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Du 12 février au 1er mars 2008

La femme d'avant

Texte de Roland Schimmelpfennig
Mise en scène de Theodor Cristian Popescu
Avec Sacha Samar, Chantal Dumoulin, Cristina Toma, Guillaume Lambert, Livia Sassoli

« Je jure que je t'aimerai toujours. » Ces paroles, Frank les a prononcées voici une vingtaine d’années, au cours d'un été. Depuis, elles n'ont cessé de résonner dans l'esprit de Romy Vogtländer. Aujourd'hui, au nom de cette promesse adolescente, elle vient réclamer son dû, s'immisçant avec détermination dans la vie de cet homme marié et père de famille. Pour lui, ces mots du passé n'évoquent qu'un vague souvenir ; pour elle, ils ont valeur de contrat.

Moment d'affrontement où les réalités s'entrechoquent, où les logiques s'affrontent au point de faire éclater le temps et vaciller la raison.

L'Allemand Roland Schimmelpfennig est, à 39 ans, une figure incontournable de la scène contemporaine. Ses pièces arborescentes expriment par la forme et le fond le caractère
aléatoire de nos existences peuplées de rêves d'ordre, d'achèvement et de paix, quand tout n'est que désordre créateur et chaos. Avec pour seul vecteur, les passions humaines.

En créant La femme d’avant, le metteur en scène clôt le cycle Schimmelpfennig entamé avec
Push up, réalisé avec les finissants de l’École Supérieure de Théâtre de l’UQAM en 2005 et poursuivi avec Une nuit arabe, présenté en coproduction avec le Théâtre de Quat’Sous en janvier 2007.

Traduction Bernard Chartreux et Eberhard Spreng
Concepteurs Andu Dumitrescu, Lányi Fruzsina, Marc Parent

Une création Compagnie T.C. Popescu

Théâtre Prospero
1371, rue Ontario Est
Billetterie : 514-526-6582

 

par Mélanie Viau

Franck, Claudia et leur fils Andy à quelques heures près de quitter définitivement leur territoire. Dix-neuf ans sous les murs repeints en blanc. Près de la porte d’entrée, quelques boîtes trop lourdes de souvenirs, les dernières. Déjà, ce lieu d’habitation ne leur appartient plus, ne serait-ce que quelques signes laissés au crayon-feutre par la main d’Andy, sa signature, sa trace laissée comme un parasite dans l’environnement des futurs locataires. Un parasite. On ne se débarrasse pas d’un parasite. On vit avec.

Derrière la porte d’entrée à la serrure brisée, se tient une femme d’il y a vingt-quatre ans, une femme que Franck connaît sans pouvoir attribuer un sens à sa venue. Impromptue, Romy vient réclamer son appartenance avec le Franck de l’époque adolescente, qui par un bel été lui avait juré un amour éternel… Tordu ? Oui, le destin est tordu, et lourdes sont les conséquences d’une passion blessée par la vexation et la dépossession. Car où il n’y avait, en apparence, plus rien, vient s’installer, par la force d’une pulsion vengeresse, le désordre, le chaos et un profond doute de signification.


Crédit photo: Victor Dima

Le metteur en scène d’origine roumaine, Christian Popescu, fait éclater, avec cette pièce écrite par l’Allemand Roland Schimmelpfennig, La femme d’avant, le visage de la colère chez des personnages aux caractères "béton", des personnages blindés dans leurs contours strictement définis comme une armure face à la perte de sens. Dans un lieu ouvert à tous vents, tout regard, ses acteurs en mouvements constants incarnent l’instabilité terrifiante et le pouvoir d’étrangeté que peut avoir un espace propre où l’on a fait table rase, tous manipulés par une temporalité détraquée qui structure la tragédie à la manière d’un film de Christopher Nolan. Ici, le texte est maître et prend les couleurs d’un destin divinement trop bien réglé. Captifs de la tension qui ne cesse de s’accroître par la construction fragmentaire de l’intrigue, on ne peut que se laisser aller à sa soumission, faisant d’énormes pas dans le temps pour retourner creuser dans les ellipses, émettant des hypothèses sans possibilité d’entrevoir clairement le dénouement. On adore !

Le travail du corps constamment tendu vers l’avant, vers l’autre, cherche à traduire l’offensive et l’expression nette de la position identitaire de chaque personnage. Les deux adolescents (Hubert Lemire et Livia Sassoli), en faux complices, se fixent dans leur expression fugitive et alarmée, dans leur désinvolture, dans cette idée sublime d’une jeunesse vivant dans l’urgence d’habiter le temps présent et d’en tirer profit au maximum. Ils s’appartiennent là, maintenant, pour toujours, dans ce maintenant, et à chaque fois ce sera un autre toujours dans un autre maintenant. L’agression que le spectateur pourrait ressentir face à cette "Attaque d’Altérité" tiendrait sans doute de cette agression qu’ils tiennent de l’expression, cette manière trop vraie de chercher à imposer leurs propres particularités face au monde trop bien déterminé à suivre un chemin plat et tranquille. Ils détonent, ne serait-ce que par le déséquilibre et l’inégalité du registre, mais on arrive à y croire. Le couple de Franck et Claudia (Sacha Samar et Chantal Dumoulin) y est ici plus conventionnel, mais tout aussi typé : un lâche, moleste, perdu et amer, et une hystérique maladive sombrant dans une folle jalousie. Antagonistes à défaut d’être unis, ils s’édifient sur leur mariage comme seul socle à leur existence pathétique. Et l’énigmatique Romy (Christina Toma) fait tomber les murs, gardant sur elle les regards des spectateurs qui s’attendent constamment à voir exploser la décharge apocalyptique. En fait, la force de ses acteurs réside dans les dynamiques de tensions qu’ils entretiennent les uns les autres sur les minces lignes de leur frontière respective. Et ces lignes peuvent s’avérer quelquefois dangereuses.

La femme d’avant estun spectacle aux contours solides comme le roc dans lequel le déséquilibre et l’équilibre s’opposent en un ultime combat. Assurément, on en parlera beaucoup dans le parcours du metteur en scène.

16-02-2008