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Du 13 au 30 novembre 2013, mercredi 13 novembre 20h, jeudis et vendredi 20h, samedi 16h
Tu E MoiTu É Moi
Texte de Marco Collin
Mise en scène Yves Sioui Durand
Avec Charles Bender, Marco Collin, Catherine Joncas, Jean Régnier et un autre comédien

Dans une usine, un homme est attaché, enchaîné à un calorifère, les yeux bandés. On entend une porte s’ouvrir. Une chaîne tombe du plafond dans un grand fracas. Bruit de portes barrées qu’on secoue. On est comme dans une prison.

TU É MOI, c’est l'histoire de Napeu, du kidnapping d’un ennemi dont on veut soutirer des réponses, obtenir des aveux. Apparaissent alors un grand-père un peu fou, une grand-mère plus catholique que le pape et un petit garçon qui ne pense qu’à s’amuser. Mais tout cela est-il bien réel ? Ou une projection de l’esprit torturé de Napeu ?

TU É MOI, un texte dur, un face à face avec soi-même sans compromis, un déchirement identitaire avec la difficulté de choisir entre un passé impossible et un avenir d’assimilation. Mais l’humour, l’humour amérindien si particulier, teinté d’autodérision traverse tout le propos. Avec ce texte à saveur de suspense, Marco Collin prend le chemin des mots pour faire ressortir et ressentir l’effet miroir d’une société où l’Autre porte à la fois le visage de l’ennemi et le reflet de soi-même.

TU É MOI est la première pièce de Marco Collin, comédien et animateur, originaire de la communauté innue de Mashteuiatsh. Durant la saison 2011-12, la compagnie l’accueille en résidence d’écriture, accompagné en dramaturgie de la metteure en scène et auteure Hélène Ducharme. En est sorti, L’Ombre déchirée, présentée en lecture publique le 7 mai 2013 à la Maison de la culture Frontenac lors de l’évènement Printemps autochtone d’Art. L’oeuvre a été reçue avec beaucoup d’intérêt par un public nombreux et chaleureux. Depuis, l’auteur a remanié son texte et c’est une toute nouvelle version qui sera présentée dès le 13 novembre 2013 Aux Ateliers Jean-Brillant, sous le titre TU É MOI.


Concepteurs Julie Christina Picher, Thomas Godefroid, Nicolas Grou
Direction technique Christian Gagnon
Direction de production Amélie Girard

Billet : 25$ régulier, 20$ étudiant

Production Ondinnok


Ateliers Jean-Brillant
661, Rose de Lima
Billetterie : 514-692-3304 ou ondinnok_adm@bell.net
 
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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon


Crédit photo : Martine Doyon

Dans un lieu jamais clairement identifié, un homme gît, attaché à un calorifère et les yeux bandés. Il ignore totalement ce qu’il fait là. Un autre homme, cagoulé, le menace : « Tu ne me reconnais pas, toi, l’éduqué? »

Un magnifique totem trône dans un coin de la pièce. Le faible éclairage en souligne le détail de la sculpture et des fourrures. En fond de scène, dans la semi-pénombre, une Autochtone âgée tente de transmettre sa culture et ses traditions à un jeune garçon qui, ne comprenant pas la langue de ses ancêtres, se retrouve étranger à sa propre culture. Sous une lumière crue, un étrange duo de victime et de bourreau ; le rapport de force qui les lie peu à peu s’inverse pour révéler une sombre histoire, dont les racines s’enfoncent bien plus profondément qu’il n’y paraît au premier abord. Les lieux bruts des ateliers Jean-Brillant, un entrepôt désaffecté, se prêtent parfaitement à Tu É Moi. Ils se révèlent en effet l’écrin rêvé pour refléter l’état mental de l’autochtone moderne, en perte de repères, prêt à tuer une partie de lui-même pour se libérer du poids de son héritage culturel.

Premier texte de l’auteur amérindien Marco Collin, Tu É Moi est à la fois dur et noir. Plus d’un personnage y est hanté par un conflit identitaire : l’Autochtone « éduqué », déchiré entre modernité et patrimoine, entre un passé sans avenir et un futur sans racines ; l’autochtone réduit au silence pour ce qu’il est ; l’homme intolérant qui rejette tout ce qui est Autre et la femme âgée incapable de transmettre ses valeurs à la nouvelle génération.

Le metteur en scène, Yves Sioui Durand, a opté pour une forme de spectacle assez éclatée pour représenter les différentes couches qui composent cette histoire. Malheureusement la nouvelle production d’Ondinnok dégage une impression d’inachevé. Le spectacle, par moments, défonce des portes déjà ouvertes, explore des chemins maintes fois parcourus sans proposer rien de bien nouveau. Notre attention est régulièrement détournée du conflit, à l’avant-scène, par la projection de faux bulletins de nouvelles et d’un documentaire fictif, qui tranchent avec le ton plus métaphorique du reste du spectacle. On y trace des parallèles avec des événements de l’actualité (comme la mosquée vandalisée à Saguenay),  mais aussi avec l’histoire des Blancs en Amérique et leur vision des « sauvages », à l’époque. Le propos du spectacle s’en trouve bizarrement amoindri, comme neutralisé par un discours plus pesant que la poésie de certains tableaux. En lui-même, le conflit complexe qui fait rage dans le coeur et la tête de l’homme prisonnier est beaucoup plus porteur.

La distribution inégale ne parvient pas, hélas, ni à pallier ces faiblesses, ni à assurer la cohésion de l’ensemble de la proposition. Pourtant, l’histoire est percutante. Construite comme un film à suspense, elle distille efficacement les indices qui nous amènent à comprendre le drame qui se joue devant nous. En homme dépassé par les événements et reniant ses propres racines, Charles Bender offre une performance intéressante, de même que la toujours très incarnée Catherine Joncas, en Amérindienne âgée, mais leurs interlocuteurs manquent singulièrement de mordant.

Avec Tu É Moi, Ondinnok propose une fois de plus à son public de s’intéresser à la réalité autochtone du Québec moderne. Si la proposition manque de force de frappe, son propos n’en est pas moins pertinent. Une voix sans aucun doute nécessaire à la scène théâtrale d’ici.

16-11-2013