représentation. Sa performance vibrante, son jeu vrai et hypnotique (comme celui d’un gourou) transforment cette production de moins d’une heure en un fascinant ballet social enchâssé dans un cercle parfait. Tantôt il s’exprime en chanson, reprenant All I need, de Radiohead,en air guitar, tantôt il place un agneau face à une meute de félins et exige du groupe de figurines qu’il réagisse à la situation.

Dans le cercle formé de figurines, l’homme règne sur son petit monde. Il y crée les règles, exige une confiance totale, impose les situations, les gestes et les réponses, et refuse d’entendre les questions, les repoussant à un plus tard finalement jamais révolu. À l’intérieur du cercle, il met en scène ses cauchemars, figures effrayantes représentées par des accessoires de papier, et verbalise sa difficulté d’être en communauté.

Yeux ouverts ou yeux fermés, les figurines sont appelées à réagir, à sortir du cercle qui les maintient en place, mais, poussés à bout par le créateur qui les dirige, ils se refusent finalement à lui adresser la parole. Face à cette indifférence silencieuse, l’artiste les remballe tous en vrac dans un grand sac, comme il remballe ses fragiles artifices de théâtre et sa musique. Du grand sac n’échappe qu’une figurine de cheval que l’homme a poussée hors du cercle en lui demandant de témoigner de ce qu’il y a là, dehors. Elle demeure un instant en scène, comme oubliée.

Sans éclats de voix, mais avec une intensité dans le corps et le texte, concentré de mots porteurs, Ferlin nous mène habilement du jeu d’enfant au jeu social du monde adulte, où les rapports à la mort, à l’autre et à la société en général évoluent et déstabilisent. Ce n’est qu’une fois le cercle brisé, à l’extérieur de celui-ci, que l’artiste parvient à parler de lui-même — enfin —, à nous confier son plus précieux souvenir d’enfance et à s’en libérer. Un spectacle comme un appel à sortir du cercle, social ou intime.

26-05-2014