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Festival TransAmériques - 1er, 2 et 3 juin 2014, 20h
De RepenteDe Repente Fica Tudo Preto De Gente
Danse
Un spectacle de Demolition Inc.
Création et interprétation Daniel Barra, Tamar Blom, Sérgio Caddah, Jell Carone, Marcelo Evelin, Andrez Lean Ghizze, Wilfred Loopstra, Hitomi Nagasu, Márcio Nonato, Elielson Pacheco, Rosângela Sulidade, Sho Takiguchi, Loes Van der Pligt, Regina Veloso

Debout dans la pénombre d’un ring encadré de néons, le public est sur le qui-vive. À chaque instant, il lui faut réagir aux mouvements imprévisibles de cinq corps nus enduits d’une substance noire. Humains originels fraîchement expulsés du ventre de la terre. Magma grouillant de chairs avides d’amour et de contact. Boule de canon qui disperse la foule, cherche la collision. Le sol gronde sous le poids de leur danse tribale. Leur regard franc perce les derniers remparts capables de protéger le spectateur d’une plongée dans l’inconnu et de la peur de l’Autre. 

Figure emblématique de la nouvelle scène brésilienne, Marcelo Evelin pulvérise le quatrième mur et fait du corps un trait d’union entre le « je » et le « nous » dans Soudain tout est noir de monde. Une œuvre pleine de vie qui s’écrit dans le partage de l’espace. Une expérience sensorielle inédite et troublante.

Né en 1962 à Teresina, dans le nord du Brésil, Marcelo Evelin étudie le théâtre et la danse à Rio de Janeiro, signe sa première chorégraphie en 1985 et s’envole pour l’Europe pour parfaire sa formation, notamment auprès de Pina Bausch. Il y restera 20 ans, collaborant avec des artistes d’horizons très variés dans des projets interdisciplinaires. En 1995, il fonde la plateforme de création Demolition Inc. Invité à diriger un théâtre se voulant également centre de création pour jeunes artistes et étudiants en arts dans la banlieue sa ville natale, il retourne au Brésil en 2006 et rassemble un groupe d’artistes indépendants au sein de Núcleo do Dirceu. Influencé par un contexte sociopolitique dominé par la pauvreté, l’injustice et la discrimination, il se distancie des concepts ayant jusqu’alors marqué son travail et adopte une nouvelle approche de l’art, le considérant dès lors comme un processus social et politique et un levier potentiel de changement. Il s’inspire d’un roman culte du sociologue et ingénieur Euclides da Cunha pour créer une puissante trilogie sur la répression sanglante de mouvements paysans au XIXe siècle : Sertão (2003) traite de la terre, Bull Dancing (2006), de l’homme, et Matadouro (2010), de la lutte. Lieu de combat et résistance, le corps devient lieu de rencontres et de possibles dans De repente fica tudo preto de gente (2012), où cohabitent de grandes différences derrière l’apparente uniformité de la masse.


Section vidéo
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Photo Caddah
Rédaction Fabienne Cabado

Création au Teatro Sérgio Porto, Panorama Festival, le 3 novembre 2012

Durée : 1h

Tarif régulier : 33 $
30 ans et moins / 65 ans et plus : 28 $
Taxes et frais de services inclus

En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 2 juin

Coproduction Festival Panorama (Rio de Janeiro) + Kyoto Experiment + Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) avec le soutien de Funarte (Prémio Klauss Vianna 2011) + Saison Foundation (Tokyo) + Theater Instituut Nederland (Amsterdam) + Fonds des Pays-Bas pour les arts du spectacle

Présentation en collaboration avec Monument-National 


FTAStudio Hydro-Québec du Monument-National
1182, boul. Saint-Laurent
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est

 
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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Caddah

Dans un festival comme le FTA, certaines pièces se démarquent davantage par leur forme jugée audacieuse que par une écriture artistique enracinée dans un propos porteur de sens. C’est le cas de cet objet scénique qui porte le nom de De repente fica tudo preto de gente (Soudain tout est noir de monde en français). Sans détour et en toute franchise, cette curiosité intrigante agace considérablement.

La production de Demolition Inc, conçue au Brésil, dure environ une heure et se déroule au Studio Hydro-Québec du Monument-National. Elle demeure surtout une expérience qui peut se révéler ensorcelante ou pénétrante pour certains spectateurs. Mais pour l’auteur de ces lignes, la signification profonde de cette production (difficile ici de parler de théâtre ou de danse) ne transcende jamais les lieux communs. Si pour le grand écrivain français André Gide les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature, sur une scène, les bons flashs ne se traduisent pas toujours en réalisations dramatiques concluantes.

Dans la salle de représentation, le public se répartit sur deux niveaux. Au sol, un carré, constitué de lumières tamisées la plupart du temps, définit l’aire de jeux où s’amalgame la majorité des spectateurs (ou cobayes pour plus de précision) et un quintette d’interprètes. Les artistes, hommes et femmes, se mêlent donc à une partie de la petite foule. Un peu plus haut, une passerelle permet à certains de regarder ce spectacle sans se sentir envahis.

Après que tout le monde ait pris place, le spectacle s’amorce sans véritable signal de départ. Les performeurs surgissent sur le plateau comme un troupeau d’animaux. Ils sont complètement nus et leur enveloppe corporelle est recouverte de peintures noires luisantes. Ils foncent dans l’arène comme une meute de taureaux et les braves spectateurs et spectatrices doivent constamment bouger dans l’espace pour ne pas se retrouver estropiés. Pourtant, ces derniers et dernières trouvent pour la plupart cette aventure amusante. Plusieurs rires fusent. L’atmosphère de fin du monde, visuellement appuyée par un éclairage faible (presque dans la noirceur) bénéficie d’une conception sonore judicieuse, mais rapidement redondante. En effet, du début à la fin, nous entendons un bruit de fond qui ressemble à un grondement. Sa distorsion s’apparente à une métaphore d’un monde en pleine mutation et en plein bouleversement.

À la longue, nous décrochons devant l’absence de progression dramatique, de rupture de ton ou d’un manque d’évolution qui aurait apporté du tonus et une consistance à cette œuvre atypique et performative. Il faut attendre une vingtaine de minutes avant que la troupe cesse, brièvement, son jeu de chat et de souris où tout le monde bouge sans comprendre les enjeux de cette pratique. Puis, les interprètes se dispersent et se séparent, retrouvant quelques instants leur individualité. Ils se déplacent chacun de leur côté tout en lenteur, presque en transe, et défient du regard les individus près d’eux. Cet aspect de De repente fica tudo preto de gente paraît le plus pertinent par son abolition du quatrième mur et le renversement des rôles traditionnels. Les spectateurs, en plus de changer constamment de position, deviennent également un objet de représentation susceptible de recevoir le regard d’autrui comme un tableau d’exposition. La nudité, partie intégrante de la démarche (même le régisseur ne porte aucun vêtement ou aucune plume), ne devient jamais ici un signe de provocation, de surenchère. Elle ne tend jamais (ou très peu) vers l’érotisme ou un soupçon de désir.


Crédit photo : Caddah

Pourtant, la production souffre d’une absence de passion, de tension ou de rage. Elle se rapproche davantage de l’esprit d’une installation d’arts visuels que de la création remuante. Parfois, un concept, plus ou moins théâtral, se traduit par une brillante réussite. Dans la présente édition du FTA, le brillantissime Germinal des créateurs multidisciplinaire Antoine Defoort et Halory Goerger démontrent justement cette alliance réussie entre la matière brute et la transposition scénique. Dans l’espace exigu du studio du Monument-National, les intentions des créateurs brésiliens tendent rapidement vers une forme de complaisance. Car, en plus d’une gestuelle quasi-inexistence, les artistes ne sortent que très rarement de leur carré de sable ou de leur zone de confort. Après soixante minutes, on retient que peu de chose, comme les quelques mouvements au sol qui auraient pu ajouter une dimension plus ancrée. À quelques moments, ils se permettent quelques sons gutturaux comme des cris de jouissance ou des rires coquins. Cette piste aurait également donné une portée plus organique à cette démonstration plutôt vide.

Pour tenter d’extirper dans une critique les différentes possibilités de la création, l’auteur de ce texte s’est retrouvé à la fois dans le carré de jeu et sur la passerelle en hauteur. D’un endroit à l’autre se dégage la même sensation de distance. Malgré les corps vifs gorgés de sueur et de chaleur, le froid et la lassitude imprègnent ce monde sombre.

Il est possible d’apprécier l’innovation, l’audace, l’expérimentation et les incursions hors des sentiers battus, mais encore faut-il que les instigateurs de projets iconoclastes greffent un peu de chair autour de l’os. À moins d’aimer inconditionnellement ce genre d’exercice de style, la production De repente… est à bailler d’ennui.

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