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Du 3 au 28 mai 2011
À toi, pour toujours, ta Marie-Lou
Texte de Michel Tremblay
Mise en scène Gill Champagne
Avec Denis Bernard, Éveline Gélinas (en remplacement de Kathleen Fortin), Marie Michaud et Dominique Quesnel
Au sein de l’œuvre de Michel Tremblay, depuis sa création il y a quarante ans, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou luit avec l’éclat redoutable d’un colossal diamant noir. Ce que la pauvreté, la décadence religieuse, la misère morale et le travail avilissant peuvent détruire chez des humains, les transformant en monstres de haines désespérés, Tremblay a eu le génie d’en faire une saisissante œuvre d’art : un grand madrigal sombre pour quatre voix déchirantes. Pourtant, il s’agit d’une œuvre d’espoir, car du cœur des ténèbres de Manon, Léopold et Marie-Lou s’élève la voix libérée et libératrice de Carmen dont les chansons de cow-boy s’envolent au-dessus de la Main. Le metteur en scène Gill Champagne se penche de nouveau sur cette impitoyable partition comme un violoniste ne peut s’empêcher de revenir sur ces mystérieux quatuors de Brahms dont l’écriture serrée avait inspiré Tremblay pour sa pièce. Et sur scène, quatre acteurs de grande force s’emparent de ces immenses personnages : Denis Bernard et Marie Michaud, Kathleen Fortin et Dominique Quesnel.

Équipe de concepteurs : Myriam Blais, Jean-Sébastien Côté, Jean Hazel, Audrey Lamontagne, André Rioux

Photo : Jean-François Gratton

Production Théâtre du Nouveau Monde

TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668
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 Critique
Critique
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par Olivier Dumas


Crédit photo : Yves Renaud

Parmi son œuvre prolifique, le polyvalent Michel Tremblay a écrit quelques-unes des meilleures pièces du théâtre québécois depuis l’entrée fracassante de ses Belles-sœurs au Rideau Vert en 1968. Composée peu de temps après la troublante crise d’octobre 1970, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou demeure l’un de ces bijoux indémodables, décennie après décennie. Sa relecture présentée sur les planches du Théâtre du Nouveau Monde, dans mise en scène de Gill Champagne, se révèle d’une extraordinaire puissance.

Quarante ans après sa création, le texte de cette « cantate cheap » continue d’éblouir par la quasi-perfection de sa construction dramatique, inspirée d’un quatuor à cordes de Brahms entendu au Lincoln Center de New York. Elle superpose deux tragédies parallèles d’une même famille à dix ans d’intervalle. Devenue chanteuse western dans un club de la Main, Carmen revient voir sa sœur Manon. Cette dernière, une dévote hantée par la mort dramatique de leurs parents Marie-Louise et Léopold et de leur petit frère Roger, s’est emmurée dans le silence de l’appartement de la rue De la Visitation. Entre l’affranchissement de Carmen et la victimisation de la « martyre » Manon, ce sont toutes les déchirures inimaginables d’une famille, représentée ici comme une cellule de « tu-seuls », qui remonte à la surface avec sa pauvreté économique et culturelle, son aliénation mentale, ses tabous sexuels, ses déchirements cruels sur les quelques sous de différence entre le beurre d’arachides crémeux ou croquant.

Peu de critiques ou d’exégètes du milieu théâtral ont souligné la musicalité et la brillance de la forme dans les productions écrites par Michel Tremblay, souvent des mariages prodigieux entre la structure dramatique et le propos. Dans l’intégralité des quatre-vingts minutes que durent Marie-Lou, les mots et les répliques résonnent toujours avec une force éclatante dans leur implacable vérité à traduire la souffrance humaine et l’impossible révolte qui peine à dépasser les carcans d’une société recroquevillée dans sa noire misère. Le talent du dramaturge se déploie également lorsqu’il insère par moment certaines phrases soit lumineuses, ou d’une lucidité qui résonne encore aujourd’hui malgré les transformations sociétales et culturelles du Québec. Cette pièce s’inscrit parmi les plus fulgurantes et les plus pertinentes de l’auteur avec Albertine en cinq temps, Le vrai monde et Hosanna pour son impitoyable incursion vers les abîmes de la déchéance.


Crédit photo : Yves Renaud

Comme metteur en scène, Gill Champagne a pris des libertés heureuses avec la partition originale, notamment par le déplacement des personnages, alors que les didascalies insistent sur leur immobilité. De statues tragiques prisonnières de leur sort, les protagonistes en deviennent ainsi plus incarnés, plus imprégnés dans le récit et plus palpables dans leur douleur. La présence d’un immense bassin d’eau qui entoure la scène apporte une dimension onirique, charnelle et poétique pour exprimer visuellement la fulgurante progression d’une histoire portée par une distribution de qualité. Les actrices et l’acteur se révèlent d’une justesse incroyable, particulièrement les deux parents, interprétés avec une troublante intensité par Marie Michaud et Denis Bernard. Les deux sœurs antagonistes se complètent de manière admirable, Évelyne Gélinas d’une indicible douleur en Manon et Dominique Quesnel, lumineuse dans sa composition d’une Carmen fébrile.

Dans le quotidien français Le monde du 19 octobre 1979, la critique Paulette Godard écrivait qu’À toi, pour toujours, ta Marie-Lou « a la pureté rude d’une tragédie ». Quarante ans après sa création au Théâtre de Quat’sous, nul doute que l’œuvre de Michel Tremblay trouve encore un merveilleux écrin pour exprimer son intemporel brasier apocalyptique.

10-05-2011

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