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Festival TransAmériques - 2, 3 et 4 juin 2014, 20h
De RepenteAntigone Sr.
Danse
En anglais
Un spectacle de Trajal Harrell
Chorégraphie Trajal Harrell
Avec Rob Fordeyn, Trajal Harrell, Thibault Lac, Stephen Thompson, Ondrej Vidlar

« Y a-t-il une icône dans la salle ? Donnez-moi des figures légendaires ! » Micro à la main, Trajal Harrell mène un bal de voguing unique et improbable. Cinq gars hyper sexy défilent sur les podiums lumineux qui zèbrent le plateau. Ils troquent costard et jeans contre des talons hauts, se taillent une toge dans un carré de soie aussitôt transformé en jupe, turban, corsage. Ils sont Antigone, qui s’éleva contre l’autorité, Ismène, Eurydice, Créon… Parachutés en pleine tragédie grecque, ils rejouent ce drame antique en chansons pop, ballades, tirades déconstruites et battles déjantées. Une hybridation insensée des styles et des genres. Un feu roulant d’intelligence, d’audace et d’inventivité. 

Dans Antigone Sr. comme dans (M)imosa (FTA, 2012) — deux des huit pièces composant la série Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church —, l’iconoclaste New-Yorkais utilise le métissage des écritures pour questionner la danse, l’identité sexuelle et le pouvoir dominant. Comme un tour de grande roue qui déboussole et élargit notre vision de l’art.

Le chorégraphe-interprète new-yorkais Trajal Harrell pourrait être aux formes scéniques contemporaines ce que fut Martha Graham à la danse moderne des années 1920. Commissaire d’une édition d’un festival du Danspace Project, rédacteur en chef du Movement Research Performance Journal pendant cinq ans, reconnu en Europe comme en Amérique du Nord, il a récemment été invité à créer une œuvre in situ au MoMA et il est l’un des rares Américains à tenir le haut du pavé de la danse savante. Interrogeant dans ses œuvres les fondements esthétiques et politiques de la danse postmoderne à laquelle il a été formé, il se demande, en 2001, ce qui se serait produit si un adepte du voguing, né dans le Harlem homosexuel et transsexuel des années 1960, s’était rendu à Greenwich Village, où les membres de la Judson Church développaient la danse postmoderne.

De problématique formelle dans ses premières œuvres, ce questionnement devient le thème de la série Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church qu’il inaugure en 2009 avec la version (S), « small » et qu’il achèvera peut-être avec le catalogue (XL). Entre ces deux versions, il y a eu six autres formats, dont Antigone Jr., duo entre l’héroïne et sa sœur Ismène, et Antigone Sr., qui, comme l’extravagante (M)imosa présentée au FTA en 2012, a reçu le prix Bessie de la meilleure production.

Délaissant désormais la danse postmoderne pour s’intéresser au butô, Harrell cherchait comment voguer Tatsumi Hijikata dans Used, Abused and Hung Out to Dry, fruit de sa recherche, présentée au MoMA en 2013.


Section vidéo
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Scénographie Erik Flatmo
Lumières Jan Maertens
Son Trajal Harrell et Robin Meier
Dramaturgie Gérard Mayen
Photo Ian Douglas (Twenty Looks or Paris is Burning at the Judson Church)
Rédaction Fabienne Cabado

Résidences de création WpZimmer (Anvers) + Work Space Brussels + Pact Zollverein (Essen) + Dansens Hus (Stockholm)

Création au Malthouse Theatre, Melbourne, le 29 septembre 2011

Durée : 2h15

Tarif régulier : 43 $
30 ans et moins / 65 ans et plus : 38 $
Taxes et frais de services inclus

En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 3 juin

Coproduction New York Live Arts + Centre national de danse contemporaine d’Angers + Centre chorégraphique national de Franche-Comté (Belfort)

Avec le soutien de Jerome Foundation (St-Paul) + Multi-Arts Production Fund (New York) + Mertz-Gilmore Foundation (New York)

Présentation en collaboration avec Usine C

FTAUsine C
1345, avenue Lalonde
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est

 
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 Critique
Critique

par Geneviève Germain


Crédit photo : Ian Douglas

On ne peut pas reprocher au chorégraphe et interprète new-yorkais Trajal Harrell de manquer d’imagination : qui d’autre que lui pour proposer une tragédie grecque dans un format si avant-gardiste ? Celui que l’on compare souvent à la chorégraphe Martha Graham pour son influence sur les scènes contemporaines présente avec Antigone Sr. sa sixième pièce d’une série de huit intitulée Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church. Tout comme ses créations, le titre de la série est le fruit d’un habile jeu de mots qui s’inspire à la fois du « voguing » et de la danse postmoderne. Le « voguing » est un style de danse inspiré des défilés de mode qui est fortement associé aux communautés gaies et transgenres de Harlem et qui fut popularisé non seulement par la chanson Vogue de Madonna, mais également par un documentaire de 1990 intitulé Paris is burning. Pour la danse postmoderne, laquelle propose que tout mouvement est danse, elle fut soutenue notamment par la Judson Church du Greenwich Village. Ce qui est amusant est aussi que l’artiste attribue une taille à chacune des pièces de sa série. Jusqu’à maintenant, cinq tailles ont été présentées : « extra-small »,  « small », « medium », « junior » et « made-to-measure ». D’ailleurs, (M)imosa (FTA 2012, récipiendaire du Bessie de la meilleure production) correspondait à la taille « medium ». Pour Antigone Sr., Trajal Harrell a attribué la taille large.

C’est donc avec cette prémisse de base que le chorégraphe présente sa dernière création au public : informellement, un micro à la main, il nous prévient qu’il a voulu explorer une hypothétique rencontre d’un danseur de « voguing » et de la troupe de danse postmoderne de la Judson Church. Il précise que les carrés blancs au sol sont des îles, puis invite le public à se lever pour leur hymne officiel. Il a fallu attendre quelques vers avant de reconnaître le classique douteux qui était chanté, soit …Baby one more time de Britney Spears. Le ton était donné.

Dans Antigone Sr., l’utilisation réelle du récit de l’œuvre de Sophocle demeure minimaliste. Trajal Harrell ne s’en cache pas : il a voulu explorer la solide féminité évoquée par Antigone pour faire ressortir les similarités de performance entre le théâtre grec et le « voguing ». Il relève que les deux sont interprétés par des hommes, sont très axés sur des rituels et comportent même un certain côté carnavalesque. Face à tout cet élan créatif, on sent qu’Antigone n’est qu’un prétexte pour mettre en scène une fusion de genre et une immense fresque qui repousse les limites de l’art et de la performance. Peu de place est laissée à l’histoire, si ce n’est qu’elle est évoquée lors de moments de narration, ou encore sublimée dans de longs enchaînements de danse, de défilés de mode improvisés ou de chant. On s’amuse tout de même de la vulgarisation de la tragique histoire de la protagoniste, alors que son frère évoque nonchalamment le triste destin de ses parents et qui avance que ça ne lui dit pas trop d’aider sa sœur à enterrer leur frère, ou encore la scène « We Are » dans laquelle Antigone et sa sœur deviennent une série de duos célèbres, tels John et Yoko, Beyoncé et Solange, par la simple évocation de leurs noms, le temps d’une longue énumération qui mêle aussi des duos saugrenus (la poule et l’œuf) et des dualités politiques (Israéliens et Palestiniens).


Crédit photo : Lars Pehrson

La mode est également un élément récurrent dans cette présentation. D’ailleurs, les cinq artistes sur scène, incluant Trajal Harrell, changent sans cesse de costumes : de la camisole qui devient un drapé romain au manteau de cuir qui devient robe, en passant par le châle qui se transforme en couvre-derrière, toutes les possibilités d’utilisation de chacun des morceaux de tissus sont explorées. L’introduction sur scène de la reine-mère donne lieu à un défilé surprenant et haut en couleur de tous types de « mères », en multipliant les références à la mode, tout comme lorsqu’on a introduit le prince Haemon. On joue avec les lignes et les angles, les pieds imitant le sautillement des talons hauts, et on emprunte les batailles de mannequins de défilés au « voguing ».

Le résultat de ce complexe pastiche de genres, de musiques et d’éléments visuels est vraiment déroutant, le tout semble brouillon et devient à plusieurs reprises chaotique. Il n’est pas étonnant que de nombreux groupes de spectateurs aient décidé de quitter la salle avant la fin. D’abord, il y a le son qui est souvent beaucoup trop fort pour que l’on puisse apprécier ce qui est joué. Aussi, la représentation souffre de plusieurs arrêts improvisés, soit parce que le portable qui gère le son est mal branché, ou encore parce qu’on doit le changer de place sur la scène. La salle est par ailleurs plongée dans une pénombre qui s’éternise à plusieurs reprises, pour finalement ramener la lumière sur rien qui semble avoir valu une aussi longue pause. Il nous vient à l’idée qu’au moins une bonne trentaine de minutes aurait pu être retranchée de la présentation pour son plus grand bien.

Malgré tout, une grande part du public s’est prêté au jeu de danser et de festoyer à l’arrivée du roi Créon, alors que tous les projecteurs étaient braqués sur la salle. Force est de constater que l’originale folie créatrice de Trajal Harrell est contagieuse et comporte tout de même ses moments forts.

03-06-2014