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Du 16 novembre au 11 décembre 2010, supplémentaires du 14 au 18 décembre 20h
Le dieu du carnageLe dieu du carnage
Texte de Yasmina Reza
Mise en scène Lorraine Pintal
Avec Anne-Marie Cadieux, James Hyndman, Guy Nadon, Christiane Pasquier
Quinze ans après que sa pièce Art ait déferlé dans toutes les capitales, l’auteure française Yasmina Reza écrit une nouvelle comédie cinglante pour laquelle se battent férocement les grands théâtres de par le monde. La politesse, la paix, la générosité ne sont-elles que de commodes attitudes de déni ? De minces voiles sur la mesquinerie foncière de la nature humaine qui se déchirent au moindre conflit ? Un garçon de onze ans, d’un coup de bâton, a cassé deux dents à un camarade de jeu ; les parents, soucieux de régler la chose de la façon la plus civilisée qui soit, se rencontrent. Peu à peu, à travers un humour dévastateur, de façon sournoise mais implacable, la courtoisie fait place aux attaques et ces quatre adultes, des gens bien sous tous les rapports, se révèlent être des adorateurs du dieu du carnage. Pour incarner ce quatre à quatre des petites et grandes violences ordinaires, Lorraine Pintal a rassemblé une distribution plus qu’idéale pour incarner ces deux couples carnassiers   : Christiane Pasquier et Guy Nadon, Anne-Marie Cadieux et James Hyndman, des comédiens qui prennent plaisir à aller au fond des pires failles humaines.

Équipe de concepteurs : Claude Cournoyer, Anick La Bissonnière, Jacques-Lee Pelletier, Marc Senécal, Michel Smith, Bethzaïda Thomas
Photo : Jean-François Gratton

Production TNM

TNM
84, rue Sainte-Catherine Ouest
Billetterie : 514-866-8668
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 Critique
Critique
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par David Lefebvre

On ne gagne rien à s’installer dans une logique passionnelle...

Yasmina Reza, femme de lettres française, aborde et décortique, un peu comme dans Arts, l’un de ses textes mondialement connus, les civilités, les paradoxes et les limites de la socialisation et de la bienséance entre adultes, concepts inculqués par une bonne éducation occidentale. L’auteure fait ici se confronter, dans un salon de petite bourgeoisie, deux couples aux prises avec une querelle de gamins, qui s’est soldée par un coup de bâton au visage et la perte de deux incisives. Malgré la bonne volonté des deux parties, la discussion dégénère totalement, les masques tombent pour afficher en partie le réel visage de l’être violent et fourbe qui se cache encore sous notre carapace de politesse.

La metteure en scène Lorraine Pintal a réuni sur scène quatre virtuoses et a su adroitement les diriger dans ce dément huis clos. Cette comédie tout à fait contemporaine se veut une critique acide et grinçante de notre société moderne. En plus d’écorcher les mondanités hospitalières souvent forcées et de se questionner sur l'engagement social, le couple et l’origine de certains agissements au sein d’une famille, la pièce vilipende les nouvelles technologies qui briment l’intimité d’un couple, et même au-delà – exprimé ici avec douce vengeance par le cellulaire du personnage de James Hyndman, qui vient perturber à outrance les discussions en cours. Le quatuor offre toute une performance, chacun mettant le feu aux poudres grâce à de cinglantes attaques, poussées aux moments les plus inopportuns. Des alliances naissent et se défont, selon les humeurs et les propos. On s’explique, on se choque, on devient verbalement ou physiquement violent, on craque sous la pression à en vomir partout, on calme les ardeurs, on se défend, on s’enfonce dans l’hystérie, on boit pour se calmer ou pour anéantir les dernières barricades des conventions sociales et crier le fond de notre pensée la plus perfide – mais la plus véridique – qui nous habite.

Si le public a été agréablement diverti par les propos des personnages, c’est essentiellement grâce à la mise en scène soignée et au jeu impeccable de chacun des comédiens ; Anne-Marie Cadieux (Annette Reille) est craquante en femme doucement naïve totalement de bonne foi, James Hyndman (l’avocat Alain Reille), son mari, énerve drôlement avec son portable, sa capacité de s’emporter rapidement et sa position de père, qui semble prendre l’altercation des deux enfants à la légère, et Guy Nadon (Michel Houllié) démontre encore une fois son énorme talent en campant un homme de type « volcan tranquille ». Mais c’est Christiane Pasquier (Véronique Houllié) qui est au centre du ring, faisant exploser cette rencontre qui vire à l’absurde. Son personnage, la mère du petit « défiguré » qui n’en démord pas, une femme pincée aux principes radicaux mélangés à un mépris sans borne, n’en est pas à une contradiction près, et ce, au grand plaisir du public, qui la voit s’échauffer et piquer au vif le petit groupe prisonnier du salon. Le décor stylisé, en pente, conçu par Anick La Bissonnière, prend le pouls de la conversation grâce aux changements d’éclairage subtils de Claude Cournoyer. La gigantesque et magnifique fresque murale, tirée du roman graphique La chambre de l’oubli de Lino, finit par s’imposer autour des personnages.

Malgré tout, quelques réserves, provenant surtout du texte de Reza, peuvent naître au cœur des spectateurs les plus exigeants. Certes, le récit est intéressant et propose plusieurs répliques sarcastiques qui touchent leur cible. Quelques silences et murmures sous-entendus font aussi s’esclaffer l’assistance. Mais, au lieu de cette pente raide tant attendue et souhaitée qui aurait dû faire dégringoler dans un enfer outrageux les protagonistes à coup de répliques plus vicieuses et plus virulentes les unes que les autres, nous avons droit à un simple manège houleux, aux échanges souvent névrotiques ou stériles. La catharsis annoncée ne se produit donc pas entièrement. Heureusement, la qualité de la mise en scène et des acteurs élève la pièce au-delà du boulevard qu’elle aurait pu trop aisément devenir.

Tout de même, ce Dieu du carnage que nous présente le TNM est d’une belle férocité, tout aussi jouissive que subversive, dévoilant le narcissisme d'une société et toute impudicité.

19-11-2010

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