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Du 14 mars au 5 avril 2012
BernardaLa Maison de Bernarda
Drame musical
D’après l’œuvre de Federico Garcia Lorca
Dramaturgie et mise en scène Ghyslain Fillion
Livret : Sarah Berthiaume d'après la traduction de Fabrice Melquiot (éditions de l'Arche)
Musique originale : Vincent Beaulne
Chorégraphies : Danielle Hotte et Sylvie Normandin
Avec Émilie Allard, Geneviève Bastien, Suzanne Champagne, Suzanne Garceau, Jacinthe Gilbert, Sarah Laflamme, Louise Laprade , Caroline Mailhot, Fanny Perreault, Gabrielle Roy-Lemay  

Son mari venant de mourir, la veuve Bernarda, fidèle à la coutume ancestrale, impose huit ans de deuil et de réclusion à ses cinq filles. Ce long veuvage leur enlève tout espoir de se marier un jour.  Fille d’un premier mariage, Angustias, la plus âgée et la moins jolie, est seule héritière de la fortune de son père. Elle est fiancée à Pepe le Romano, le plus beau garçon du village que l’on soupçonne d’être uniquement attiré par la dot. Il vient la courtiser, chaque soir, devant la grille de sa fenêtre et, ce devoir accompli, va rejoindre secrètement la plus jeune des sœurs, Adela, qui est sa maîtresse. En tentant d’échapper à la loi ancestrale et en s’insurgeant contre la rigueur des mœurs auxquels elle doit se soumettre, Adela mettra sa propre vie en jeu.

La Maison de Bernarda est le fruit d’une collaboration entre le Théâtre Denise-Pelletier et le programme de formation en théâtre musical du Collège Lionel-Groulx. Elle a été créée par les finissants de l’Option-Théâtre en 2010. Cette nouvelle mouture du spectacle réunit des interprètes de la création et des comédiennes d’expérience, plus près de l’âge de certains personnages.


Assistance à la mise en scène : Manon Drolet
Décors : Manon Graindorge
Costumes : Emmanuelle Tanguay
Éclairages : Marjorie Lefebvre
Régie : Catherine Bourassa-Labelle

Samedi 17 mars à 15h: Rendez-Vous de Pierre
Samedi 31 mars après le spectacle: Rencontre avec les artistes

Une production du Théâtre Denise-Pelletier 
en collaboration avec l’Option-Théâtre 
du Collège Lionel-Groulx


Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-897

 
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 Critique
Critique

par Daphné Bathalon


Crédit photo : Robert Etcheverry

La maison de Bernarda est  une prison pour les femmes qui y vivent. Les cœurs de trois générations de femmes y battent pourtant, pour certains avec espoir, pour d’autres avec rage ou jalousie. L’unique homme de la maisonnée vient de mourir, et Bernarda ordonne à ses filles de vivre enfermées pendant les huit ans de deuil afin de respecter la tradition, mais à l’extérieur rôde un soupirant qui sèmera la graine de la discorde. Bernarda, figure autoritaire et sans tendresse, préférerait voir ses filles mortes qu’indociles, car « une fille qui désobéit n’est plus une fille, c’est une ennemie. »

Écrit en 1936, ce drame en trois actes du poète espagnol Frederico Garcia Lorca n’a hélas rien perdu de son actualité. Bien que la pièce soit l’œuvre d’un homme, c’est d’abord une parole de femme qu’elle porte. Tout comme l’avait fait Michel Tremblay avec ses Belles-Sœurs, l’auteur donne aux femmes une voix qu’elles ne parviennent pas à faire entendre. On peut d’ailleurs tracer plusieurs parallèles entre ces deux pièces : des femmes apparentées, forcées de cohabiter, prisonnières de leur condition, de leur statut dans la société, et puis l’absence totale de l’homme, autour duquel tournent presque toutes les discussions.

Dans La maison de Bernarda comme dans les Belles-Sœurs, les femmes se disent prisonnières et se sont pour la plupart résignées à l’être. Une seule voudra échapper à sa condition : « Je ne veux pas perdre mes couleurs entre ces murs », dira ainsi la plus jeune des filles. Elle sera ramenée à sa condition par les autres, par jalousie ou parce qu’elles ont déjà perdu tout espoir.

Un peu lente à démarrer, La maison de Bernarda gagne en puissance au fil de la pièce, jusqu’à atteindre un souffle remarquable dans le drame final. L’entracte aux trois quarts de la pièce n’en est que plus malheureux. Il freine l’élan que le spectacle prend en fin de première partie, brisant le rythme du galop tragique dans lequel les personnages s’élancent. Considérant la courte durée de la seconde partie et l’absence de changement de décor, cet entracte nuit plus qu’autre chose à la production.


Crédit photo : Robert Etcheverry

Le livret, signé Sarah Berthiaume, souligne habilement le drame humain qui se joue dans cette maison. Les chansons, parfois parlées plus que chantées, font vibrer la corde de l’émotion. On se demande cependant si la présence de musiciens sur scène n’aurait pas été de mise pour faire vivre encore davantage cette Espagne musicale et son rythme latin, que les chorégraphies évoquent par des tapements de pieds et claquements de mains. Pas encore tout à fait rodées, ces chorégraphies donnent par ailleurs lieu à quelques moments plus maladroits où les gestes des comédiennes sont trop mécaniques et pas assez fluides.

Le metteur en scène Ghyslain Filion peut compter sur une scénographie ingénieuse de Manon Graindorge, à la fois poétique et pratique. Le long d’un grand escalier courbe, celui qui traverse la demeure de la famille : six chambres, une pour chacune des filles, par ordre d’âge, et au sommet, celle de la grand-mère. D’immenses voiles marquent l’entrée des chambres des filles. Si parfois ces voiles trop opaques nous font perdre quelques gestes des comédiennes, à d’autres, ils sont magnifiquement intégrés dans les chorégraphies ou traversés d’une lumière qui nous permet d’apprécier les moments de solitude de chacune des sœurs.

Véritable oracle, le personnage de la grand-mère, une belle interprétation de Suzanne Garceau, énonce les malheurs à venir avec des mots chantés, criés ou murmurés. Les images que ses paroles créent sont fortes : « Les chiens jappent. La peur nous a mangés. » Pourtant, personne n’y prête attention dans cette maison où le drame surgira inévitablement. Autre prestation à souligner, celle de Suzanne Champagne, toujours à l’aise et brillante dans les rôles comiques. Sa servante-nourrice gagne rapidement la sympathie du public : le récit qu’elle fait de sa première rencontre nocturne avec un homme est des plus drôles. Toute la distribution s’en sort relativement bien, surtout en deuxième moitié de spectacle lorsque le style trop ampoulé devient plus naturel. Les comédiennes s’en tirent également bien avec les chansons, bien que certaines voix soient plus mélodieuses, comme celle de Fanny Perreault.

À l’image de la production elle-même, le public met un certain temps à être emporté par l’histoire qu’elle raconte, mais lorsque le tourbillon emporte les femmes de cette maisonnée, le public est irrésistiblement entraîné à sa suite. L’ovation enthousiaste que les comédiennes ont reçue au soir de la première leur donnera sûrement l’énergie qu’il manque pour dynamiser l’ensemble du spectacle.

18-03-2012