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Du 18 au 28 février 2015, 19h30 sauf 22 février 14h
CoeurJeux de cartes - Coeur
Texte de Louis Fortier, Reda Guerinik, Ben Grant, Catherine Hughes, Kathryn Hunter, Robert Lepage, Marcello Magni, Olivier Normand
Mise en scène Robert Lepage
Avec John Cobb, Louis Fortier, Ben Grant, Reda Guerinik, Catherine Hughes, Kathryn Hunter, Olivier Normand

Passant de la France à l’Algérie coloniale de la fin du XIXe siècle, avant de bifurquer vers l’Europe des années 60 et le Québec contemporain, les destins de cinq générations de personnages se croisent, se chevauchent et culminent en un rendez-vous décisif dans COEUR.

Agissant tel un pont entre le Printemps des peuples et le Printemps arabe, cette pièce de la tétralogie Jeux de cartes traite du passage d’un univers ancien teinté de magie, de croyances et d’illusions à un monde moderne où le savoir et le matérialisme règnent en maîtres.

Parmi les personnages au centre de l’histoire, les spectateurs feront connaissance avec Chaffik, jeune maghrébin, chauffeur de taxi à Québec, qui tente de faire la lumière sur le passé trouble de sa famille, ainsi que Jean-Eugène Robert-Houdin, grand magicien, qui oppose son talent de prestidigitation au pouvoir spirituel des Marabouts algériens du 19e siècle. Entre eux se déploie un réseau familial, politique et artistique qui transcende le temps et les frontières.

Voyez aussi Pique !


Section vidéo


Dramaturgie Peder Bjurman
Assistance à la mise en scène Sybille Wilson
Musique originale & conception sonore Jean-Sébastien Côté
Scénographie Michel Gauthier et Jean Hazel
Conception des éclairages Louis-Xavier Gagnon-Lebrun
Conception des costumes Sébastien Dionne
Conception des accessoires Virginie Leclerc
Conception des images David Leclerc

Rencontre avec Robert Lepage : 31 janvier

Tarif(s) Taxes et frais de services inclus :

Régulier 49$ à 70$
Étudiants et moins de 25 ans 25$ à 59,50$
Mordus 52,50$

Durée : 3 h 30, avec entracte

Une production d’Ex Machina créée à l’initiative du Réseau 360° en coproduction avec : Ruhrtriennale , La Comète – Scène nationale de Châlons-en-Champagne °, Cirque Jules Verne & Maison de la Culture – Scène nationale d'Amiens °,  La Tohu - Montréal °, Østre Gasværk Teater – Copenhague °, Roundhouse – Londres °, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg


La Tohu
2345, rue Jarry Est
Billetterie : 514 376-TOHU (8648)

Dates antérieures (ente autres)

Du 30 janvier au 9 février 2014 - Tohu

 
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 Critique
Critique

par Marie-Luce Gervais

Pour le deuxième volet de sa tétralogie Jeux de cartes, Robert Lepage a choisi d’explorer la couleur du cœur. Le cœur pour l’amour, bien évidemment, mais aussi pour la famille, la patrie, les croyances, l’identité, la vie qui se perpétue, les peines et les maladies liées au cœur.

Dans la ville de Québec, Chaffik, jeune chauffeur de taxi maghrébin, fait la rencontre de Judith, chargée de cours en cinéma à l’Université Laval. C’est le coup de foudre. Leurs deux univers se rencontrent, se percutent,  se mêlent. Les différences culturelles sont mises en perspective à travers le comportement et les remarques parfois naïvement xénophobes de leurs familles respectives. Suite à cette rencontre, Chaffik partira sur les traces de son grand-père à la recherche de réponses quant à ses origines et son histoire, ce qui le mènera droit vers le printemps arabe. À travers cette histoire, qui constitue en fait le fil conducteur de la pièce, Cœur montre aussi la rencontre de cinq générations d’hommes et de femmes au destin mêlé qui se dérouleront des années 1800 à nos jours, de la ville de Québec à l’Algérie, en passant par la France et le Maroc.

Cœur propose, comparativement à Pique, un texte plutôt cinématographique que théâtral. Celui-ci est toutefois finement tissé, de telle sorte qu’il est plus facile de s’accrocher au récit, d’en suivre le cours et de se laisser envahir par l’émotion qu’il dégage, et ce, malgré quelques longueurs. L’impressionnante structure scénique, la même que dans le premier volet, offre une possibilité quasi infinie d’assemblage, permettant de recréer rapidement divers lieux et de faire apparaître et disparaître de multiples accessoires. L’aspect technique de cette scénographie se fait toutefois plus discret que dans Pique, ce qui allège les transitions et les rend plus fluides.

Cœur est typique de l’esthétique de Lepage, c’est-à-dire que l’accent est mis sur la poésie de l’image, le jeu de lumière et la projection, et franchement, cela lui réussit. Une immense toile circulaire entoure la scène, se levant et se rabaissant à volonté, permettant ainsi une projection sur 360 degrés qui plonge littéralement le spectateur dans divers lieux.

Les acteurs sont justes et font preuve d’une grande générosité et d’une impressionnante versatilité dans leur jeu. Une mention spéciale revient toutefois à Kathryn Hunter, actrice britannique diplômée de la Royal Academy of Dramatic Art, dont l’interprétation de ses multiples personnages est absolument renversante. Elle passe d’un gamin curieux à une vieille grand-mère, puis à une femme espiègle avec une précision incroyable.

Malgré quelques longueurs et un aspect un peu trop cinématographique, Cœur aborde plusieurs thèmes sensibles et démontre une esthétique irréprochable. Reste à voir dans quels univers nous plongerons Carreau et Trèfle lors de la poursuite de Jeux de cartes de Robert Lepage.

23-02-2015



par David Lefebvre (2014)

Jette ton cœur loin devant toi; et cours l’attraper.
- proverbe arabe


Crédit photo : Ex Machina

Créé à la fin du mois de septembre 2013 en Allemagne, la pièce Cœur de la tétralogie Jeux de cartes d’Ex Machina prend possession de la Tohu jusqu’au 9 février prochain. La première partie, Pique, se passant essentiellement à Las Vegas, abordait les illusions et la perte de celles-ci, et souffrait des défauts de ses qualités : la superficialité dans laquelle baignait la pièce, qui rendait pourtant bien l’ambiance de la ville de tous les vices, rendait banale, malheureusement, la destinée des personnages auxquels nous avions de la difficulté à nous attacher. Cœur s’en tire beaucoup mieux, abordant les mécaniques et les aléas du cœur, de l’espoir, de l’appartenance et de la foi.

S’étalant de 1855 à 2011, l’histoire de Cœur explore l’un des grands conflits contemporains, soit la conquête de l’Algérie par la France au 19e siècle. Elle le fait par contre d’une manière bien singulière, soit par l’entremise de trois maîtres de l’illusion : Robert-Houdin, mandaté par l’Empereur français de stupéfier les marabouts en Algérie et de débouter leurs sorciers (et leurs influences) en prouvant qu’il – donc la France – possédait aussi de grands pouvoirs « magiques » ; Félix Nadar, photographe pionnier, peut-être le réel inventeur du concept du cinéma, séjournant à Alger la blanche, et Méliès, qui, entre autres, reprendra le théâtre de Robert-Houdin après sa mort. Le cinéma est donc l’un des moteurs de ce nouveau spectacle, initié ici par la présence de Judith (prénom partagé par l’héroïne de la Bible qui aura inspiré la figure pour la Dame de cœur du jeu de cartes français, un clin d’œil bien à propos), une jeune chargée de cours à l’Université Laval qui enseigne l’histoire du septième art. Alors qu’elle est en retard pour un cours, elle monte dans le taxi de Chaffik, qui s’entichera d’elle. Leur amour naissant permettra de suivre l’histoire du Maghrébin, soudainement en quête identitaire après avoir découvert une partie de la vérité sur la disparition de son grand-père, membre du Front de libération nationale (FLN). Une quête à saveur mouawadienne, qui mènera Chaffik de Québec à Paris, puis du Maroc vers l’Algérie, un voyage qui ne sera pas sans conséquence.

Grâce au cinéma et à ses pionniers, tous les personnages de Cœur, ainsi que leurs destins, sont étroitement liés. Avec beaucoup de doigté, de sensibilité et d’intelligence, le texte écrit à 16 mains s’amuse à créer de multiples boucles entre les lieux, les personnages, leurs actes et leurs histoires. Les personnages inspirés de la réalité que Cœur met en scène fascinent immédiatement ; on désire en connaître davantage sur ces illustres maîtres. Quant à Judith et Chaffik, ils sont de magnifiques portes d’entrée sur un même monde, une même histoire, mais sous des angles diamétralement opposés, soit, d’une part, l’art, la magie et ses acteurs, dans un monde en guerre, et, de l’autre, les bombes, la révolution et la torture, dans une réalité mordante. La famille du Maghrébin, douce, chaleureuse et accueillante, est à l’opposé de celle de la jolie professeure, qui s’avère être bourgeoise, aux préjugés aberrants et aux clichés humoristiques aussi savoureux qu’insensés - et malheureusement réalistes. La scène du dîner chez les parents respectifs, où l’on passe d’une cuisine à l’autre en claquant des doigts, est absolument fantastique.


Crédit photo : Ex Machina

Techniquement, si Cœur n’éblouit pas autant que Pique, la pièce use pourtant parfaitement de l’aspect circulaire de la scène et des nombreuses trappes du plancher. Tout est très aérien : des câbles viennent suspendre des lits ou une nacelle de montgolfière, ou alors on monte à plusieurs reprises un voile-écran diaphane, encerclant complètement la scène, sur lequel on projette photos et vidéos de Robert-Houdin, Méliès et Nadar. Un certain dynamisme est créé par un effet de lente rotation des comédiens qui prennent place sur scène, rappelant le travelling au cinéma.

Reda Guerinik propose un très attachant Chaffik, à l’accent québécois bien prononcé ; Olivier Normand joue un superbe Robert-Houdin, digne et droit. Catherine Hughes est charmante en Judith – qui se convertit peut-être un peu rapidement et sans explication précise à l’Islam, en adoptant le voile après avoir simplement lu le Coran, ou, comme sa mère l’appelle (hilarant Louis Fortier), « the other bible » ; une réplique d'un élève de l'université viendra faire un clin d’œil assumé au débat très actuel sur la Charte des valeurs. Kathryn Hunter est simplement stupéfiante sous les traits, entre autres, d’un enfant d’Alger, d’Olympe, la femme extravagante de Robert-Houdin, ou encore sous le voile de la si sympathique grand-mère de Chaffik. Si quelques cafouillages étaient perceptibles lors de cette première nord-américaine, ils sont aisément pardonnables, puisqu’il s’agit – presque - d’une première mondiale, la création ne comptant que cinq représentations à la Rhur, l’automne dernier. Le spectacle est ainsi appelé à évoluer, un diamant brut qu’on polira au fil du temps.

Si Félix Nadar adorait la photographie et expérimentait avec elle pour « garder la mémoire vivante », Lepage fait de même avec son théâtre, explorant l’humanité et créant de véritables fresques où l’ordinaire côtoie l’extraordinaire dans un même corps, un même cœur, tel un fildefériste en équilibre sur le fil de la vie. Il faudra être patient par contre pour découvrir la suite et la fin de cette tétralogie : à ce jour, aucune date officielle n’est encore prévue pour la création de Carreau et de Trèfle.

31-01-2014