Mon(Theatre).qc.ca, votre site de théâtre
14-15-16 janvier 2016, 20h
Swan Lake
Danse
Chorégraphie Dada Masilo

Réputée pour ses relectures galvanisantes de grands classiques du ballet, la jeune Sud-Africaine Dada Masilo fait une entrée fracassante au Canada avec 14 danseurs électrisants et une adaptation décapante du Lac des cygnes. Fusionnant danses classique et africaine, elle incarne avec fougue la belle Odette qui, victime d’un sort, se transforme en cygne blanc à chaque lever du jour. Mais dans sa version, ce n’est pas d’elle ni de son sosie que le prince Siegfried tombe amoureux. Il succombe, au grand regret de ses parents, aux charmes d’un cygne noir tout ce qu’il y a de plus mâle. Cela lui sera fatal. Homophobie, mariages forcés, séquelles de l’apartheid et ravages du sida sont évoqués avec humour, sensibilité et lumineuse intelligence dans cette œuvre d’une vigueur et d’une beauté stupéfiantes.

Créé en 1877 au Théâtre Bolchoï de Moscou sur la musique de Tchaïkovski, Le Lac des cygnes est l’un des ballets qui a inspiré le plus grand nombre de versions. Dada Masilo en fait une fixation depuis l’âge de 11 ans. En 2010, après s’être attaquée à Roméo et Juliette, puis à Carmen, elle parfait sa fusion des styles classique et africain dans l’histoire révisée de Siegfried, Odette et Odile. Entre arabesques, pieds nus frappant le sol, claquements de mains, hanches ondoyantes et voix qui viennent rythmer la danse, elle met au jour la métaphore de l’homosexualité de Tchaïkovski qui se cachait derrière l’amour impossible dans le livret original et introduit le thème du sida à la toute fin de l’œuvre. Elle confronte ainsi deux grands tabous de son pays natal. Elle questionne également l’héritage du régime de l’apartheid en métissant la partition originale de sonorités plus contemporaines et en détournant les codes du ballet avec des tutus pour tout le monde, des torses nus en sueur et un danseur baraqué à la place de la ballerine gracile.


Musiques Pyotr Iliich Tchaïkovsky, Steve Reich, René Avenant, Camille Saint-Saëns, Arvo Pärt
Création lumières Suzette Le Sueur
Costumes conçus par Dada Masilo et Suzette Le Sueur
Réalisation des costumes Ann et Kirsten Bailes
Réalisation des chapeaux Karabo Legoabe
Direction technique Interarts Lausanne Emmanuel Journoud

Durée 1h10

Billets à partir de 34$

Première au National Arts Festival, Grahamstown, Afrique du Sud, 2 juillet 2010.

Production The Dance Factory, Suzette Le Sueur et Interarts Lausanne, Chantal et Jean-Luc Larguier
Diffusion Scènes de la Terre, Martine Dionisio.


Section vidéo


Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts
Place des Arts
Billetterie : 514-842-2112
 
______________________________________
            
Critique

Crédit photo : John Hoggi

La chorégraphe sud-africaine Dada Masilo est connue, entre autres, pour l’intérêt qu’elle porte à la déconstruction des genres féminin et masculin. Son spectacle Swan Lake, créé en 2010 au National Arts Festival de Grahamstown, en offre d’ailleurs une représentation éloquente, alors que Siegfried est présenté comme un prince gai en tutu. Sa version du Lac des cygnes raconte donc l’amour d’un homme pour un autre, malgré un mariage arrangé avec une jeune fille.

Au miroir habituel entre Odette (le cygne blanc) et Odile (le cygne noir), Masilo privilégie une passion homoérotique en changeant le sexe du personnage d’Odile. En plus de contrecarrer la norme classique où la femme est placée au centre des regards, la chorégraphe justifie ce changement par l’envergure et la musculature de l’immense oiseau qu’est le cygne, qu’elle associe davantage au masculin qu’au féminin. Dans le contexte d’une des œuvres les plus connues du répertoire de ballet classique, ce choix est d’autant plus symbolique. Ceux qui connaissent la démarche artistique de Dada Masilo sauront toutefois qu’elle s’est attaquée à plusieurs reprises aux grands classiques de la danse et du théâtre comme Roméo et Juliette, Macbeth ou Carmen.

Masilo se réapproprie Le lac des cygnes en y ajoutant des couches de sens qui déplacent les enjeux habituels de l’histoire. Elle réussit un tour de force en abordant les tabous du continent noir que sont le sida, l’apartheid et l’homophobie, tout en maintenant une ambiance festive et un humour décadent dans son spectacle. Dès le début de la soirée, une narratrice excentrique récite la trame clichée que l’on associe au ballet sous la forme d’un conte, alors que les danseurs se prêtent au jeu de représenter la suite d’actions qui, selon elle, pourrait adopter le titre caricatural de « Filles en tutus au clair de lune ».

Avec Swan Lake, le ballet classique et les rythmes zoulous fusionnent pour donner une danse hybride énergique dans laquelle l’effort physique n’est pas camouflé. Les danseurs virtuoses affichent des corps athlétiques et accompagnent leurs pas de cris et de bruits de percussion corporelle. Nus pieds, ils se nourrissent du contact direct avec le plancher de la scène pour enchaîner des mouvements saccadés qui s’éloignent de la fluidité du ballet classique. Les trois danseurs principaux – notamment Dada Masilo dans le rôle d’Odette  – offrent des solos gracieux et incarnés qui rendent bien compte des tiraillements du trio amoureux.

La déconstruction qu’opère Dada Masilo transparaît jusque dans la trame musicale du spectacle. En plus de jouer avec la musique de Tchaïkovski en la détraquant ou en la décortiquant, la chorégraphe confronte cet air romantique avec la musique contemporaine de Paul Jennings, Steve Reich, Revé Avenant ou encore Arvo Pärt. Ce choix s’inscrit parfaitement dans la logique du processus de réappropriation de la chorégraphe et dynamise le spectacle.

Mises à part des transitions parfois maladroites entre les scènes et une rupture un peu trop franche avant le dernier tableau plus dramatique, Swan Lake consiste en une relecture riche et impressionnante d’une des œuvres les plus importantes de la mémoire collective de la danse occidentale.

15-01-2016