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Du 3 au 20 octobre 2012, 20h
Eigengrau*
Texte Penelope Skinner
Traduction et mise en scène Jean-Simon Traversy
Avec Nicolas Chabot, Alexandre Fortin, Myriam Fournier et Stéphanie Labbé

Rose aime Marc, mais Marc aime les femmes. Tim aime sa Mamie, mais elle est morte. Il aime donc ses cendres. Cat se bat pour les droits des femmes, mais elle ne comprend pas la femme en elle.

La Parade veut présenter des spectacles écrits par la génération Y pour la génération Y. À Montréal, Eigengrau* de l'anglaise Penelope Skinner est sa troisième production après Farragut North de l'américain Beau Willimon et Super poulet de la québécoise Stéphanie Labbé.

* Eigengrau / ['aig ngrau] / Mot allemand. Lumière intrinsèque ; la couleur perçue par l'oeil dans l'obscurité.


Scénographie et costumes Sylvain Genois
Éclairages Marjorie Quessy
Graphisme Mathieu Potvin

Carte Prem1ères
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 3 au 10 octobre
Régulier : 20$
Carte premières : 10$

Une création de La Parade


Espace 4001
4001, rue Berri
Réservation 514-688-1594
 
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 Critique
Critique

par Véronique Voyer

Eigengrau ; les yeux grands fermés

Le titre de la plus récente création de la troupe La Parade est bien particulier. Il fait référence à un mot allemand définissant la couleur qui se cache derrière nos paupières lorsqu’il fait noir. Sur scène, Eigengrau s’apparente au clair-obscur des sentiments, aussi intense qu’éphémère, que l’on appelle l’amour moderne.

Fermer les yeux. Rares sont ceux qui s’attardent à la couleur qui est visible lorsque les paupières sont closes. Ce mécanisme de défense est présent en amour lorsqu’une fille hésite à accepter de prendre un verre ou un gars refuse de rappeler et donner suite à la première nuit. L’amour en 2012, c’est quatre colocs entre deux apparts qui séduisent, doutent, trompent, mais surtout, se blessent. Si le ton est moderne, la pièce s’inspire des tragédies grecques tout en prenant soin d’évacuer la profondeur des personnages.

Kath est féministe et on tombe dans le stéréotype dès qu’elle met le pied sur scène : elle engueule le copain de Rose, sa nouvelle coloc. La belle brune (Myriam Fournier) constate le désintérêt du jeune homme pour les causes féministes et lui reproche sur un ton acerbe ses beaux vêtements, son job, son appart dans le Mile-End, ses fonds de retraite… La gêne de cette jeune femme méfiante tombe lorsqu’elle a la confirmation de ce qu’elle redoute le plus au monde, tous les hommes sont des salauds.

Il s’avère que cette caricature de la femme frustrée vise juste : l’homme qui sort de la chambre de Rose est un baiseur compulsif. Pour conquérir, Marc (Alexandre Fortin) chante la pomme sans jamais rappeler ses conquêtes. Cette option n’effleure pas l’esprit de sa dernière victime, une éternelle optimiste qui travaille dans un karaoké de la rue Ontario. Déconnectée de la réalité et plutôt sexy, Rose (Stéphanie Labée) trouve un sens à la vie via l’astrologie, la numérologie et le pollen de pissenlits. Elle trouve des âmes sœurs derrière le comptoir d’un fast-food pour éviter de payer la note, c’est même ainsi qu’elle séduit le meilleur ami du salaud.

Cet homme rose est tout le contraire de Marc. Tim (Nicolas Chabot) n’a aucune ambition, si ce n’est qu’aider son prochain sans trop savoir comment s’aider lui-même. Il n’a pas de projet d’avenir et profite de la réussite de son ami Marc pour continuer de végéter. Les cendres de sa grand-mère qu’il traine partout nous révèle un deuil douloureux ; c’est d’ailleurs le seul protagoniste à avoir une dimension autre que son rôle plutôt caricatural de flanc-mou.

On a donc l’impression de suivre une bande de stéréotypes qui subissent la vie en fonction de leur défaut, sans la nuance qui donne un peu d’humanité aux personnages. L’humour incisif et les situations n’en sont que plus cocasses sans pour autant être réalistes.

Marc est un salaud, mais Rose refuse de le voir autrement qu’en homme de sa vie, ce qui nous amène à une longue scène de fellation, cadeau de désespoir de la fille à genou, prête à tout. À l’instar des tragédies de Sophocle, un acte d’automutilation traduit le mal-être de la pauvre fille après une interprétation rigolote d’un classique de Céline; Pour que tu m’aimes encore. Mention spéciale pour la chorégraphie des ventilateurs qui peuplent la scène tout en évoquant le vent sur la plage et la clim dans le bar de karaoké, la scénographie est particulièrement réussie dans la simplicité d’un fauteuil qui évoque un salon devant un bureau de travail.

La pièce se passe ici et maintenant, les codes culturels de 2012 à la sauce montréalaise en font sourire plus d’un. Les références sont faites par et pour la génération Y,  ce qui constitue la marque de commerce de la troupe La Parade. Une pièce drôle, certes, mais qui ne reste pas longtemps en tête à la sortie de l’Espace 4001.

07-10-2012