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14 mars 2014, 20h
4'sous, sur le tréteau
Soirées M
Pour adultes
D’après le classique de Bertolt Brecht, L’Opéra de 4’sous.
Mise en scène de Louis Morin
Avec Camille Loiselle D’Aragon et Carl Veilleux.

Les créateurs revisitent cette œuvre toujours d’actualité qui met en lumière les facettes les plus sombre de l’Humanité : on y voit les brigands, les péripatéticiennes, les bourgeois et les représentants de la loi qui s’y côtoient. Bref, toutes les sphères de la société où la notion du bien et du mal bascule constamment entre les « vrais méchants » et les « faux gentils ». Avec cette oeuvre, Brecht pose la question rhétorique centrale : « Qui est-ce qui est le plus grand criminel : Celui qui vole une banque ou celui qui en fonde une ? »

Soirée M:

Dans le cadre intime et convivial du Studio-théâtre de L’Illusion, depuis 2010, ces soirées permettent aux jeunes créateurs qui s’intéressent aux arts de la marionnette de tester de nouveaux projets et d’échanger sur leurs expériences marionnettiques avec leurs pairs.


L'Illusion, Théâtre de marionnettes
6430, rue St-Denis
Billetterie : (514) 523-1303

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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Affiche de la pièce

Comédie musicale allemande de Bertolt Brecht et Kurt Weill datant de 1928, inspirée de The Biggar’s Opera de John Gay (18e siècle), L’Opéra de Quat’sous met en scène, entre autres, Monsieur Peachum, directeur d’une « société » plus ou moins illicite qui contrôle la mendicité de Londres, qui voit sa fille Polly s’amouracher de Macheath, dit Mackie, un gentleman chef de gang. Le père est naturellement fou de rage, mais la petite, croyant avoir trouvé le grand amour, n’en démord pas, avouant même s’être mariée avec lui la veille. Peachum et sa femme, qui ont besoin de Polly pour amadouer les inspecteurs de la ville, fomentent un plan pour faire incarcérer Mackie, et ce, malgré le fait qu’il soit un ami intime du chef de la police. Corruption, banditisme et numéros musicaux en feront un des grands classiques du théâtre du 20e siècle.

Ces dernières années, deux versions de cet opéra ont été montées sur les scènes montréalaises : d’abord au TNM, en 2010, mis en scène par Robert Bellefeuille, mettant en vedette Serge Postigo et Émilie Bibeau, puis à l’Usine C, en 2012, par Brigitte Haentjens, avec Sébastien Ricard, Paul Savoie et Eve Gadouas dans les rôles principaux. Est-il possible de réinventer et de revisiter cette fable expressionniste  de manière nouvelle et originale? La réponse est oui, et la compagnie T.O.M.M. (Théâtre d’Objets et Marionnettes Musicale), en collaboration avec Décibel, l'a prouvé de façon indéniable lors de la plus récente Soirée M de l’Illusion Théâtre.

D’abord, un mot sur cette soirée thématique de l’Illusion, encore trop peu connue du grand public : inaugurées en 2010, les Soirées M permettent à des compagnies, souvent émergentes,  de tester devant public leur projet en gestation. Un laboratoire, en quelque sorte. Si, habituellement, l'on présente surtout des extraits, les spectateurs ont parfois droit à des œuvres relativement terminées, ou près de l’être ; ce fut le cas vendredi dernier, où 4’sous sur le tréteau fut présenté dans sa version complète avant sa réelle première, qui aura lieu le mois prochain.

Plus qu’une adaptation, 4’sous sur le tréteau est le résultat d’une audacieuse réappropriation de l’œuvre de la part de Carl Veilleux et de Camille Loiselle-D’Aragon, comédiens, chanteurs et marionnettistes, qui avaient envie depuis un bon moment de travailler ensemble. Avec le metteur en scène Louis Morin (qui travaille présentement sur la mise en scène de la comédie musicale Sweeney Todd à Québec), le duo propose, à l’instar des créations de la Pire Espèce, un théâtre d’objets drôlement divertissant, utilisant différents outils du barman aguerri, tels shaker, passoire à cocktail, récipient pour quartiers d’agrumes, verres, pilon à mojito, décapsuleur et autres limonadiers pour incarner les personnages de la pièce. Peachum devient par le fait-même Apeachum, sa fille Polly prend le nom de Bunny (à cause des petites oreilles de lapin que la passoire lui procure) et Mackie, Jack le Scalp-Peur. Le tréteau construit spécialement pour l’occasion se veut un petit comptoir portatif avec tous les accessoires nécessaires, incluant évidemment bouteilles et liqueurs. Le spectateur peut s’avérer sceptique devant le choix du thème (le bar), qui semble « loin » de la pièce originale, mais en quelques secondes, tout se met en place et fait sens : on parle souvent d’alcool dans l’Opéra, on est dans le quartier de Soho, avec sa racaille et ses voyous, on est dans la séduction, la clandestinité, la prohibition.

Les comédiens arrivent, distribuent Bloody Caesar et shooters tout en chantant l’air de La complainte de Mackie. Les accessoires dans leurs mains prennent vie, le spectacle à l'intérieur du spectacle commence ; la frontière ne sera jamais étanche entre les manipulateurs, qui se font des commentaires ou prennent la place des personnages pour un instant, et les objets qu’ils animent. Leurs voix se marient harmonieusement bien, rendant les numéros chantés fort réussis. Louis Bélanger à la guitare, qui signe aussi l’adaptation des chansons, fait un superbe travail, même si un deuxième instrument (une contrebasse par exemple, pour un swing encore plus jazzy, ou des percussions – simples caisse claire et cymbales Charleston ou hi-hats) seraient bienvenus, rendant moins nue l’accompagnement musical. L'adaptation balance joyeusement entre la vulgarisation de l'oeuvre de Brecht et la parodie, et ce, avec brio. Quelques clins d’œil sont hilarants, dont une chanson de Roch Voisine qui s’insère sans crier gare à la trame musicale, ainsi que certains jeux de mots comme « Shaker-speare » et « scotch-land yard ».

Alors que la finale L'Opéra de Quat'sous ressemble à un conte de Disney avant son temps, avec Mackie qui, juste avant sa pendaison, se fait exonérer de tout blâme par le roi, on décide ici, et avec raison, d’aller au bout de la sentence. Malheureusement, elle manque d’éclat, rendant la mort de Jack plutôt banale, voire quelconque. Avec tous les efforts déployés précédemment, l’exécution du bandit notoire devrait avoir plus de panache, quitte à exagérer la scène.

Même si l’on peut affirmer que cette version presque finale de 4’sous sur le tréteau était en tout point de vue une grande réussite pour le T.O.M.M. et Décibel, elle n’en était qu’à sa première présentation devant public. Le projet évoluera donc beaucoup avec le temps, les échanges entre les comédiens se peaufineront, quelques surprises pimenteront les scènes déjà souvent délirantes et la troupe trouvera sûrement le moyen de couper davantage – même si la troupe a miraculeusement fait passer la pièce de plus de trois heures à 1h15 sans dénaturer totalement le récit – quitte à utiliser quelques raccourcis narratifs, pour que ce petit diamant brut puisse briller de tous ses feux.

16-03-2014