BéréniceMise en scène : daniel paquette
Avec Marcelo Arroyo, Vania Beaubien, Alexandre Goyette, Lise Martin, Carl Poliquin, Érick Tremblay
Titus, récemment couronné empereur, aime Bérénice, reine de Palestine, et est aimé en retour. Or les lois de Rome interdisent qu’un empereur épouse une étrangère. Titus se résigne à se séparer de Bérénice. Incapable de lui avouer sa décision, il prie Antiochus, son meilleur ami, de porter la triste nouvelle à l’aimée. Déchirés, Titus, Bérénice et Antiochus se séparent à jamais.
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Concepteurs et collaborateurs artistiques : Anne Bédard, daniel paquette, Mathieu Poirier
Durée : 1h30 (sans entracte)
Une production du Théâtre Baal Techouva s.e.n.c. (lien Vimeo) en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par Olivier Dumas
Crédit photo : Luc Lavergne
Entre le dépoussiérage d’œuvres centenaires pour en accentuer la contemporanéité et le respect de la nature historique d’une pièce connue, il y a toujours risques et périls. Pourtant, daniel paquette et les acteurs du Théâtre Baal Techouva réussissent un bel exploit: rendre pertinente et intéressante une adaptation de Bérénice de Jean Racine dans la cité romaine des années 1930.
Le metteur en scène avait revisité précédemment Molière avec une version décapante du Malade imaginaire à Fred Barry et une dynamique proposition des Fourberies de Scapin. Il s’était démarqué par ses incursions dans les univers aussi différents que ceux de Tchekhov, de Shakespeare ou de Wedekind. L’acuité de sa démarche se confirme une fois de plus avec ce texte racinien écrit en 1670 qui a été longtemps confiné au purgatoire. De l’action originale inspirée qui se déroule en 79 avant Jésus-Christ, la production a privilégié les lieux chics du pouvoir durant l’ère mussolinienne, une décennie avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Malgré le changement temporel, le canevas, ainsi que les protagonistes et les enjeux demeurent les mêmes. Devenu empereur à la mort de son père Vespasien, le Romain Titus doit quitter celle qu’il aime, Bérénice, la reine de Palestine. Car selon les lois de Rome, il demeure interdit pour un empereur d’épouser une femme étrangère. Antiochus, roi de Comagène et meilleur ami de Titus, veut marier Bérénice, qui ne l'aime pas. Tiraillés par leurs sentiments, Titus, Bérénice et Antiochus se séparent à jamais dans la tristesse et le désespoir.
À la vue des éclairages tamisés et du décor composé, entre autres, d’un phonographe avec son cylindre de cire, de son tapis persan rouge et du miroir symbolisant une chambre à coucher, les spectateurs pourraient se croire dans un film aux parfums érotiques des années 1970 du genre Emmanuelle. Les robes fourreaux de l’héroïne et ses chapeaux extravagants lui confèrent une sensualité accentuée, telle une fauve, que Lise Martin rend à la perfection. L’élégance est au rendez-vous, tout comme la sensualité charnelle des amants qui s’aiment, se repoussent et se déchirent.
Heureusement, la trame de Bérénice peut se prêter sans problème à une telle mise en contexte. On pourrait difficilement par contre faire le même exercice avec les autres pièces du rival de Racine, Pierre Corneille, comme Phèdre, Britannicus ou Andromaque. Car le texte choisi par daniel paquette représente à la fois un pari et une certaine forme de transgression de la construction dramatique du récit. En effet, aucun événement à l’intensité grandiose ne se déroule sous nos yeux. Les traces de sang, explicites ou figurées, demeurent absentes du récit tout comme les manifestations de violence exacerbée. Si le trio d’amoureux souffre du dur désir d’amour pendant près des deux heures de la représentation, personne ne périra à la tombée du rideau.
Crédit photo : Luc Lavergne
L’une des réussites de ce théâtre de boudoir aux contours feutrés demeure la prédominance d’une langue impériale. Plus près de la confidence chuchotée à l’oreille que de la déclamation flamboyante, les répliques des personnages sont prononcées avec une grande clarté et une belle délicatesse. Encore plus que dans ses œuvres précédentes, Racine expose ici des figures historiques qui sont principalement des êtres de langage. Heureusement, le metteur en scène a su traduire toute cette poésie intimiste de manière charmante et fluide. L’histoire à priori complexe s’écoute avec grand intérêt, sans temps faibles ou passages plus ennuyeux.
L’une des seules réserves demeure le choix musical de la compagnie. Bien que les chansons anglaises de Cole Porter (dont You’re the top) s’inscrivent dans l’époque de transposition du spectacle, leur légèreté tranche néanmoins avec un propos circonscrit par ses tensions violentes en sourdine aux ombres omniprésentes.
Si les vers raciniens s’imposent d’eux-mêmes, il serait injuste de passer sous silence la très bonne direction d’acteur. Dans le rôle-titre, Lise Martin rend bien le côté majestueux de cette reine tout en contrastes et en nuances, sans recourir au cri et à la fureur. Le Titus d’Alexandre Goyette est remarquable par son intensité latente pour exprimer sa passion amoureuse lacérée par le pouvoir et les lois dictées par des hommes insensibles aux tremblements du cœur. Le soir de la première, l’Antiochus de Carl Poliquin manquait encore un peu d’assurance dans son jeu et dans sa voix qui ne projetait pas toujours parfaitement pour égaler ses deux partenaires. Les autres personnages secondaires (Marcelo Arroyo, Vania Beaubien, Érick Tremblay), parlants ou muets, complètent parfaitement ce tableau à l’atmosphère de musique de chambre.
daniel paquette avait délaissé ces dernières années la mise en scène. Pour son retour, il voulait monter Bérénice pour se faire plaisir, sans chercher à transmettre un message politique ou dénoncer les travers de notre société. Le public passe un agréable moment où le temps suspend son vol, pour reprendre les mots du poème de Lamartine.