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Du 19 avril au 14 mai 2011, suppl. 8 et 15 mai 15h, 17 mai 19h et du 18 au 21 mai 20h
Temps
Texte et mise en scène de Wajdi Mouawad
Avec Marie-Josée Bastien, Jean-Jacqui Boutet, Véronique Côté, Gérald Gagnon, Linda Laplante, Anne-Marie Olivier, Valera Pankov, Isabelle Roy

Deux frères et une soeur se retrouvent quarante ans plus tard pour liquider la succession de leur père mourant. Cela se passe l’hiver, dans la ville minière de Fermont, à la frontière avec le Labrador, où les températures peuvent descendre jusqu’à – 60°C. Pour lutter contre la violence des vents, un mur écran a été construit dans lequel vivent les habitants de Fermont dont la plupart sont employés par la compagnie qui gère la mine de fer. Entre l’intérieur de la maison où a lieu la rencontre des enfants et l’extérieur où les vents violents qui balaient la ville n’empêchent nullement une invasion de ses rues par une horde de rats, quelque chose va sourdre, comme une blessure mortelle et ancienne, que les enfants vont devoir confronter pour retrouver, peut-être, une sensation de légèreté. Mais la légèreté se paie aujourd’hui au prix fort. Ils en feront l’expérience.

Scénographie Emmanuel Clolus (France)
Costumes Isabelle Larivière (Montréal)
Éclairages Éric Champoux (Montréal)
Musique Michael Jon Fink (Etats-Unis)
Assistance à la mise en scène Alain Roy
Crédit photo  : Neil Mota

les mardis à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h
le dimanche 1er mai à 15 h
Rencontre avec l’équipe de production
à l’issue de la représentation du mercredi 27 avril
Les Curiosités de Wajdi Mouawad
à l’issue de la représentation du mardi 3 mai

Temps sera présentée en première mondiale le 3 mars 2011, à Berlin, à l’ouverture officielle du Festival Nouvelle Dramaturgie (FIND : Festival Internationale Neue Dramatik) de la Schaubühne, une des plus grandes institutions théâtrales de l’Allemagne réunifiée. Une autre représentation aura lieu le 5 mars 2011. La pièce sera ensuite présentée au Théâtre du Trident, du 8 mars au 2 avril 2011, puis au Centre national des Arts, à Ottawa, du 12 au 16 avril 2011 et, enfin, au Théâtre d’Aujourd’hui, à Montréal, du 19 avril au 14 mai 2011.

Une création du Théâtre du Trident et du Théâtre d’Aujourd’hui en coproduction avec le Théâtre français du Centre national des Arts, Abé Carré Cé Carré, Au Carré de l’Hypoténuse et en collaboration avec le Grand Théâtre de Québec

Théâtre d'Aujourd'hui

3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900

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 Critique
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par Olivier Dumas


Crédit photo : Vincent Champoux

Pour tout critique de théâtre, il existe des rendez-vous manqués par de trop grandes attendes devant des projets aux prémisses si évocatrices. Voilà le sentiment vécu après la tombée du rideau de la plus récente création de Wajdi Mouwad, Temps, qui est présentement à l’affiche du Théâtre d’Aujourd’hui.

Rédemption, vengeance, famille au destin tordu, retour aux racines mythiques et tragédie d’une société obnubilée par la barbarie, les connaisseurs de l’œuvre mouawadienne ne risquent pas de perdre leurs repères. La saison hivernale fait rage dans la ville minière de Fermont, à la frontière du Labrador. Des hordes de rats se multiplient. Pour contrer la violence des vents, un mur-écran a été construit dans lequel vivent les habitants, employés pour la plupart par la compagnie qui gère la mine de fer. Nous assistons dans cette ville aux retrouvailles de deux frères (Édouard et Arkadiy) et d’une sœur (Noëlla) pour liquider la succession de leur père mourant, Napier de la Forge. Aux conflits fraternels s’ajoutent des antagonismes linguistiques : Noëlla est sourde, Arkadiy parle le russe et Édouard, le français. Seule la présence d’interprètes leur permet une communication. Les blessures du passé refont surface.

L’an dernier, j’avais été personnellement extrêmement déçu de la prétention de la pièce Ciels, que l’on a pu voir lors de la dernière édition du FTA. Heureusement, la production de Temps renoue avec les thèmes forts du désormais controversé créateur, sans atteindre toutefois l’intensité vertigineuse d’Incendies. À l’exception de la présence accessoire de l’ange, la plupart des figures de ce drame touffu demeurent d’une grande profondeur, avec leur part de ténèbres et de  violences enfouies. Comme un mantra, la musique de Noir désir, défunt groupe de Bertrand Cantat, se fait entendre à plusieurs reprises comme un témoin de cette rage qui cherche à s’exprimer. La plus grande surprise de ce spectacle demeure son économie de mots, alors que la production de Mouawad s’est démarquée au Québec et à l’étranger par cette langue volubile et effervescente dans sa quête de sens et de ses origines profondes.


Crédit photo : Vincent Champoux

Or, il manque la ferveur et le doute pour permettre à Temps de devenir une œuvre mémorable. À plusieurs reprises, une impression se dégage que le metteur en scène se complait dans son travail et cherche à créer des effets plutôt que de laisser émerger une émotion souveraine. Des longueurs, dont les nombreux passages de traduction d’une langue à l’autre et du langage des sourds-muets à la parole, alourdissent le récit de deux heures dix, une durée plutôt courte pour un texte de Mouawad. Certaines des scènes censées nous faire vivre la cruauté et la déchéance du père deviennent carrément caricaturales. Entre autres, lorsqu’il invective sa jeune épouse d’injures peu de temps avant la tombée du rideau, le grotesque prend le pas sur la cruauté. Les passages les plus évocateurs demeurent justement ceux moins appuyés et plus imprégnés d’une poésie toute frémissante.  Soulignons la magnifique beauté des éclairages ainsi que les décors évocateurs et épurés qui confèrent à l’ensemble une dimension visuelle émouvante et intemporelle. Un régal pour les yeux.

Réputé généralement pour ses talents de direction d’acteur, Mouawad eut ici la main moins heureuse. Il y a un sérieux manque d’unité : certains des interprètes font véritablement corps avec les mots et les gestes de leurs personnages, alors que d’autres peinent à trouver le ton juste. Linda Laplante oscille entre un français international (pour des entrevues par téléphone à un média quelconque) et des phrases dans un accent très québécois, tandis que le jeu affecté de Véronique Côté semble plus dans l’esprit d’un Tchekhov que d’une pièce contemporaine. Heureusement, Marie-Josée Bastien, Gérald Gagnon et Valeriy Pankov se révèlent d’une justesse émouvante, particulièrement la première, puissante et expressive dans le rôle de la sœur sourde-muette.

Lors de la première médiatique, les nombreux admirateurs et admiratrices de Wajdi Mouawad ont manifesté leur enthousiasme par une longue ovation. Créée pour les 40 ans du Théâtre du Trident de Québec, Temps s’inscrit dans la suite de l’œuvre de l’auteur, comédien et metteur en scène, sans toutefois apporter un souffle significatif. Espérons que les relectures très attendues des tragédies de Sophocle renouvelleront son écriture théâtrale.

02-05-2011

par Sylvie Isabelle

À trop côtoyer l’horreur, on finit par ne plus la voir

Napier de la Forge se meurt à Fermont. Auprès de lui se trouvent sa fille, Noëlla, et sa compagne des dernières années, Blanche. Alors que la ville est envahie par des hordes de rats sanguinaires, les deux fils de Napier, Édouard et Arkadiy, reviennent sur les lieux de leur naissance afin de liquider la succession de leur père. Noëlla est sourde, Arkadiy parle russe et Édouard parle français : afin de se comprendre, ils doivent communiquer par le biais d’interprètes. Petit à petit, au cœur de cette cité protégée du monde et des vents par un mur-écran long de plus d’un kilomètre, les deux frères mettront à jour le lourd secret de leur sœur et les raisons de leur exil.

Alors qu’Incendies multiplie les honneurs au cinéma, la réputation de Wajdi Mouawad n’est plus à faire. La chute unique de ce récit a suffit à établir le dramaturge en tant que « maître ». Or, c’est exactement cette chute qui, à force d’être au cœur des récits de Mouawad, affaiblit Temps. D’entrée de jeu, les spectateurs familiers de son œuvre attendent l’horreur, tant et si bien que, lorsqu’elle nous est révélée, elle semble banale tant elle était attendue et prévisible. On se surprend à ne pas être choqué. Cette montée dramatique tombe à plat, car on sait exactement où l’on s’en va. Cette horreur devient un simple effet théâtral, qui s’apparente vaguement à la tragédie grecque : elle en devient presque caricaturale. Comme nul autre, Mouawad a prouvé qu’il pouvait construire un suspense dramatique éclatant sur scène, capable de couper le souffle des spectateurs : c’est ce qui le place dans une classe à part, mais c’est ce qui fait cruellement défaut à cette dernière création.

Et cette déception est bien fâcheuse, parce qu’à attendre un deuxième Incendies, on évacue totalement les aspects qui rendent Temps intéressant. Plusieurs ont décrié les différents langages qui compliquent l’histoire, mais les interprètes ajoutent justement une dimension poétique et nouvelle au récit. Pour se comprendre, Noëlla, Édouard et Arkadiy doivent s’en remettre à une tierce personne. La communication sous toutes ses formes est centrale. Cela donne des scènes fortes, comme celle où Blanche, derrière Noëlla, lui brosse les cheveux. Elle lui parle, mais Noëlla regarde devant elle : c’est son interprète qui lui relaye les mots de Blanche.

Par ailleurs, tous ces langages permettent à Temps de transcender les frontières : l’action pourrait facilement prendre place dans une ville fictive. Le français « international », le russe, le langage des signes, les décors épurés, tous ces éléments contribuent à créer un environnement futuriste, hors du temps, qui s’apparente à l’univers de Ciels. D’ailleurs, la distribution et l’équipe de conception reflètent ce côté sans frontières : les artistes viennent de Québec, de Montréal, de Moscou, de la France et des États-Unis.

Enfin, Marie-Josée Bastien, Gérald Gagnon et Valeriy Pankov composent une fratrie convaincante et attachante sur une scène dépouillée. Avec quelques voiles translucides, de puissants ventilateurs et des manteaux de fourrure, on arrive à nous faire ressentir Fermont, l’isolement et le froid. Une robe de fillette soulevée par les vibrations d’un haut-parleur qui crache une musique aux accents punk suffit à illustrer le drame qui a précipité les destins de Noëlla, Édouard et Arkadiy. À eux seuls, ces éléments possèdent une force évocatrice qui vient confirmer le talent de Mouawad à diriger ses comédiens et à insuffler une poésie toute personnelle à ses mises en scène.

Bref, Temps est une œuvre qui ne s’inscrira sans doute pas parmi les meilleures de Mouawad, non pas parce qu’elle n’est pas valable, mais parce que les œuvres qui la précèdent sont beaucoup trop puissantes. Fruit d’une commande pour les 40 ans du théâtre le Trident, Temps est peut-être le signe que Mouawad doive explorer d’autres thèmes, ou les explorer différemment, afin de garder son spectateur alerte.

18-03-2011

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