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Du 1er au 16 octobre 2010
Le fusil de chasse
Texte de Yasushi Inoué
Mise en scène de François Girard
Avec Marie Brassard et Rodrigue Proteau

Un poète nous raconte sa rencontre fortuite avec un inconnu, un dénommé Josuke Misagi - homme d'affaires solitaire et chasseur - qui lui a confié trois lettres reçues quelque temps avant leur première rencontre, sur le sentier du mont Amagi. La première lettre est écrite par la fille de sa maîtresse, Shoko. La deuxième lettre est de sa femme, Midori, qu'il a trompée et délaissée. La troisième lettre est de sa maîtresse, Saïko. Au fur et à mesure que le poète en découvre le contenu, la vérité la plus crue vient envahir le plateau et les sentiments y sont exposés avec une douceur infinie.

Dans un dépouillement quasi total, qui révèle l'esprit zen de l'œuvre, les mots distillent le destin de ces êtres emprisonnés dans le silence et la tromperie. Inoué remporte ici un pari fort risqué : faire de ce qui aurait pu n'être qu'une banale histoire d'adultère, l'une des plus belles histoires d'amour de la littérature contemporaine.

Adaptation théâtrale Serge Lamothe
Scénographie François Séguin
Conception des costumes Renée April 
Conception de l'éclairage David Finn
Conception sonore Alexander MacSween

Une présentation de l'Usine C en collaboration avec Parco Theater de Tokyo + Théâtre français du CNA à Ottawa

Usine C

1345, avenue Lalonde
Billetterie: (514) 521-4493

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 Critique
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par Marie-Pierre Bouchard


Crédit photo : Yves Renaud

Le fusil de chasse: l’adultère façon Soleil Levant

Trois versions d’une même histoire.
Trois personnages et trois monologues pour une seule actrice.
Et un acteur qui écoute, ressent, encaisse.

Le fusil de chasse est un spectacle aussi exigeant qu’envoûtant, porté par un texte d’une beauté et d’une délicatesse à faire pleurer.

L’auteur japonais Yasushi Inoué a tissé un récit d’amour et de tromperies en trois points de vue féminins sous forme de lettres adressées à un seul et même homme, Josuke. L’auteur nous convie au coeur d’un drame invisible et silencieux grâce à la force des mots et à la sensibilité lucide de chacune de ces femmes, pourtant toutes plus différentes les unes que les autres.

Marie Brassard y est magistrale. La tâche colossale que représente la mémorisation d’un texte de cette envergure, livré d’ailleurs en un seul jet, mérite en soi le respect. D’un personnage à l’autre, une brève transition permet à la comédienne de se métamorphoser devant les yeux des spectateurs, ce qu’elle accomplit sans peine, dans la gestuelle, le ton et l’intention. Même si les nuances dans le jeu ont tendance à s’estomper en cours de monologue, et malgré l’évidente nervosité d’un soir de première, il serait vain de pointer ces infimes failles qui n’altèrent en rien la grandeur de l’interprétation de Marie Brassard.

Rodrigue Proteau, qui interprète Josuke à l’arrière-scène, ne dit mot. À la manière du théâtre Nô, il s’anime de gestes stylisés et de pantomimes. En son corps et son expression se matérialise, au ralenti, l’impact qu’ont sur lui les mots de son épouse, de sa maîtresse bien-aimée, et de la fille de celle-ci. Entre les torrents de mots féminins à l’avant-scène, et la théâtralité muette de l’homme derrière un rideau de calligraphies, le contraste est particulièrement significatif. Les spectateurs assis dans les premières rangées seront toutefois plus à même d’apprécier le jeu physique de Proteau, lequel est malheureusement peu visible du haut des gradins.


Crédit photo : Yves Renaud

C’est avec un dépouillement remarquable, dans la pureté de la tradition zen, que François Girard orchestre ces trois tableaux. En plus de l’obsédante trame musicale japonisante d’Alexander MacSween, c’est le sol qui détermine l’atmosphère de chacune des scènes: un étang dans la froideur duquel erre Shoko au gré de ses désillusions; un parterre de galets, sur lequel vacillent Midori et sa colère; et un apaisant plancher de bambou, où Saïko, dans toute sa splendeur, revêt son kimono à fleurs de lotus. Ces trois éléments hautement symboliques - l’eau, le roc et le bois - se succèdent ingénieusement, avec une fluidité remarquable. Pour le reste, la mise en scène laisse toute la place au poignant texte de Yasushi Inoué livré par Brassard.

Sans véritable montée dramatique, sans artifice ou extravagance, la pièce se déroule à un rythme doux et loquace, passif et désarmant, malgré la douleur des tromperies et les lacérations du silence. Car en fin de compte, c’est le satisfaisant bonheur de Saïko,  celui «d’avoir aimé et d’avoir été aimée», qui surplombe l’oeuvre et ébranle le spectateur.

07-10-2010

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