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Du 22 avril au 10 mai 2008, 20h

Le couloir et Chambres

Textes : Philippe Minyana
Mise en scène : André-Marie Coudou
Avec : Abdelghafour Elaaziz, Nicole-Sylvie Lagarde, Michel-Maxime Legault, Simon Mercier, Marie-Pyer Poirier, Isabelle Tincler, Marie-Ève Trudel et Aurélie Spooren.
Musiciens : Émilie Girard-Charest, Guillaume Primard et Olivier Maranda

Le couloir.
L'Intrus revient à la maison. Le frère, les soeurs et les parents y sont toujours, certains sont morts, d'autres aveugles, ils tentent malgré tout de continuer leur existence. Ces retrouvailles atypiques nous plongent dans l'intimité du drame de ces personnages déchus.

Chambres. Les projecteurs se braquent sur cinq solitudes. Un flot de parole parfois discontinu, parfois cru ou poétique, se déversent sur nous. Disposant de dix à vingt minutes, tout au plus, ils s'expriment et puis sortent de scène comme ils y sont venus, sans aucune forme de solution.

Fondé en 2005, le Théâtre L’Instant est d'abord le fruit de la rencontre de trois comédiens belges vivant à Montréal; André-Marie Coudou, Fabrice Tâïtsch et Isabelle Tincler. Aujourd'hui fort de la création de ces deux premiers spectacles, le Théâtre L'Instant continue d'enrichir sa vision artistique en faisant l'expérience d'une équipe d'artistes venant de la Belgique et du Québec.

Le Théâtre L'Instant désire partir à la découverte d'écriture théâtrale méconnue ou nouvelle, il se laisse d'abord guider par des coups de coeur, puis par la force de la parole que l'oeuvre laisse à entendre.

Une création du Théâtre L'Instant

Billets : 22 $ (régulier), 18 $ (étudiant et UDA)

Espace Geordie
4001, rue Berri
Téléphone : 514-358-5874

www.theatre-linstant.com

par Mélanie Viau

Des figures mutantes. Voilà ce qu’ils sont. Êtres mythologiques du quotidien amnésique après le trauma, corps vidés de leur chair, traversés par tout un réseau de paroles où s’entrechoquent les discours hurlants du fond de l’âme et ceux, triturés, rassemblés, réifiés, simulés, gobés par le flux médiatique faisant douter de la réalité vécue, tels sont les entités produites à l’intérieur de la forme dramatique du trop méconnu Philippe Minyana. Auteur français d’origine espagnole (Miñana), dont l’œuvre florissante regorge de bijoux d’écriture tous plus fascinants les uns que les autres, cet homme pose un œil expert sur l’humain et ce qu’il reste de lui après la perte de son désir, de sa volonté, de son appartenance. La folie ordinaire qu’il dépeint dans une architecture textuelle en béton prend pour matrice les faits divers de journaux populaires tel le Libération, et voilà que la fiction tombe vertigineusement en abîme. Du coup l’homme devient discours de lui-même, bascule à l’extérieur de ses frontières, se subvertit dans l’altérité, se transmute en objet, dans l’attente de ce qu’il adviendra, si jamais il y a autre chose après le chaos de soi.

Après la production d’Inventaires, à l’Espace Go en 1994, mis en scène par Louise Laprade, ces paroles du réel universel nous reviennent enfin avec le Théâtre L’Instant qui, après avoir fait une lecture publique en mars 2007 de Le Couloir (2002) et Chambres (1986), donne aux mots de Minyana une nouvelle spatialité sur la scène de l’Espace Geordie. Une exploration scénique intrigante, troublante par son esthétisme où le ludisme et le réalisme vibrent à l’unisson. Le metteur en scène André-Marie Coudou nous fait vivre une expérience captivante dans laquelle la matérialité de la langue scandée, soufflée, rythmée sans ponctuation, ouvre les portes d’un univers freak, étrangement inquiétant par son trop-plein de violence sourde dans l’expression du monde tel qu’il est conçu, perçu, vécu.

L’espace est épuré et exploité au maximum par un travail minutieux sur le mouvement des bas-fonds (chorégraphié par Jadson Caldeira), créant l’effet dérangeant de corps démembrés, aux articulations manipulées par une force métaphysique, une force sublimant toute volonté d’agir de son propre gré. Sur scène, un lit de fer recouvert de papier journal pour garder au chaud, quelques chaises de bois, un cadre avec photo en noir et blanc des aïeuls surmonté d’une tringle à rideaux pour étouffer à tout moment le conflit de filiation. Les quelques éléments du décor de Le Couloir suppléent aux non-dits des «personnages», à cette rage douloureuse de revoir le frère disparu en tôle pour meurtre accidentel, ce frère que l’on nomme Intrus, celui qui échappe à la perception du présent devenu schizo. Cette pièce se présente comme un tableau expressionniste, auquel les frappes des percussions (Olivier Maranda), les grincements du violoncelle et de la contrebasse sur scène (Émilie Girard-Charest et Guillaume Primard) ajoutent leur cri, leur disjonction d’un système nerveux qui a craqué depuis longtemps. Avec Chambres, six monologues adressés à l’absence nous renvoie en pleine figure l’innommable d’une souffrance-parasite et surtout, la solitude de la classe ouvrière régnant à Sochaux, dans un hangar entre une église et l’usine Peugeot, dans une sablière à l’eau aussi verte que le lac Louise, dans le Jura, dans tous ces lieux que l’on a perdus sans possibilité de trouver refuge, à nouveau, avec l’Autre. Dans ces déferlements de paroles-vertige, par associations d’idées non contrôlées, on s’efforce de faire le point, mais sans issue autre que «je ne sors plus de ma chambre je n’ai plus de salive j’attends». Théâtre du deuil, théâtre de l’intime, le passage du couloir à la chambre se voit comme le retrait ultime d’un moi épique dépossédé, d’un moi vivant l’échec dernier de l’événement passé réactualisé par le verbe.

Sans doute l’expression habiter un personnage ne s’applique pas pour ces textes portant la contemporanéité à bout de bras, où l’abolition du caractère génère un problème complexe d’incarnation et de mise en scène. Mais ici, les comédiens s’approprient totalement ce qu’il y a d’universel dans le propos, marient avec une générosité déconcertante la couleur de leur voix, la texture de leur souffle, de leurs gestes avec ceux de ces êtres perdus quelque part dans l’Histoire. Saluons leur grand talent, leur cran, la rareté de cette force d’avoir autant de chien pour arriver à rendre présent toute la dureté d’une humanité si désuète et pourtant, si riche en émotion, si franche, si simple, si pure dans sa saleté… Une découverte valant son pesant d’or, croyez-le.

25-04-2008