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Du 11 au 28 avril 2012, 20h, samedi 14 avril 15h et 20h
Édouard et Charlotte
Texte Anne Trudel
Mise en scène Christian Fortin
Avec Pierre-Luc Léveillé, Julie Roussel, Anne Trudel

Suzanne et Charlotte sont des jumelles identiques. Évidemment, seule la première à sortir fut dotée d'intelligence. Indissociables et mésadaptées, elles orchestrent un trafic de matière grise, qu'elles siphonnent aux hommes barbus, pour en injecter une partie à la plus faible d'entre elles. Qui sait, peut-être qu'un jour elle aussi parlera anglais.

Les Tuyaux Humains forment un collectif d'acteurs prônant l'exploitation de formes langagières novatrices. Leur singulière approche du texte se poursuit avec la création d'Édouard et Charlotte, dont la première version a remporté le prix du meilleur texte francophone au FRINGE 2010.


Scénographie Marie-Pier Fortier
Costumes Marie-Noëlle Klis
Éclairages Marie-Josée Petel

Carte Premières
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 11 au 18 avril
Régulier : 22$
Carte premières : 11$

Une création leS tuYauX HumaiNS ~


Espace 4001
4001, Berri
Box office 514 529-5806
 
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 Critique
Critique

par Ariane Cloutier

Lauréat du prix du meilleur texte francophone au festival Fringede Montréal l’an dernier, Édouard et Charlotte est un spectacle original, écrit d’un ton peu commun dans le milieu théâtral montréalais actuel. La jeune compagnie Les Tuyaux Humains, composée principalement de diplômés du Cégep de St-Hyacinthe, nous livre cette performance unique et encore un peu expérimentale qui s’inscrit dans la volonté de cabotiner avec les mots, lancée par le Gala Novarinaire en 2007.

S’abandonnant à une déviation œdipienne exprimée par un penchant obsessif pour les hommes barbus, Suzanne utilise sa sœur jumelle Charlotte comme appât pour attirer ses proies à la maison familiale. Charlotte les séduit alors qu’ils sont employés à exercer leur profession à la maison et, après avoir été invités à manger « la meilleure soupe de leur vie », Suzanne les entraine au sous-sol pour leur siphonner de la matière grise afin d’en injecter à sa sœur qu’elle prétend dépourvue d’intelligence. Les hommes impotents sont alors relâchés dans la nature. Puis, un jour, un détective survient à la porte des jumelles sous le couvert du livreur de journaux. C’est la rencontre d’Édouard et Charlotte qui, dès le premier regard échangé à travers la fenêtre, sont pris d’une passion viscérale l’un pour l’autre.

L’écriture très agréable d’Anne Trudel a quelque chose de rafraichissant. Les thèmes sombres, le meurtre, le parricide et matricide, les déviances et déficiences diverses sont abordées avec candeur, sur un ton bon enfant qui dédramatise et s’opposent à la violence des gestes posés. Parallèlement, l’omniprésence de la mort à laquelle nul n’échappe nous ramène à l’origine du théâtre de l’absurde qui dénonçait l’absurdité de la vie dont l’issue est une mort certaine. Par ailleurs, bien qu’irréaliste par moments, le scénario est composé avec une cohérence linéaire qui l’éloigne du style original.

Pour aller de pair avec le ton exagéré de la pièce, les comédiens surjouent sciemment leurs rôles, frôlant même par moments le burlesque. Les intentions de Suzanne (Julie Rousselle) sont par exemple aussi prévisibles que celle d’une sorcière de Walt Disney. On prend conscience de la complexité de son personnage au point où l’on perd le sens de ce qui s’est réellement passé, car elle ment et manipule sans arrêt. Le personnage qui évolue le plus est celui de Charlotte (Anne Trudel), qui transite d’une naïveté soumise à une forme d’émancipation à travers la découverte du monde extérieur et des plaisirs charnels (représentés évidemment par la consommation de fruits). Si tous les personnages sont caricaturaux, celui d’Édouard (Pierre-Luc Léveillé), interprété de façon très cocasse, est celui qui bénéficierait à être développé davantage.

À l’image de la pièce, la scène propose un univers surréaliste. La scénographie présente notamment un squelette de maison unifamiliale, dont les arêtes vides de murs encadrent le ciel en toile de fond. Quelques accessoires servant au quotidien des sœurs meublent l’espace intérieur, alors que deux portraits très cartoonesquesdes parents dominent la salle commune. L’extérieur de la maison évoque une cour de banlieue qu’Édouard utilise à souhait pour faire ses entrées et sorties, ornée de buissons en plastique lui servant de paravent pour revêtir ses multiples déguisements. À un certain moment, une mise en abîme s’inscrit dans le décor, alors que Charlotte assemble devant nous la bibliothèque, pour « berner » le gardien de sécurité de la bibliothèque. Un des accessoires les plus déconcertants de la pièce est le chien Puppy, qui ne semble au départ qu’un simple toutou, mais qui se révèle être un « réel » chien mort, aux orbites vides et aux dents acérées. Il semble sortir tout droit d’un film de Tim Burton et nous rappelle la constante menace de la mort qui plane autour de la maison.

La pièce devient intéressante alors que la nature des mots est questionnée, dénaturée et que l’on passe du français normatif au québécois pure laine. Un des sujets récurrents de l’œuvre est le rapport à la langue anglaise.  En effet, on associe souvent le fait de parler la « langue royale » avec une notion d’intelligence supérieure ou d’ascension sociale. Ce rapport aurait-il un lien avec l’histoire pas si lointaine au Québec de la division entre la classe dominante majoritairement anglophone et la classe prolétaire francophone? Quoi qu'il en soit, on peut observer chez tous les personnages une sorte d’aspiration à se « britanniser ». Par ailleurs, le personnage d’Édouard entretient une relation particulière avec la langue anglaise, se servant de celle-ci pour livrer le côté bestial de sa psychologie, alors qu’il est beaucoup plus mesuré en français.

Le ton exagéré de la pièce, la plasticité des décors et son côté comique malgré le drame lui confèrent un style s’apparentant aux dessins animés de notre enfance, avec une dimension littéraire lui ajoutant de la profondeur.

16-04-2012